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Anthologie de poèmes sur le thème
du cirque



Le cirque

Zim
! Zim! Zim!
Cymbale sonne et l’on se grime
Le funambule fait la « gym »
Pour s’échauffer, car ça commence
L’éléphanteau entre en sa danse
Et le lionceau fait révérence
Mais il voudrait bien une lime
Pour ses barreaux — terrible engeance

Zim! Zim! Zim!
Le trapéziste est dans les cimes
Trapèze fin, tu te balances
Jongleurs, lancez bien en cadence
Tous vos ballons prenant semblance
D’un grand soleil — Que l’on s’escrime
!

Et que l’on rie quand le clown mime
!
Et qu’on écoute sa romance
!
Zim! Zim! Zim!

Jean-Pierre VOIDIES, La Fête en poésie, Gallimard.
(né en 1926)


Musiciens, bateleurs, enfants, joie

Les voici, doux et brunis par le soleil
les musiciens des rues
:
de leurs guitares, de leurs violes
ils sèment les accords à tout vent.
Cela se passait aux heures calmes,
blanches, dans la douce chaleur méridienne.

Couverts de joyaux, ruisselants de couleur
voici les bateleurs
: « Nos sauts périlleux sont notre vie et notre mort;
que ceux qui nous aiment soient généreux
! »
Cela se passait au jour tombant,
au plein de l’été, quand les épis embaument.

Simples, candides, s’égaillant
dans les prés moelleux et givrés,
ils dansent, ils volent, joyeux,
les enfants en blanches mousselines.
Cela se passait en avril florissant,
les sources gémissaient l’air était léger.

Carlo BETOCCHI, La Réalité triomphe du rêve, Éditions Saint-Germain-des-Prés.
(poète italien, né en1899)


Cirque

[…] Melle Zizi, la plus jeune écuyère de la troupe, exécute le saut périlleux, passe au travers de cerceaux dont elle crève le papier et sur ses minces poignets d’enfants accomplit, dans son maillot rose, un rétablissement de style avant d’envoyer des baisers autour d’elle puis, enfin d’arrêter la monture avec la même grâce et la même innocence qu’elle a montrées au cours de son exhibition.
- Ah! Ah! Monsieur Lionel vraiment, c’est épatant, n’est-ce pas? s’exclama bruyamment un Auguste. J’adore ce numéro.
- Je pense: il le mérite.
- Mais il faut que je vous dise. J’adore également la jolie Melle Zizi et je voudrais vous demander sa main.
Gantée de blanc, celle de M. Lionel s’abat sur la face du pitre. Des gens s’esclaffent. Mais les cuivres de l’orchestre attaquent un air plus vif et le numéro continue.
Cette fois Auguste débordant d’allégresse, se lancé à la poursuite de Melle Zizi, tombe, rebondit sur ses pieds, s’essuie, refait bouffer les plis de son pantalon et repart comme un fou.
- Ce n’est pas raisonnable, se contente de dire M. Lionel. Son fouet claque. On comprend, on admet qu’un clown ne possède aucune chance de séduire une étoile. Celle-ci par son dédain de l’hommage qu’Auguste lui rend publiquement, établit des distances qu’il ne saurait franchir. Plus il court, plus l’étoile l’ignore jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, le malheureux se jette à genoux, tire de sa poche un revolver énorme, l’appuie contre sa tempe: le coup part.
- Hop
! lance d’abord d’une voix sèche l’acrobate.
Saut en avant. Saut en arrière. Place au cirque! Qu’est-ce qu’un amoureux pour la foule? Melle Zizi se dresse adroitement sur les pointes puis se renverse en ondulant jusqu’à ce que son frais minois surgisse entre ses cuisses et que ses deux épaules se coulent, I’une après l’autre, par la même issue: soudain, lâchant le panneau, elle se redresse, flexible, sur ses bras minces et retombe enfin sur ses pieds.
- Et voilà, crie Auguste qui toujours éperdu d’amour, cesse de faire le mort et s’incline jusqu’à terre avec un gros bouquet qu’il s’est procuré on ne sait où. Bravo!

