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Éphéméride 16 mars 1868 naissance de Maxime Gorki

Maxime Gorki est né le 16 mars (cal. julien)/28 mars 1868 (cal. greg.) à Nijni Novgorod sur la Volga dans un milieu modeste. Il passe les toutes premières années de sa vie à Astrakhan où son père était agent maritime après avoir quitté son atelier d’artisan de Nijni Novgorod, mais l’enfant revient dans sa ville natale quand son père meurt alors que Maxime n’a que trois ans et que sa mère retourne chez ses parents qui tenaient un petit atelier de teinturerie.

Orphelin de mère un peu plus tard, à dix ans, il est élevé durement par un grand-père violent et une grand-mère excellente conteuse, douce et pieuse
: il apprend ainsi à survivre dans un contexte difficile mais pittoresque qu’il évoquera dans le premier volet de son autobiographie « Enfance ».

Forcé par son grand-père de quitter l’école à douze ans, il pratique plusieurs petits métiers comme cordonnier ou graveur dans la ville de Kazan. Très affecté par la mort de sa grand-mère, il tente de se suicider en décembre 1887 mais survit à la balle qu’il s’était tirée près du cœur, celle-ci cependant endommageant gravement son poumon
: il souffrit toute sa vie de faiblesse respiratoire.

Il entreprend ensuite une très longue errance à pied de plusieurs années dans le sud de l’empire russe et les régions du Caucase, lisant en autodidacte, effectuant différents métiers comme docker ou veilleur de nuit et accumulant des impressions qu’il utilisera plus tard dans ses œuvres
: il racontera cette période de formation dans « Mes universités ».

À 24 ans, il décida de rentrer dans le rang et devint journaliste pour plusieurs publications de province. Il écrivit sous le pseudonyme de 
Jehudiel Khlamida, nom évoquant par sa racine grecque le masque et les services secrets, puis il commence à utiliser aussi le pseudonyme de « Gorki » (qui signifie littéralement « amer ») en 1892 dans un journal de Tiflis: ce nom reflétait sa colère bouillonnante à propos de la vie en Russie et sa détermination à dire l’amère vérité.

Le premier ouvrage de Gorki « 
Esquisses et récits » parait en 1898 et connait un succès extraordinaire, en Russie et à l’étranger, ce qui lance sa carrière d’écrivain pittoresque et social. Il y décrit la vie des petites gens en marge de la société (les bossiaks, les va-nu-pieds), révélant leurs difficultés, les humiliations et les brutalités dont ils sont victimes mais aussi leur profonde humanité. Gorki acquit ainsi la réputation d’être une voix unique issue des couches populaires et l’avocat d’une transformation sociale, politique et culturelle de la Russie, ce qui lui vaut d’être apprécié à la fois de l’intelligentsia; il entretient des liens de sympathie avec Anton Tchekhov et Léon Tolstoï, et des travailleurs.

Dans le même temps, à partir de 1899, il s’affiche proche du mouvement social-démocrate marxiste naissant et s’oppose publiquement au régime tsariste, d’où de nombreuses arrestations
: il sympathise avec de nombreux révolutionnaires, devenant même l’ami personnel de Lénine après leur rencontre en 1902. Il gagne encore en célébrité quand il démontre la manipulation de la presse par le gouvernement lors de l’affaire Matvei Golovinski, prouvant l’implication de la police secrète, l’Okhrana, dans la rédaction et la publication des « Protocoles des sages de Sion », torchon antisémite.

Son élection en 1902 à l’Académie Impériale est annulée par le tsar Nicolas II, ce qui entraîne par solidarité la démission des académiciens Anton Tchekhov et Vladimir Korolenko.

Les années 1900-1905 montrent un optimisme grandissant dans les écrits de Gorki
; ses œuvres les plus déterminantes dans cette période sont une série de pièces de théâtre à thèmes politiques dont la plus célèbre est « Les Bas-fonds », représentée avec un grand succès après des difficultés avec la censure en 1902 à Moscou et montée ensuite dans toute l’Europe et aux États-Unis.

Maxime Gorki s’engage alors davantage dans l’opposition politique et il est même emprisonné brièvement pour cet engagement en 1901. Il est de nouveau incarcéré à la Forteresse Pierre et Paul de Saint-Pétersbourg durant la révolution avortée de 1905
: il y écrit sa pièce « Les Enfants du soleil », formellement située durant l’épidémie de choléra de 1862, mais clairement comprise comme représentant les évènements de l’actualité.

Devenu riche par ces activités de romancier, de dramaturge et d’éditeur, il apporte son aide financière au Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) en même temps qu’il soutient les appels des libéraux pour une réforme des droits civiques et sociaux. La brutale répression de la manifestation des travailleurs demandant une réforme sociale le 9 janvier 1905, événement connu sous le nom de « Dimanche sanglant » qui marqua le début de la Révolution de 1905, semble avoir joué un rôle décisif dans la radicalisation de Gorki.

Il devint alors très proche du courant bolchevique de Lénine sans qu’il soit assuré qu’il adhéra à ce mouvement
: ses relations avec les Bolcheviques et Lénine demeureront d’ailleurs difficiles et conflictuelles.

En 1906, les Bolcheviques l’envoyèrent aux États-Unis pour lever des fonds de soutien et c’est pendant ce voyage que Gorki commença son célèbre roman « 
La Mère » (qui paraîtra d’abord en anglais à Londres et finalement en russe en 1907) sur la conversion à l’action révolutionnaire d’une femme du peuple à la suite de l’emprisonnement de son fils.

