Perec

Revue Europe « Perec »

Europe, N° 993-994

Janvier & février 2012
Georges Perec

On a aujourd’hui dans l’œil le visage que Perec s’est fabriqué au fil des années soixante-dix, figure comme triangulaire, barbichette et chevelure assyrienne, buissonnant sur les hauteurs. Mais au-delà de cette image, ce qui frappe, c’est un visage travaillé par l’intelligence, avec son regard clair souvent visité par l’humour. Le destin de Georges Perec (1936-1982) fut pourtant précocement visité par la tragédie. Son père, engagé volontaire, est mort pour la défense de la France en juin 1940. Évacué en zone libre en 1941, l’enfant fut dès lors séparé de sa mère, déportée quelque temps plus tard et morte à Auschwitz.
Si les premiers livres publiés de Perec lui valurent l’estime de critiques perspicaces, c’est en 1978 qu’il connut un succès considérable avec La Vie mode d’emploi, bientôt traduit dans le monde entier.
Saluant la parution de ce chef-d'œuvre, Italo Calvino estima que Perec avait « l’art de résumer toute une tradition narrative et d’englober, dans une somme encyclopédique, des savoirs qui donnent forme à une image du monde
; le sens du présent qui inclut aussi tout un passé accumulé et le vertige du vide. » On peut, comme Calvino, considérer La Vie mode d’emploi comme le dernier événement véritable dans l’histoire du roman: un puzzle dans lequel le puzzle lui-même donne au livre le thème de l’intrigue et le modèle formel, et où le projet structurel et la poésie la plus haute coexistent avec un naturel prodigieux. Mais c’est l’œuvre entière de Perec qui s’avère captivante dans chacune de ses phases et qui nous invite à une multiplicité de parcours, qu’il s’agisse du Perec d’avant Les Choses et Un homme qui dort, de sa période dite « sociologique », des années oulipiennes, de sa prise en compte des événements de la vie quotidienne et de ce qu’il appelait l’infra-ordinaire, ou encore de la façon si singulière dont il aborde le thème autobiographique et renouvelle la narration de soi en inventant des architectures neuves, complexes, agrandissant le labyrinthe qu’est toute vie.