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Anthologie de poèmes sur le thème des quatre saisons


Verts Printemps

Pour ma fête

Je fume souvent la pipe
m’a dit le printemps
et je gonfle de jolis nuages
parfois même je réussis
un arc-en-ciel
ce qui n’est pas si facile
Je sais bien que l’été
me pousse dans le dos
comme on pousse un vieillard
dans une petite voiture
mais j’ai de très bons jours
encore
des longues soirées
lentes et douces
je suis même plus fort
que la nuit et que la pluie
puisque je sais les faire sourire
en fumant la pipe
et que les nuages que je souffle
composent un grand décor
pour des comédies
où les animaux jouent
un grand rôle
celles de l’amour et de la volupté
et aussi pour me souhaiter
ma fête
et se payer
ma tête

Philippe SOUPAULT, Sans phrases, Éditions Girard.
(1897- 1990)


Râgä Vasantä

Au printemps
Rythme : Til vâdâ
Style : Khyâl
Langue : Vrajâ Bhashâ

Les manguiers sont en fleurs,
Ma belle amie !
Garçons et filles sont partis
Et vont danser gaiement
Durant les fêtes du printemps…

Les manguiers sont en fleurs,
Ajma l’amante boit des yeux
La beauté du corps de l’aimé
Et lui jette pour l’agacer
Un nuage de poudre rouge…

Les manguiers sont en fleurs,
Ma belle amie !
Garçons et filles sont partis
Et vont danser gaiement…

Les manguiers sont en fleurs…

Poème classique chanté (Inde du Nord) in Alain Daniélou « Dhrupad » (Les Cahiers des Brisants) (poème chanté de l’Inde du Nord)



Samedi 12 février 1944

Chère Kitty,

Le soleil brille, le ciel est d’un bleu intense, le vent est alléchant, et j’ai une envie folle — une envie folle — de tout… De bavardages, de liberté d’amis, de solitude. J’ai une envie folie… de pleurer. Je sens que je voudrais éclater. Les larmes m’apaiseraient, je le sais, mais je suis incapable de pleurer. Je ne tiens pas en place, je vais d’une chambre à l’autre, m’arrête pour respirer à travers la fente d’une fenêtre fermée, et mon cœur bat comme s’il disait : « Mais enfin, satisfais donc mon désir… »

Je crois sentir en moi le printemps, le réveil du printemps ; je le sens dans mon corps et dans mon âme. J’ai un mal fou à me comporter comme d’habitude, j’ai la tête tout embrouillée, je ne sais que lire, qu’écrire, que faire. Langueur… Langueur… Comment te faire taire ?
À toi, Anne

Anne FRANK, Journal, Calmann-Lévy.
(Jeune Juive d’origine allemande, réfugiée en Hollande, déportée et exterminée, 1929-1945)



Alors le printemps

Alors le printemps pareil au vitrail d’un pommier, en plusieurs couleurs comme les yeux des biches…
Le Vert, le Noueux, le Bien-Aimé ! apporte son apparence au jour et à la nuit,
et jusqu’à la lune, plus belle que les maisons habitées.

Les yeux de la vie s’ouvrent au fond de la terre.

Dans les feuilles les oiseaux en mille morceaux se mordent, la rose est encore serrée dans ses épines ;
tout est fol et nu, la fleur et l’eau.

Que celui qui passe dans la plaine s’en souvienne !…
Vert, vert jusqu’aux délices et la transpiration des lacs !

Georges SCHÉHADÉ, Les Poésies, Gallimard.
(poète et auteur dramatique libanais, né en 1910.)



Randonnée

Merci pour cette poignée de jours d’avril
pour le vent blanc qui souffle
pour la terre sombre et les herbes entremêlées
et la fille qui marche à mes côtés

(Au pays des douze collines, Irlande)

Kenneth WHITE, Terre de diamant, Grasset.
(poète écossais, né en 1936)



Glycines transparentes

Glycines transparentes
parfum que fane
un vent léger
neige violette
du printemps
festin d’abeille

Marcel SAINT-MARTIN (né en 1922), inédit.



