Causerie
Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et
rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.
- Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se
pâme ;
Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur ;
les bêtes l’ont mangé.
Mon cœur est un palais flétri par la
cohue ;
On s’y soûle, on s’y tue, on s’y prend aux
cheveux !
- Un parfum nage autour de votre gorge
nue !…
Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux !
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux qu’ont épargnés les
bêtes !
Charles
Baudelaire, Les Fleurs du mal
Marcel Proust évoque ce
poème :
[…] nul poète (plus que lui) n’eut le sens du
renouvellement au milieu même d’une poésie […]
D’autres fois, la pièce s’interrompt par une action
précise. Au moment où Baudelaire dit :
« Mon cœur est un
palais… », brusquement, sans que cela
soit dit, le désir le reprend, la femme le force à une
nouvelle jouissance, et le poète à la fois enivré par les
délices à l’instant offertes et songeant à la fatigue du
lendemain, s’écrie :
« -
Un parfum nage autour de votre gorge
nue !…
Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le
veux !
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux qu’ont épargnés les
bêtes ! »
« À
propos de Baudelaire », in Essais
et articles,
« Contre Sainte-Beuve »