Francis CARCO, Poèmes en prose, Albin Michel. (1886-1956) « Un soir de beauté descendait »


L’enfant conduit au cirque

À la voisine venue pour mener son enfant
au cirque dont roulaient les tambours
Il ne faut pas disait la mère ardente
Qu’il soit mis comme un va-nu-pieds
:
Elle tendait donc les plis
Du tablier noir
y grattant d’un ongle brisé
des larmes de boue
Un soir de beauté descendait
qui s’épanouirait à la fin du cirque
en grande nuit glacée.

Jean FOLLAIN, Poèmes et prose choisis, N.R.F.
(1903-1971)


« Ce que c’est beau, le cirque »

[…] Ce soir le cirque vient au village
On s’amusera.
Les trapézistes
! Le bel attelage
De Miss Barbara
!
Ah
! dis! ce qu’elle est longue
la trompe de l’éléphant
!
Et, tu parles
! le phoque,
comment qu’il se défend
!
Regarde
! les couteaux
qui tombent dans la cible
!
Les acrobates… Tout vole en l’air
pas possible
!
Et ce nain
! Il a l’air
D’un géant mal écrit
Ce que c’est beau le cirque
!
Ce que c’est beau, mon Chéri
!

Le cirque est reparti, laissant un rond dans l’herbe.

Et puis moi je suis seule et je tourne dedans
Je tourne comme un vieux cheval. Adieu, superbe,
adieu vorace instant quand nous marchions ardents.

Jacques AUDIBERTI, Ange aux entrailles, Gallimard.
(1899-1965)



Au cirque

Ah! si le clown était venu!
Il aurait bien ri, mardi soir
:
Un magicien en cape noire
A tiré d’un petit mouchoir
Un lapin, puis une tortue
Et, après, un joli canard.
Puis il les a fait parler
En chinois, en grec, en tartare.
Mais le clown était enrhumé
:
Auguste était bien ennuyé.
Il dut faire l’équilibriste
Tout seul sur un tonneau percé.
C’est pourquoi je l’ai dessiné
Avec des yeux tout ronds, tout tristes
Et de grosses larmes qui glissent
Sur son visage enfariné.

Maurice CARÊME, La Fête en poésie, Gallimard.
(poète belge, 1899-1978)



Hier je suis allé…

Hier je suis allé au cirque. Maintenant je pense à vous. C’est le numéro de trapèze que j’ai préféré, rien ne ressemble autant à une page d’écriture
Un instant, j’ai eu envie de m’engager dans la troupe. Mais l’on m’aurait congédié, puisqu’il ne faut pas déranger les filles quand elles changent de costume. Hier, je suis allé au cirque. Maintenant je pense à vous.

Jean-Pierre ROSNAY, Les Diagonales, N.R.F. (né en 1926)


Le petit cirque

Le petit cirque a levé l’ancre
finie la fête aux bords de mer
le singe a beau faire le cancre
faut fermer boutique l’hiver
le clown a plié le rideau
Lola reprise son maillot
plus de soleil sur son échelle
faut déjà tirer la ficelle.

La neige tombera bientôt
sur la roulotte de soleil
le singe aura mis son tricot
Lola regardera le ciel
son jeune amant l’emmènera
courir les foires de banlieue
et dans les mains Lola lira
l’aventure en fermant les yeux
Il faudra veiller sur la troupe
les quatre chiens, le cheval blanc
faudra laver, cuire la soupe
en attendant, en attendant…
le singe aura mille chagrins
cachant la peine dans ses mains
le pauvre clown perdra patience
:
trop de neige et plus de finances

Mais la roue tourne et tournera
Ce soir sera soir de gala
le clown ouvrira le rideau
le cheval blanc danse un tango
sous le soleil des projecteurs
le singe rit de tout son cœur
y a des bravos, la vie est belle
Lola tourne au bout de l’échelle.

Marcel SAINT-MARTIN, Chanson inédite. (né en 1923)
Cirques magiques


Au cirque


Et maintenant, Mesdames et Messieurs, nous vous présentons, en grande première mondiale, sans cage, avec son poitrail multicolore et toute sa crinière au vent: le bonheur. (Tambour et musique). Il apparut. C’était vrai, c’était le bonheur. Et de quelle taille! Comme il n’était pas encore apprivoisé, il se jeta sur le public en rugissant et dévora la plupart des spectateurs.