Avril

Je songe, je perds
mon peu de raison,
je vois le désert
au fond des maisons,

Le printemps revient,
qu’est-ce que j’attends ?
on ne cueille rien
aux vignes du temps,

— rien, mais sous l’azur
dorment mes images,
frissons de l’impur,
noirceur des feuillages,

— rayons hésitants,
nuages des jours,
que me veut le temps ?
j’ai d’autres séjours.

Henri THOMAS, Signe de vie, Gallimard.
(né en 1912)



Le printemps au faubourg

(À Ibert Riera)

Le charbonnier bat sa pupille,
l’amant qui revient de bien loin,
collant son oreille à la porte,
entend bruire la machine à coudre
et l’odeur des ragoûts monte,
l’arbre du square est embaumé,
la pierre du trottoir s’échauffe,
le gigolo contemple un nuage,
la jeune veuve un peu flétrie
de la gorge à la région sacrée
rapporte plein le pot de lait
orné d’une guirlande de roses.

Jean FOLLAIN, Usage du temps, Gallimard.



Et s’il pleut cette nuit

Le vent passe à grands coups de vagues dans les roses.
Il rebrousse les eaux, les plumes, le sommeil,
Et les chats assoupis, sur leurs métamorphoses
Sentent l’aube et l’odeur de la mer au réveil.

Il pleut sur le printemps, sur tout, sur les étoiles.
Ne crois-tu pas la nuit qu’il pleut depuis toujours
Quand sur ces vieux chevaux maigres, boiteux et sourds
J’entends jurer sans bruit les cochers de l’averse ?

Maurice FOMBEURE, A dos d’oiseau, Gallimard.
(1906-1981)




Le printemps mène l’aventure

Depuis le temps que je navigue entre les souches
Tout près du Feu, sous les paupières du charbon
Depuis le temps que le grillon creuse ma bouche
Et chante là sous le tunnel de mes poumons

Le ciel me touche enfin comme une joue dormante
Je me délivre de moi-même et je revois
Ma belle vie avec ses voiles murmurantes
Et la main du soleil qui tourne sur le toit

Me voici parmi vous chevaux les plus dociles
Je m’endors entre vos jambes et je vous fuis
Pour des pays de hautes vagues et des îles
Perdues comme un visage d’ange au fond d’un puits

Car je porte avec moi mon cœur triste lanterne
Insatisfait de sa lumière et voulant voir
Par-dessus l’étendue trembleuse des luzernes
La mer qui va et vient sur ses grands boulevards

Mon printemps est dans l’air du large, dans l’écume
Blanche ainsi qu’un enfant qui n’a pas su grandir
Et je marche sur l’eau, calme comme un qui fume
À sa fenêtre en juin avant de s’endormir.

René-Guy CADOU, Le cœur définitif, in Œuvres poétiques complètes, Seghers. (1920-1951)


Avril

Déjà les beaux jours, la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose,
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de NERVAL, Odelettes. (1808-1855)



En descendant des collines au printemps

En descendant des collines au printemps
À l’heure où la rosée brille dans les toiles d’araignée
Au bruit lointain du fer battu dans les forges,
Au miroitement du jour dans l’eau des rivières.

En descendant des collines au printemps
J’ai laissé, dis-je, avec l’hiver les chagrins et les rancunes
Un amour profond me transporte de joie
Et ma haine elle-même me transporte et m’exalte.

En descendant des collines au printemps,
J’ai brisé les balances où je pesais la vie et la mort,
Enfin prêt à accueillir l’été et les vendanges,
Prêt à accepter que le chemin, mon chemin s’interrompe.

En descendant des collines au printemps
Vivant de plus de joie qu’aux jours de ma jeunesse
Mais attentif aux parfums de la terre et de l’air,
Attentif à l’écho d’une petite chanson lointaine
Chantée, d’une voix mal assurée, par une petite fille
Que jamais je ne connaîtrai.