Cette expérience de l’Amérique, où il rencontre Théodore Roosevelt et Mark Twain mais aussi les critiques de la presse qui se scandalisait de la présence à ses côtés de sa maîtresse Moura Budberg et non de sa femme Yekaterina Peshkova, l’amène à approfondir sa condamnation de l’esprit bourgeois et son admiration pour la vitalité du peuple américain.

De 1906 à 1913, Gorki vit à Capri à la fois pour des raisons de santé et pour échapper à la répression croissante en Russie. Il continue cependant à soutenir les progressistes russes, particulièrement les Bolcheviques, et à écrire des romans et des essais. Il bâtit aussi avec d’autres émigrés bolcheviques, comme Bogdanov ou Lounatcharski, un système philosophique controversé intitulé « Construction de Dieu » qui cherchait, en prenant appui sur le mythe de la révolution, à définir une spiritualité socialiste où l’humanité riche de ses passions et de ses certitudes morales accéderait à la délivrance du mal et de la souffrance, et même de la mort.

Bien que cette recherche philosophique ait été rejetée par Lénine, Gorki continue à croire que la culture, c’est-à-dire les préoccupations morales et spirituelles, était plus fondamentale pour la réussite de révolution que les solutions politiques ou économiques. C’est le thème du roman « 
La Confession », paru en 1908.

Profitant de l’amnistie décrétée pour le 300e anniversaire de la dynastie des Romanov, Gorki revient en Russie en 1913 et poursuit sa critique sociale en guidant de jeunes écrivains issus du peuple et en écrivant les premières parties de son autobiographie, « 
Ma vie d’enfant » (1914) et « En gagnant mon pain « (1915-1916).

Durant la Première Guerre mondiale, son appartement de Petrograd est transformé en salle de réunion bolchevique mais ses relations avec les communistes se dégradent. Il écrit ainsi deux semaines après la Révolution d’octobre
: « Lénine et Trotsky n’ont aucune idée de la liberté et des droits de l’homme. Ils sont déjà corrompus par le sale poison du pouvoir… « .

Son journal « Nouvelle vie » est censuré par les bolcheviques et Gorki écrit en 1918 une série de critiques du Bolchevisme au pouvoir intitulées « 
Pensées intimes » qui n’ont été publiées en Russie qu’après la chute de l’Union soviétique. Il y compare Lénine à la fois au tsar pour sa tyrannie inhumaine d’arrestations et de répression de la liberté de penser et à l’anarchiste Serge Netchaïev pour ses pratiques de comploteur. En 1919, une lettre de Lénine le menace clairement de mort s’il ne changeait pas ses prises de position.

En août 1921, il ne peut sauver son ami Nikolaï Goumiliov qui est fusillé par la Tcheka malgré son intervention auprès de Lénine.
En octobre de la même année 1921, Gorki quitte la Russie et séjourne dans différentes villes d’eau en Allemagne et ayant achevé le troisième volet de son autobiographie, « 
Mes universités » publié en 1923, retourne en Italie pour soigner sa tuberculose: installé à Sorrente en 1924, il reste en contact avec son pays et revient plusieurs fois en URSS après 1929, avant d’accepter la proposition d’un retour définitif que lui fit Staline en 1932: on discute les raisons de ce retour, expliqué par des difficultés financières pour les uns comme Soljenitsyne, ou par ses convictions politiques pour les autres.

Sa visite du camp de travail soviétique des Îles Solovetski, maquillé à cette occasion, le conduit à écrire un article positif sur le Goulag en 1929, ce qui déclenche des polémiques en Occident
: Gorki dira plus tard l’avoir écrit sous la contrainte des censeurs soviétiques.

Il est honoré par le régime qui exploite dans sa propagande son départ de l’Italie fasciste pour retrouver sa patrie soviétique
: il reçoit la médaille de l’Ordre de Lénine en 1933 et il est élu président de l’Union des écrivains soviétiques en 1934, ce qui lui vaut d’être installé à Moscou dans un hôtel particulier qui avait appartenu au richissime Nikolaï Riabouchinski et est devenu le Musée Gorki aujourd’hui, et on lui accorde également une datcha dans la campagne moscovite.

Une des artères principales de la capitale, rue Tverskaïa, reçoit son nom comme sa ville natale qui retrouve son nom primitif de Nijni Novgorod en 1991, à la chute de l’URSS.

Cette consécration soviétique est illustrée par de nombreuses photographies où il apparaît aux côtés de Staline et d’autres responsables de premier plan comme Kliment Vorochilov et Viatcheslav Molotov.

Par ailleurs, Gorki participe activement à la propagande stalinienne comme dans l’éloge du
« Canal de la mer Blanche » à propos duquel, évoquant les bagnards du goulag chargés des travaux, il parle de « réhabilitation réussie des anciens ennemis du prolétariat ».

Cependant, Gorki semble avoir été partagé entre sa fidélité au bolchevisme et ses idées sur la liberté indispensable aux artistes. Il était d’ailleurs suspect aux yeux du régime et après l’assassinat de Sergueï Kirov en décembre 1934, le célèbre écrivain est assigné à résidence à son domicile.

La mort soudaine de son fils Maxim Pechkov en mai 1935 et la mort rapide, attribuée à une pneumonie, de Maxime Gorki lui-même le 18 juin 1936 ont fait naître le soupçon d’empoisonnement mais rien n’a jamais pu être prouvé.

Staline et Molotov furent deux des porteurs du cercueil de Gorki lors de ses funérailles qui furent mises en scène comme un événement national et international le 20 juin 1936 sur la Place Rouge à Moscou. André Gide qui commençait son célèbre
Voyage en URSS y prononça un discours d’hommage.
Maxime Gorki est inhumé dans le cimetière du Kremlin derrière le mausolée de Lénine.