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Anthologie de poèmes sur le thème du Feu


Les poètes de ce dossier :

— Aloysius Bertrand, poète français 1807-1841).
— René-Guy Cadou, poète français (1920-1951).
— Louis Codet, poète français (1876-1914).
— Paul Éluard, poète français (1895-1952).
— Victor Hugo, poète français (1802-1885).
— Ismaïl Kadaré, poète albanais (né en 1936).
— Paol Keineg, poète breton, bilingue (né en 1944).
— Charles Le Quintrec, poète français (né en 1926).
— Vladimir Maïakovski, poète soviétique (1894-1930)
— Thomas Merton, poète américain (né en 1915)
— Frédéric Nietzsche, philosophe et poète allemand (1844-1900).
— Kenneth Patchen, poète américain (né en 1911)
— Francis Ponge, poète français (né en 1899).
— Saint-Pol-Roux, poète français (1861-1940).
— André Schmitz, poète français.
— Édith Sodergran, poétesse finlandaise (1892-1923).
— Taliesin, barde gallois (Vle siècle).


Le feu

Le feu fait un classement : d’abord toutes les flammes se dirigent en quelque sens…

(L’on ne peut comparer la marche du feu qu’à celle des animaux : il faut qu’il quitte un endroit pour en occuper un autre ; il marche à la fois comme une amibe et comme une girafe, bondit du col, rampe du pied…)

Puis, tandis que les masses contaminées avec méthode s’écroulent, les gaz qui s’échappent sont transformés à mesure en une seule rampe de papillons.

Francis PONGE, Le Parti pris des choses, Gallimard.




« La singerie ici-bas du soleil »

[…] LE FEU n’est que la singerie ici-bas du soleil. Sa représentation, accrue en intensité et en grimaces, réduite quant à l’espace et au temps.
Le feu, comme le singe, est un virtuose. Il s’accroche et gesticule dans les branches. Mais le spectacle en est rapide. Et l’acteur ne survit pas longtemps à son théâtre, qui s’écroule brusquement en cendres un instant seulement avant le dernier geste, le dernier cri. […]

Francis PONGE, Le soleil toupie à fouetter, III, in Pièces (Gallimard, 1962)


« Avec une fureur sans égale… »

Il éclate avec une fureur sans égale,
Le feu rapide et véhément.
Nous le louons au-dessus de la terre,
Le feu, cruel météore de l’aube,
Sur la plus haute tempête,
Plus haute que les nuages.
Grand est son souffle,
Il ne faiblit jamais
Depuis les noces de Llyr.
Son chemin est un ruisseau,
Il rage dans les grands courants,
Dans les sourires de l’aube, repoussant l’obscurité,
Dans l’aube, avec violence,
À chaque saison convenable,
À la saison de ses détours,
Aux quatre phases de sa course.
Je veux exalter la violence
De son tumulte et de sa colère profonde.

TALIESIN in Les Grands Bardes Gallois, Falaize.



Le village Tuda
(extrait)

On dit que
Jadis, avant la venue de l’homme,
Une colline prit feu et la déesse Anna
Mourut, en criant dans les flammes, le ventre
Brûlé comme une outre d’huile.
Le lendemain le monde se divisa en quatre :
Le lieu de l’eau,
Le lieu du ciel,
Le lieu de l’esprit,
Et le lieu de l’air.
On dit que la terre n’existait point,
Bien que beaucoup de gens ne connussent qu’elle.

Sur cette colline d’étranges êtres s’embrassaient
Et leurs enfants haïssaient l’espèce sur terre.

Kenneth PATCHEN
in 35 jeunes poètes américains, Ed. Gallimard



L’enfer
(extrait)

Un four rougi à blanc ici bas n’est que fumée, au prix du feu de l’enfer, du feu qui dévore les âmes damnées, mieux vaudrait brûler, en ce four, jusqu’à la fin du monde, que d’être, pendant une heure, tourmenté en enfer.

Ils hurlent à tue-tête, comme des chiens enragés ; ils ne savent où fuir ; partout des flammes ! des flammes sur leur tête, des flammes sous leurs pieds, des flammes de tous côtés, qui les dévoreront à jamais […].

Ce sera Satan qui leur préparera à manger et les ordures des monstres de l’enfer, ramassées dans les ruisseaux de feu, qu’il leur servira ; et pour boisson, ils auront leurs larmes, mêlées de mille et mille immondices et de sang de crapaud.