Paul ÉLUARD, Sens, in Destinée arbitraire (Gallimard)




Étés, puissants étés

Saisons

Le jour est à sa place et coule à fond de temps,
À moins que l’être monte à travers des espaces
Superposés dans la mémoire et délestant
La cervelle et le cœur de souvenirs tenaces.

Étés, puissants étés, votre nom même passe,
Être et avoir été, passe-temps et printemps,
Il passe, il est passé comme une eau jamais lasse,
Sans cicatrices, sans témoins et sans étangs.

Saisons, vous chérissez du moins le grain de blé
Qui doit germer aux jours de dégel et la clé
Pour ouvrir aux départs les portes charretières.

Les astres dans le ciel par vous sont rassemblés,
L’an va bientôt finir et des pas accablés
Traînent sur les chemins ramenant aux frontières.

Paul ÉLUARD, État de veille, in Destinée Arbitraire (Gallimard)
(1895-1952)


Les fourriers d’Été


Les fourriers d’Été sont venus
Pour appareiller son logis
Et ont fait tendre ses tapis
De fleurs et de verdures tissus.

En étendant tapis velus
De verte herbe par le pays
Les fourriers d’Été sont venus.

Cœurs d’ennui pieça morfondus,
Dieu merci, sont sains et jolis ;
Allez-vous en, prenez pays,
Hiver, vous ne demeurez plus :
Les fourriers d’Été sont venus.

Charles d’ORLÉANS in Max-Pol Fouchet « La poésie française » (Seghers)
(1391-1465)




Allégorie

Despotique, pesant, incolore, l’Été,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

L’alouette au matin, lasse, n’a pas chanté.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.

L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur leur lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.

Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.

Paul VERLAINE, Jadis et naguère, Gallimard. (1844-1896)



Sensation

Par les soirs bleus d’été j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.

Arthur RIMBAUD, Poésies, Seghers.



Chaque été

Chaque été il y aura donc pour moi
Une nouvelle mélancolie
Et je vous aime comme ce que je vous dis
Pour un cheval blanc comme l’hiver
Les brises se dépouillent des rosées
Et les oiseaux meurent des blessures de la mer
Couronnez l’amour qui tient un arc
Une hirondelle a longé le soir
Elle est sans couleur et sans force
Cette saison ne passera pas sans un nouvel astre
Son azur est chaud de toutes les nuits

Georges SCHÉHADÉ, Les poésies, Gallimard



Si vous étiez…

Si vous étiez un peu plus paysan, si vous saviez ce qu’est le vent d’ouest, ce qu’est une feuille, vous comprendriez de quoi il s’agit.
Vous êtes en été, par une journée d’août où la chaleur est un mur, où l’air est une muraille épaisse, immobile ; vous aussi par ce temps-là vous êtes un peu épais ; l’œil fixe, vous regardez sans le voir un arbuste qui surmonte la haie : jeune châtaignier ou jeune chêne, vous ne le voyez pas d’abord puis quelque chose en vous devient un peu moins fixe, un peu plus subtil, vous commencez à percevoir un mouvement, puis vous découvrez le rameau qui s’agite ainsi, se balance sans bruit mais très vif ; vous ne tardez pas alors à l’observer de mieux en mieux, libre, fol, nerveux, ennemi du repos, vous le saisissez enfin nettement quand vous remarquez tous les autres rameaux avec leurs feuilles près de lui pétrifiés et, loin de lui, tous les arbres de plomb, tous les arbres figés alors que seul ce rameau et sa dizaine de tendres feuilles se balancent en plein cœur de l’arbuste au repos. Si vous me ressembliez davantage, vous sauriez que les arbres dans leur jeunesse jouent, eux aussi. Mais, je vous le demande : que savez-vous ?

Georges-Emmanuel CLANCIER, Évidences, Mercure de France.
(né en 1914)



Un temps trop court d’enchantement


Il est au début de l’automne

Il est au début de l’automne
Un temps trop court d’enchantement
Que nos jours de cristal jalonnent
Et dont les soirs sont rayonnants.