Geo NORGE, Les Oignons, Seghers. (poète belge né en 1898)



Presque un prestidigitateur

De loin il diminue la lampe, il déplace les chaises sans les toucher. Il se fatigue il ôte son chapeau et s’évente.
Puis, d’un mouvement traînant, il fait sortir trois cartes derrière son oreille. Il dissout une étoile verte et sédative dans un verre d’eau, en la remuant avec une cuiller en argent.
Il boit l’eau et la cuiller. Il devient transparent. On peut voir dans sa poitrine nager un poisson rouge. Ensuite, exténué, il tombe sur le canapé et ferme les yeux.
« J’ai un oiseau dans la tête », dit-il, « je ne peux pas l’en faire sortir ». Les ombres de deux grandes ailes remplissent la pièce.

Yannis RITSOS, La Sonate au clair de lune, Seghers. (poète grec né en 1909)



Magie blanche


Ces serpents qui jaillissent hors de cette serviette
Ce sont quatre foulards que jeta ce sorcier
Si vous saviez amis ce que vaut sa
Science vous ririez abattus par trop de scepticisme

Tonnez canons de cuivre
! sur la corde tirez!
Tracez cercles de feu, fusées, pissat d’étoiles
!
Travaillez par dur labeur douces colombes qui tombez
Tendres et blanches neiges hors du filet attrape

Dans tous les gobelets sont liquides ou dés
Des mépris du calcul liqueur chimie des diables
Déroute de la vue des cinq sens dérision

Dans la poche profonde, se cache sa défense
Travailleur syndiqué en frac Noël des jours d’étrenne
Ce savant qui déçoit artiste qui se sauve

Raymond QUENEAU, Les Ziaux, Gallimard
(1903-1976)



Le cirque

1 — Les enfants dansent en rond
Ron ron ron ron ron ron ron ron
Le chat quitte la maison
Il va pêcher une friture
De grands et beaux poissons dorés
Rés rés rés rés rés rés rés rés
Les enfants volent des sous
Pour acheter des confitures
Pour acheter du poil à gratter
Pour acheter de belles images
Pour acheter des billes
Pour acheter un billet
attention

2 — Le clown-insecte arrive
Le clown-insecte est arrivé

3 — C’est l’étape il fait frais
C’est l’étape il fait bon
Ils arrivent ils arrivent
Tout couverts de lampions
Les dompteurs mangent des patates
Les ours avalent de l’ouate
Les autruches gobent des savates
L’écuyère croque des aromates
Mais nul Mais nul ne sait
Ce qu’absorbent les acrobates

4 — Si la trompe de l’éléphant
valait tant
on la vendrait à ce mendiant
pour émouvoir sa clientèle
Si le perroquet du Paraguay
était mort
on le vendrait à l’épicier
pour en faire de la salade

5 — Maman Maman ce cirque me fait peur
disait l’enfant à son papa
Le cirque petit repartira
répondit le grand-père

Là-dessus un orage éclata
qui mouilla
la foule entière
qui se réfugiait sous les charmants lilas
que tressent en arceaux les flonflons militaires

Raymond QUENEAU, Bucoliques, Gallimard. (1903-1976)



Académie Médrano

À Conrad Moricand.

Danse avec ta langue, Poète, fais un entrechat
Un tour de piste
sur un tout petit basset
noir ou haquenée
Mesure les beaux vers mesurés et fixe les formes fixes

Que sont LES BELLES LETTRES apprises

Regarde: les affiches se fichent de toi te
mordent avec leurs dents
en couleur entre les doigts
de pied
La fille du directeur a des lumières électriques
Les jongleurs sont aussi les trapézistes
xuellirép tuaS
teuof ed puoC
aç-emirpxE
Le clown est dans le tonneau malaxé

passe à la caisse
Il faut que ta langue {fasse l’orchestre les soirs où

Les Billets de faveur sont supprimés.


