Disparition de Béatrix Beck

La romancière Béatrix Beck, qui avait obtenu le prix Goncourt en 1952 avec « Léon Morin, prêtre », vient de mourir à l’âge de 94 ans. Pour le dictionnaire des écrivains contemporains publié par Jérôme Garcin, elle avait écrit sa propre notice biographique en 1988. La voici


Née par erreur à l’étranger, ramenée en France à vingt et un jours. Comme tout le monde, assise entre deux chaises, la vie et la mort.
Souvenirs enchantés de la guerre de 1914
: avion abattu dans un petit bois de sapins derrière la maison.. Voisines évoquant les gens devenus noirs qu’on étouffait entre deux matelas parce qu’ils avaient la grippe (espagnole ou peste). Répétant complaisamment: « si la grosse Bertha tire sur Paris, ce sera la catastrophe! » Timbres-poste protégés par de mignonnes enveloppes transparentes pour servir de monnaie. Oncle en radieux uniforme militaire dans un palace. Nénette et Rintintin, petit couple de brins de laine qu’on accrochait partout. Passionnant défilé des réfugiés du Nord, à pied, en charrettes, pour qui on formait la haie en leur tendant des verres de vin, des tartines. Américains lançant des cadeaux par les vitres du train. La mère de Béatrix reçut une vache à eau.
Au lycée, espoir de découvrir Dieu (X) grâce à l’algèbre. Ambition de créer un art à nul autre pareil. Comme pis-aller écrivait quelques livres, à la fois pour faire du passé table rase et le mettre à gauche mais ne réussit pas à n’employer que des mots ressemblant aux choses qu’ils désignent (on l’a dit, le mot « maison » n’est pas du tout pareil à une maison).
Aima un apatride qui mourut en 1940 d’un coup de mousqueton à bout portant, non sans lui avoir donné une fille, présent ineffable.
Immeuble explosé pendant la guerre d’Algérie.

Adore sa langue maternelle, paternelle.

Éprouve une grande compassion pour le français, chèvre de M. Seguin attaquée par les loups du charabia. « il n’y a pas de justice sans justesse des termes ».
A trouvé dans les prés « Dieu », vainement cherché jadis au bout des équations. C’est un être féroce, autodévoreur mais génial malgré quelques ratages et si éperdument amoureux.
Stupéfaite d’exister, ne parvient pas à croire à une si dure chance. Sans aucun doute ne se verra pas mourir, qui a jamais vu ça
?


Béatrix Beck


« Dictionnaire des écrivains contemporains de la langue française par eux-mêmes », sous la direction de Jérôme Garcin, Mille et une nuits, 417 p., 24 euros.