Où passait la serpe vaillante,
Le grand vide de la saison,
Et l’araignée a, patiente,
Tissé son fil sur le sillon.

Bien que l’hiver soit loin, morose,
L’air se vide, I’oiseau se tait ;
Sur la plaine qui se repose,
Le ciel répand sa pureté.

Théodore TUTCHEV in Katia Granoff, Anthologie de la poésie russe, Christian Bourgois.
(1803-1873)

Automnes malades…

Automne

Verdis, plus épais,
Feuillage de la treille
Au bord de ma fenêtre.
Jaillissez, plus serrés,
Grains jumeaux de la grappe,
Plus pleine, plus vite mûrissez !
Le soleil vous couve
Sous son regard d’adieu.
Du ciel propice
Le souffle vous charme.
D’une magique haleine
La lune vous baigne.
Hélas ! aussi vous humectent,
De ces yeux jaillissant,
Éternelle source de vie,
Les larmes de la vie,
Les larmes de l’amour.

Wolfgang GOETHE, Chansons, in Poésies de Goethe, Albin Michel.
(1749-1832)


Pommes éparses…

Pommes éparses
sur l’aire du pommier

Vite !
Que la peau s’empourpre
avant l’hiver !

Philippe JACCOTTET, Champ d’octobre, in Poésies (Gallimard)
(poète suisse, né en 1925)



Tout un jour…

Tout un jour les humbles voix
d’invisibles oiseaux
l’heure frappée dans l’herbe sur une feuille d’or
le ciel à mesure plus grand

Philippe JACCOTTET, Champ d’octobre, in Poésies, Gallimard



Derniers beaux jours

Cristal de septembre,
fragile, embué
d’un souffle léger,

la prunelle est bleue
le long du sentier
confus de clarté,

paroles dorées
qu’une voix timide
prononce à l’orée

des bois vieillissants
donnez à ma vie
quelque ombre de sens.

Henri THOMAS, Le monde absent, Gallimard. (né en 1912)


Chanson d’automne

Dans la lumière éclatante d’automne
Nous partîmes le matin.
La magnificence de l’automne

Tonne dans le ciel lointain.
Le matin qui fut toute la journée, Toute la journée d’argent pur,
Et l’air de l’or jusqu’à l’heure où Dionée
Montre sa corne dans l’azur.

Toute la journée qui était d’argent vierge,
Et la forêt comme un grand ange en or.
Et comme un ange bordé de rouge avec arbre comme un cierge clair
Brûlant feu sur flamme, or sur or !

Ô l’odeur de la forêt qui meurt, la sentir !
Ô l’odeur de la fumée, la sentir ! et de sang vif à la mort mêlée !
Ô l’immense suspens sec de l’or par la rose du jour clair en fleur !
Ô couleur de la giroflée !

Et qui s’est tu, et qui éclate, et qui s’étouffe, et reprend corps,
J’entends au cœur de la forêt finie,
Et qui reprend, et qui s’enroue, et qui se prolonge, plus sombre,
L’appel inaccessible du cor.

L’appel sombre du cor inconsolable
À cause du temps qui n’est plus,
Qui n’est plus à cause de ce seul jour admirable
Par qui la chose n’est plus.

Qui fut une fois, hélas,
Une fois et qui ne sera plus :
À cause de l’or que voici,
À cause de tout l’or irréparable,
À cause du soir que voici !
À cause de la nuit que voici !
À cause de la lune et de la Grande Ourse que voici.

Paul CLAUDEL, Corona Benignitatis Anni Dei, Gallimard.
(1868-1955) Le sceptre rouillé


Automne (extrait)

Pourquoi les ormes
Déchirent-ils leur robe,
Et battent-ils des bras
En leur souci dément ?
La paix dorée de l’été les a abandonnés.
Perdues, les clefs d’or,
Les primevères du bonheur,
Dans l’herbe grise ;
Tombés dans l’abîme
Les serments de l’amour.