Novembre 1916

Blaise CENDRARS, Du monde entier, Gallimard.
(1887-1961)




Il faut bondir
Comme Douglas Fairbanks
de l’un à l’autre bord
de l’abîme

Ou, plus merveilleusement
faire blondin
souple et effleurant
sur un fil de la Vierge
entre tous les points d’orgue
et sans rompre
cet invisible fil de la Vierge

Norge
Étoiles à quatre pattes



Une vie de chien

Vitalis ouvrait la marche, la tête haute la poitrine cambrée, et il marquait le pas des deux bras et des pieds en jouant une valse sur un fifre en métal.
Derrière lui venait Capi, sur le dos duquel se prélassait M. Joli-Cœur, en costume de général anglais, habit et pantalon rouge galonné d’or, avec un chapeau à claque surmonté d’un large plumet.
Puis, à une distance respectueuse s’avançaient sur une même ligne Zerbino et Dolce.
Enfin je formais la queue du cortège, qui, grâce à l’espacement indiqué par notre maître, tenait une certaine place dans la rue. […]
Notre salle de spectacle fut bien vite dressée — elle consistait en une corde attachée à quatre arbres, de manière à former un carré long, au milieu duquel nous nous plaçâmes.
La première partie de la représentation consista en différents tours exécutés par les chiens. […]
[À la fin de la représentation], Capi prit une sébile entre ses dents, et marchant sur ses pattes de derrière, commença à faire le tour de « l’honorable société ». Lorsque les sous ne tombaient pas dans la sébile, il s’arrêtait et, plaçant celle-ci dans l’intérieur du cercle hors de la portée des mains, il posait ses deux pattes de devant sur le spectateur récalcitrant, poussait deux ou trois aboiements, et frappait des petits coups sur la poche qu’il voulait ouvrir.

Hector MALOT, Sans famille.
(1830-1907)




Bons chiens savants…

Bons chiens savants, chiens sans niches,
Loulous, barbets et caniches,
En moustaches de grognard,
Ce soir feront l’exercice,
Conscrit à l’air de saucisse,
Marquise au minois mignard
!

Jean RICHEPIN Extrait de Le Cirque d’Isis, André Sauret.



Le cheval du Cirque

Le cheval du Cirque est fatigué
d’être toujours blanc
toujours sale
toujours cheval
Il rêve aux taches café au lait
d’un léopard
et se trouve laid.
Il voudrait être loup, serpent
que sais-je
? blanc comme neige.
Il restera cheval
et traînera la troupe
dans la carriole couleur de soupe.

Marcel SAINT-MARTIN, L’Humour poétique, La Nef.
(né en 1923)



Jeune lion en cage

Captif, un jeune lion grandissait et plus il grandissait, plus les barreaux de sa cage grossissaient, du moins c’est le jeune lion qui le croyait… En réalité, on le changeait de cage pendant son sommeil.
Quelquefois, des hommes venaient et lui jetaient de la poussière dans les yeux, d’autres lui donnaient des coups de canne sur la tête et il pensait
: « Ils sont méchants et bêtes, mais ils pourraient l’être davantage; ils ont tué mon père, ils ont tué ma mère, ils ont tué mes frères un jour sûrement ils me tueront, qu’est-ce qu’ils attendent? »
Et il attendait aussi.
Et il ne se passait rien.
Un beau jour: du nouveau… Les garçons de la ménagerie placent des bancs devant la cage, des visiteurs entrent et s’installent.
Curieux, le lion les regarde.
Les visiteurs sont assis… ils semblent attendre quelque chose… un contrôleur vient voir s’ils ont bien pris leurs tickets… il y a une dispute, un petit monsieur s’est placé au premier rang… il n’a pas de ticket… alors le contrôleur le jette dehors à coups de pied dans le ventre… tous les autres applaudissent.
Le lion trouve que c’est très amusant et croit que les hommes sont devenus plus gentils et qu’ils viennent simplement voir, comme ça, en passant
:
« Ça fait bien dix minutes qu’ils sont là, pense-t-il, et personne ne m’a fait de mal, c’est exceptionnel, ils me rendent visite en toute simplicité, je voudrais bien faire quelque chose pour eux… ».
Mais la porte de la cage s’ouvre brusquement et un homme apparaît en hurlant
:
« Allez Sultan, saute Sultan! »
Et le lion est pris d’une légitime inquiétude, car il n’a encore jamais vu de dompteur.
Le dompteur a une chaise dans la main, il tape avec la chaise contre les barreaux de la cage, sur la tête du lion, un peu partout, un pied de la chaise casse, l’homme jette la chaise et, sortant de sa poche un gros revolver, il se met à tirer en l’air.
« Quoi
? dit le lion, qu’est-ce que c’est que ça, pour une fois que je reçois du monde voilà un fou, un énergumène qui entre ici sans frapper, qui brise les meubles et qui tire sur mes invités, ce n’est pas comme il faut. » Et sautant sur le dompteur, il entreprend de le dévorer, plutôt par désir de faire un peu d’ordre que par pure gourmandise…
Quelques-uns des spectateurs s’évanouissent, la plupart se sauvent, le reste se précipite vers la cage et tire le dompteur par les pieds, on ne sait pas trop pourquoi
; mais l’affolement c’est l’affolement, n’est-ce pas?
Le lion n’y comprend rien, ses invités le frappent à coups de parapluie, c’est un horrible vacarme
Seul, un Anglais reste assis dans son coin et répète
: « Je l’avais prévu, ça devait arriver, il y a dix ans que je l’avais prédit… »
Alors, tous les autres se retournent contre lui et crient
:

