Passion Lettres Deux

Livre du jour Gérard de Nerval Sylvie

INCIPIT
Chaque jour un livre en téléchargement gratuit

Je sortais d'un théâtre où, tous les soirs, je paraissais aux avant-scènes
en grande tenue de soupirant. Quelquefois, tout était plein ;
quelquefois, tout était vide. Peu m'importait d'arrêter mes regards sur
un parterre peuplé seulement d'une trentaine d'amateurs forcés, sur des
loges garnies de bonnets ou de toilettes surannées, - ou bien de faire
partie d'une salle animée et frémissante, couronnée à tous ses étages
de toilettes fleuries, de bijoux étincelants et de visages radieux.
Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m'arrêtait guère,
- excepté lorsqu'à la seconde ou à la troisième scène d'un maussade
chef-d'oeuvre d'alors, une apparition bien connue illuminait l'espace
vide, rendant la vie d'un souffle et d'un mot à ces vaines figures qui
m'entouraient.
Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me
remplissait d'une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et
cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d'amour.
Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes
enthousiasmes, à tous mes caprices, - belle comme le jour aux feux de
la rampe qui l'éclairait d'en bas, pâle comme la nuit, quand la rampe
baissée la laissait éclairée d'en haut sous les rayons du lustre, et la
montrait plus naturelle, brillant dans l'ombre de sa seule beauté,
comme les Heures divines qui se découpent, avec une étoile au front,
sur les fonds bruns des fresques d'Herculanum !


Gérard de Nerval, Sylvie

version audio de la nouvelle

Livre du jour Gérard de Nerval Aurélia

INCIPIT
Chaque jour, un livre en téléchargement gratuit


Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : – le monde des Esprits s’ouvre pour nous.
Swedenberg appelait ces visions
Memorabilia ; il les devait à la rêverie plus souvent qu’au sommeil ; l’Âne d’or d’Apulée, la Divine Comédie du Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l’âme humaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d’une longue maladie qui s’est passée tout entière dans mon esprit ; — et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l’imagination m’apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?…
Cette
Vita nuova a eu pour moi deux phases. Voici les notes qui se rapportent à la première.


Gérard de Nerval, Aurélia