Le grand roi
Au savoir étrange,
Seigneur de la forêt,
Renonce au combat
Contre les nuages,
Et laisse choir
Son sceptre rouillé ;
La pomme de sagesse
Et les joyaux de sa couronne
Pourrissent.

Les feuilles se détachent
Des troncs, comme blessées,
Comme des mains blessées qui planent.
Elles s’amassent en bas,
Un sépulcre cuivré
Pour les oiseaux mourants.

Et dans les ruines
Du donjon aux oiseaux
Habite encore le hibou nocturne
Dont les grands yeux
Éclairent le destin.

Yvan GOLL, Quatre odes, traduit par Claire Goll in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.


Quémandeur en automne

Son complet noir a des tons argentés
il reste devant la porte aux lions
fixant la sonnette fourbie
à bouton de cuivre qui reflète l’image
déformée des bicoques basses ;
il ne se décide pas
il s’en va errer autour d’arbres secs
et de caniveaux engorgés
fait craquer sous son pas les feuilles rouges ;
dans l’épicerie la flamme d’une chandelle à sa fin
vacille près des salaisons
et derrière son front passent
les vieilles pensées.

Jean FOLLAIN, Usage du temps, Gallimard.



Automne

Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise

Oh ! l’automne l’automne a fait mourir l’été
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools, N.R.F.
(1880-1918)



Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools, N.R.F.
(1880-1918)



Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools, N.R.F.
(1880-1918)




Jour d’automne


Seigneur, le temps est proche. L’été fut très grand.
Ton ombre, pose-la sur les cadrans solaires,
et sur les plaines lâche les vents.

Aux derniers fruits ordonne d’être mûrs,
accorde-leur encore deux journées plus sereines,
hâte leur perfection, et presse la suprême
douceur des sucs dans le vin lourd.

Qui n’a pas sa maison, or plus n’en bâtira,
Qui solitaire était, longtemps le restera,
Lisant et prolongeant ses lettres et ses veilles.
Et, agité, il marchera de-ci, de-là
dans les allées où tournoieront les feuilles.

Rainer Maria RILKE, Livres d’images, in Rainer Maria Rilke, poèmes et prose, traduit par Maurice Betz (Seghers) (poète autrichien, 1875-1926)


La fin de l’automne

Tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide. Les feuilles mortes de toutes essences macèrent dans la pluie. Pas de fermentation, de création d’alcool : il faut attendre jusqu’au printemps l’effet d’une application de compresses sur une jambe de bois.

Le dépouillement se fait en désordre. Toutes les portes de la salle de scrutin s’ouvrent et se ferment, claquant violemment. Au panier, au panier ! La nature déchire ses manuscrits, démolit sa bibliothèque, gaule rageusement ses derniers fruits.

Puis elle se lève brusquement de sa table de travail. Sa stature aussitôt paraît immense. Décoiffée, elle a la tête dans la brume. Les bras ballants, elle aspire avec délices le vent glacé qui lui rafraîchit les idées. Les jours sont courts la nuit tombe vite, le comique perd ses droits.

La terre dans les airs parmi les autres astres reprend son air sérieux. Sa partie éclairée est plus étroite, infiltrée de vallée d’ombre. Ses chaussures, comme celles d’un vagabond, s’imprègnent d’eau et font de la musique.

Dans cette grenouillère, cette ambiguïté salubre, tout reprend forces, saute de pierre en pierre et change de pré. Les ruisseaux se multiplient.

Voilà ce qui s’appelle un beau nettoyage et qui ne respecte pas les conventions ! Habillé comme nu, trempé jusqu’aux os.

Et puis cela dure, ne sèche pas tout de suite. Trois mois de réflexion salutaire dans cet état ; sans réaction vasculaire sans peignoir ni gant de crin. Mais sa forte constitution y résiste.