« Qu’est-ce que vous dites?… C’est de votre faute tout ce qui arrive, sale étranger, est-ce que vous avez seulement payé votre place? » etc.
Et voilà l’Anglais qui reçoit, lui aussi, des coups de parapluie…
« Mauvaise journée pour lui aussi » pense le lion.

Jacques PRÉVERT, Histoires, Gallimard




Les chiens comédiens de la Foire du Trône

Vers la fin de l’empire, une troupe de chiens s’illustra sur le Théâtre du Palais-Royal; il y avait le jeune premier et la jeune première, le comique, le tyran, le père noble, la soubrette, le corps de ballet, etc. Ces artistes à quatre pattes jouaient un mélodrame émouvant, dont l’héroïne était une jeune princesse russe, enfermée dans un château par un tyran farouche et que son fiancé voulait délivrer. La princesse, jolie épagneule à longues soies, se promenait mélancoliquement sur la tour, au pied de laquelle rôdait, langoureux et triste, le prince son fiancé, appartenant à la race des caniches. Tous deux s’aboyaient tendrement leur amour. Le tyran était un affreux bouledogue au gros nez camard. Les troupes du fiancé venaient se ranger sur la scène; c’étaient des barbets, des lévriers, des bassets avec un clairon qui avait la queue en trompette. L’armée ennemie se composait de danois, de chiens anglais de griffons, de roquets, de carlins. Les éclaireurs circulaient furtivement, tenant dans la gueule un bâton avec une lanterne à chaque bout. L’assaut s’exécutait avec furie, et, après des péripéties diverses, la princesse innocente était délivrée et le tyran farouche emmené prisonnier; avec les honneurs dus à son rang.
Le spectacle terminé, on donnait un os à ronger au général en chef une pâtée à l’amoureuse et des boulettes à tous les artistes.

Nicolas BRAZIER, Chronique des petits théâtres, Allardin.
(auteur dramatique et chansonnier français, 1783-1838)




« Vous pourriez déranger la chance »

Le funambule

Un sentier de fil tendu et si mince qu’un ange n’y pourrait cheminer
que les ailes ouvertes
;

Rien que l’espace alentour -, très bas et très haut l’espace charmeur
et mortel.

Ô funambule, il n’est pas de solitude comparable à la tienne et tu
n’as d’autre compagnon

Que cette mort toujours te parlant à l’oreille et te pressant de lui céder.

Ah
! quelle danse étrange où le moindre faux pas punit de mort
le danseur
!

Quelle fidélité où le moindre mensonge immole le menteur.

De ton pied intelligent, tu choisis le nombre d’or entre cent nombres
perfides — et chacun de tes orteils est vainqueur de cent énigmes.

Tandis que tes bras levés et tes paumes bien ouvertes semblent
toucher une rampe de vent ou calmer les sirènes du vide.

Une grâce vigoureuse dicte la foi forte et chaste à tes genoux, à ta
nuque.

Et tu poursuis un voyage dans la pure vérité.

Tu marches
; plus rien en toi ne peut dormir ou rêver. O justice,
ô vigilance.

Et tu es comme l’avare qui perdrait tout son trésor en perdant un
seul denier.

L’oiseau des cimes t’admire en ta haute pauvreté. Il a dans l’air vaste
et nu mille soutiens transparents
:

Toi, tu n’as pour seul appui qu’un fil nié par les yeux, le plus frêle
fil du monde entre deux bords de cristal.

Tu inventes la balance où rien d’impur ne survit et quel juste
partage est fait dans l’équilibre du monde.

Entre huit grains de poussière et deux plumes de mésange!

Si ta main va s’emparer de quelque invisible pêche, tu sais la fondre
en toi-même et goûter son jus profond de la lèvre au bout des pieds.

O prince du suspens, ô maître de l’audace, chaque pas que tu fais
engendre des musiques en des lieux bercés hors du temps
;

Et la terre envieuse et l’abîme dompté ne pouvant t’engloutir, ont pris
parti de t’adorer.

Règne donc dans un tourment aux figures de délice
; caresse d’une
main savante les grands fauves endormis,

Puisque tu vois danser ton âme à la distance d’un seul pas et que ta main va l’atteindre.

O solitaire, ô lucide, risque à chaque instant de perdre un séjour
obéissant, un empire de saisons pour gagner un pas de plus.

Georges NORGE, Oeuvres poétiques, Seghers



Cirque

J’aime le cirque, ses jeux, les odeurs, ses lumières. Bêtes et gens y contribuent au même ensorcellement. Des phoques jongleurs aux poneys turbulents, aux otaries qui se balancent avec des cris aigus, aux éléphants toujours lents mais habiles à se mouvoir, aux chiens savants, à l’ours qui danse, à l’âne qui compte et secoue ses oreilles, chacun entre dans le cercle et se prête docilement au rôle qui lui est assigné. La vedette n’est jamais usurpée par personne. C’est au « travail » qu’on la distribue sur l’affiche. Les « volants » y ont droit, les premiers, en raison des dangers qui, chaque soir, les guettent au cours de leurs périlleux exercices.
Demandez à la direction combien de trapézistes manquent parfois au programme. Hommes et femmes du voyage savent que peut-être pour le grand, le dernier — celui dont on ne revient pas — qu’ils embarquent sur le quai d’une gare passée minuit, après la représentation. Le train s’ébranle. Ô départs dans la pluie, le vent, la brume d’hiver ou les chaudes senteurs de l’été. Convois qui roulent. Une affiche qu’éclabousse le jet brutal d’un phare d’auto sur les murs d’un faubourg désert et endormi, atteste encore que Lilian, Jack et Joé sont la reine et les rois incontestés du « grand ballant ». Pour combien de temps encore l’affiche mentionne-t-elle ces trois noms en grosses capitales noires sur un fond parsemé d’étoiles
? Nul ne répond: cela vaut mieux.
- S’il vous plaît, vint un matin me dire poliment un acrobate qui répétait avec ses partenaires sur la piste de Médrano. Il ne faut pas rester assis, comme vous l’êtes, en nous tournant le dos. Cela n’est pas bon pour le travail. Vous pouvez déranger la chance.
Un jour terne tombait des lucarnes de la voûte sur les housses grisâtres des fauteuils.
- Excusez, fit encore l’artiste.
Une écuyère montait un pur-sang noir qu’elle obligeait en comptant « ein, dzwein, dreen! » à marquer la mesure sans le concours d’aucun orchestre. De dehors nous parvenait par intervalles le grondement des trams de boulevard.
- Il s’agit d’un numéro de précision, m’apprit l’ami qui me pilotait. Des Suédois. Tu vas voir: triple saut périlleux en hauteur. Attention. Là! regarde.
Mais à l’instant précis où l’acrobate bondissait du tremplin pour accomplir successivement trois sauts, I’écuyère inclinait sa monture dont la croupe luisante me sembla, tout à coup, de l’angle où je l’apercevais, prolonger un torse de femme dans une monstrueuse, fumante, indécente et luxurieuse nudité.
Francis CARCO (op. cit.)
Degas, Picasso, F. Léger, W.H. Brow, Jacques Villon, José de Ribéra, G. Doré