Aussi, lorsque les petits bourgeons recommencent à pointer, savent-ils ce qu’ils font et de quoi il retourne — et s’ils se montrent avec précaution, gourds et rougeauds, c’est en connaissance de cause.

Mais là commence une autre histoire, qui dépend peut-être mais n’a pas l’odeur de la règle noire qui va me servir à tirer mon trait sous celle-ci.

Francis PONGE, Le parti pris des choses, Gallimard. (né en 1899)



Hivers de glace et de lumière

Quand le gel vint aux mûres

Rouges et noires
L’âpre gel
Donnait du piquant à leur sève

J’en fis mon repas
À l’orée du bois
Dans le demi-jour et la brume

D’un pin en loques me contemplait
Le vieil Hiver

Kenneth WHITE, En toute candeur, Mercure de France.
(poète écossais, né en 1936)



Matin de neige à Montréal

Certains poèmes n’ont pas de titre
ce titre n’a pas de poème
tout est là dehors

Kenneth WHITE, Terre de diamant, Grasset.


Soir d’hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés.
Mon âme est noire : Où vis-je ? Où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !…

Émile NELLIGAN, Soirs hypocondriaques, in Robert Sabatier, La poésie du dix-neuvième siècle, Albin Michel
(poète canadien, 1879-1941)


La neige

La neige, se dit-il, est blanche et molle comme un amour révolu.
Elle tombe inopinément durant la nuit, dans tout son docte silence.
Au matin, la ville sanctifiée brillait toute blanche.
Une vieille cruche, rejetée dans la cour, était une statue.

Il ressentit le froid tranchant de la glace, l’immensité de la blancheur, comme un exploit personnel ;
un instant seulement il se troubla : peut-être ne lui restait-il
plus rien de chaud qu’il puisse rendre de glace, peut-être n’était-ce là
une victoire de la neige, mais tout bonnement une paix neutre,
une liberté sans rival et sans gloire.
Il sortit dans la rue, perplexe, et voyant le bonhomme de neige
que faisaient les enfants, il s’en approcha et lui mit en guise d’yeux deux charbons éteints ;
il eut un sourire vague et se battit avec eux à boules de neige jusqu’au soir.

Yannis RITSOS, Témoignages, in La sonate au clair de lune et autres poèmes, Seghers. (poète grec, né en 1909)


L’hiver qui vient (extrait)

Blocus sentimental ! Messageries du Levant !…
Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
Oh ! le vent !…
La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !…
D’usines…
On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ;
Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine,
Tous les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés,
Et tous les cors ont fait ton ton, ont fait tontaine !…

Allons, allons et hallali ! C’est l’Hiver bien connu qui s’amène ;
Oh ! les tournants des grandes routes,
Et sans le petit Chaperon Rouge qui chemine !…
Oh ! leurs ornières des chars de l’autre mois
Montant de donquichottesques rails
Vers les patrouilles des nuées en déroute
Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !…
Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue cette fois.

Et le vent de cette nuit, il en a fait de belles !
Ô dégâts, Ô nids, Ô modestes jardinets !
Mon cœur et mon sommeil : ô échos des cognées !…

Tous ces rameaux avaient encore leurs feuilles vertes.

Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes ;
Feuilles, folioles, qu’un bon vent vous emporte
Vers les étangs par ribambelles,
Ou pour le feu du garde-chasse,
Ou les sommiers des ambulances
Pour les soldats loin de la France.

C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses,
La rouille ronge en leurs spleens kilométriques
Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.

Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacies, rêve,
Rideaux écartés du haut des balcons des grèves
Devant l’océan de toitures des faubourgs,
Lampes, estampes, thé, petits-fours,
Serez-vous pas mes seules amours !…
……………
Non, non ! c’est la saison et la planète falote !
Que l’autan, que l’autan
Effiloche les savates que le temps se tricote !
C’est la saison, Oh ! déchirements, c’est la saison !
Tous les ans, tous les ans
J’essaierai en chœur d’en donner la note.

Jules LAFORGUE in Le Livre d’or de la poésie française, Seghers.