Le dernier paradis

« … Qu’il s’agisse de la croupe d’une merveilleuse jument en train de tourner sous les saxophones, du museau d’un phoque où se pose la sphère de caoutchouc, du numéro de petit accordéon du clown à étoiles, des bons mots des excentriques, des pyramides de familles à bicyclettes, des anneaux, des savants, du monsieur en habit qui découpe la dame en travesti, de la gueule des lions et du pantalon des éléphants, il y a une règle cachée, un rythme clandestin qui court sous les phases du divertissement
: ce sont les grâces de la danse acrobatique… […]
Il y a toujours, sous les splendeurs du silence et du rire, un avertissement nuancé, un imperceptible bercement, qui rappelle les ondes de la danse. Il faut suivre ici les lois sublimes de l’agréable, de la persuasion. Le cirque est un lieu qui sonne le rassemblement de toutes les formes, les plus ailées, les plus lointaines, les plus muettes, de la danse. Le cirque, avec ses maquillages et ses sauts périlleux, ses combinaisons à l’infini de cercles de voltiges, ses entrées de clowns réglées comme des valses, est à la fois un endroit magique et classique. »

Léon-Paul Fargue (1876-1947)




Cirques et clowns

En France pas de village ou de gros bourg, où par l’odeur et la musique, sinon par des infiniment petits à peine perceptibles on ne soit, le matin même de son arrivée, prévenu du cirque. Un invisible héraut a parcouru votre sommeil, surtout le sommeil des enfants, et il a fait connaître à ces parties de la sensibilité qui s’intéressent à la chose, que le cirque était là, rond, grisâtre, encombré de ses roulottes, tout sonore de ses animaux, et répandu à la ronde par les émanations si promptes et si significatives de son crottin. Le cirque est là, avec son passé, ses légendes, son pittoresque, et surtout cet air naturel qui fait que personne, dans les plaines ou sur la montagne, place d’Italie ou sur les remparts de Marseille… personne ne s’en étonne.
[…] Par ses fauves et ses funambules, ses chevaux et ses clowns si tristes, si vrais, si purs, le cirque est le dernier chaînon qui nous reste du lien, du cordon ombilical par quoi nous étions, par quoi nous sommes encore en communication avec le commencement du monde, avec le Paradis, avec les premiers tâtonnements des Messieurs et des Dames sur cette terre de serpents, d’éclairs et de littérateurs. […]
Quelle que soit la dose d’indifférence que l’on ait absorbée, on rit de toute sa condition d’homme. On rit parce que c’est humain, et dangereux
: n’oubliez jamais, en entrant comme en sortant, que le cirque est une institution sérieuse. Nous nous y amusons sans doute, et principalement quand nous sommes enfants, c’est-à-dire aux heures des constructions de l’esprit, de la peinture quasi géniale et de la cruauté sans remords. Nous nous y amusons parce que des bêtes et des grimaces s’y trouvent réunies, rassemblées en une sorte de monstre en aggloméré qui pète de la musique et rugit des visions. Parce que le cirque, au fond, est une superbe image synthétique. Nous nous y amusons, mais tout en sachant bien que nous y frisons aussi la mort. Ne venez pas me dire que ce n’est pas vous qui vous balancez sur un trapèze, qui enfilez, motocyclette entre les cuisses, les aiguilles de la mort! Car nous participons tous. De secrètes informations, au plus aigu des réminiscences animales, nous rappellent à tout moment, sous le ciel rose des flonflons, que le cirque est naturel, que cette anxiété que nous éprouvons devant les acrobates et les danseuses de corde, les cygnes savants ou les illusionnistes, c’est l’anxiété même du monde. Nous remontons ensemble avec les 5000, les 10000 places des grands spectacles communautaires, nous remontons vers nos premières difficultés, nos premiers jeux, nos premiers frissons pour vivre: les escalades, les luttes pour un fruit, les longs ennuis des âges de pierre et de fer. Le cirque terminait sous les feux, il y a des siècles et des siècles, les jeux impurs des hommes et leur soif de vertiges…


Léon-Paul FARGUE,
Dîners de lune, Gallimard.