Et leur peau sera écorchée et leur chair déchirée par la dent des serpents et des démons et leur chair et leurs os seront jetés au feu, pour alimenter la fournaise immense de l’enfer.

Après qu’ils auront été laissés quelque temps dans les flammes, ils seront plongés, par Satan, dans un lac de glace ; et du lac de glace replongés dans les flammes, et des flammes dans l’eau, comme la barre de fer en forge.

Alors ils se mettront à pleurer, à pleurer amèrement : — Ayez pitié, mon Dieu, ayez pitié de nous !
Mais ce sera en vain qu’ils pleureront, car tant que Dieu durera, dureront leurs tourments et leurs maux.

Le feu qui les brûlera en enfer sera si vif que leur moelle bouillira dans leurs os ; plus ils demanderont grâce, plus ils seront tourmentés ; ils auront beau hurler, ils brûleront éternellement.

Chant populaire de la Bretagne in Barzaz BREIZ (Librairie Académique Perrin)



Dans les ruines de New York
(extrait)
…..

La lune est plus pâle qu’une actrice, et te pleure, New York ;
Elle cherche à te voir à travers les ponts en lambeaux,
Et se penche pour entendre le faux timbre
De ta voix trop raffinée,
Dont les chants se sont tus !

Oh, qu’il fait calme après la noire nuit
Où les flammes sorties des nuages carbonisèrent tes dents cariées,
Et les éclairs Percèrent les noirs furoncles de Harlem et du Bronx,
Et dispersèrent les prisonniers restants
(Les vivants par dizaines et vingtaines)
Sur les arbres de Jersey,
Sur les fermes vertes, pour qu’ils y trouvent la liberté.

Comment sont-elles détruites, comment sont-elles tombées,
Ces grandes et fortes tours de glace et d’acier
Fondues par quelle terreur et quel miracle ?
Quels feux, quelles lumières ont arraché,
Dans la blanche colère de leur accusation,
Ces tours d’argent et d’acier ?

Toi dont les rues ont grandi sur les treilles,
Racines à Bowling Green et pivots dans l’Upper Bay,
Comme tu es dépouillée jusqu’au squelette ;
Qu’est devenue ta chair vive et morte ?
Où sont les lueurs de tes feuilles obscènes ?
Oh, là où tes enfants au soir de ton dernier dimanche,
Tiraient les uns sur les autres à l’ombre du Paramount,
Les cendres des tours détruites et les volutes de fumée s’enchevêtrent encore,

Et voilent tes obsèques dans leur brume ;
Elles écrivent en braises ton épitaphe […]

Thomas MERTON, Formes pour une Apocalypse, (1947) in
35 jeunes poètes américains, Gallimard.



Le bombardement de Saint-Malo
(extrait)


Ce sont cinq cents bombes terribles,
Dont cent matières combustibles
Remplissent la capacité.

Ces bombes sont pleines de soufre,
De salpêtre et de vitriol,
De nitre, de camphre et de poudre,
De résine et de pétréol,
Toutes matières inflammables
Et d’enflammer aussi capables,
Parce qu’elles ont plusieurs trous,
Par où ces pâtes allumées,
Par où ces pâtes enflammées
Peuvent se distiller sur nous…
1694

Anonyme in La Poésie bretonne d’expression française, Presses Universitaires de Bretagne



La locomotive
(extrait)

Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.

D’un bout de l’Europe à l’autre,
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu,
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
À travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.

Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.

Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,

Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes
Des corps d’armée de rêves,
À grand-peine, en jetant des
Car i ! ils étaient lourds,
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.

Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.

Ismaïl KADARÉ in La nouvelle poésie albanaise, P.J. Oswald.



« Je suis aussi nu que le feu… »

Je suis aussi nu que le feu
Que la fougère
Que la nuit où crèchent les bœufs
Nu comme un ver.

Mes mains. Des insectes dedans.
Mes mains me brûlent.
Les oiseaux y boivent souvent
Une eau de lune.

Mains qui consacrent Qui consolent.
Messe des mains
Qui déplacent la nuit des hommes
Jusqu’au matin.

Suis-je si seul d’être si vieux
Quel est mon crime ?
Je suis aussi nu que le feu
Que Dieu domine…

Charles LE QUINTREC, Stances du Verbe Amour, Albin Michel




L’esprit du feu
(extrait)

Feu
Devant lequel je suis seul ce soir
Avec mes mains et cette armure végétale
Où se brise mon sang
Profitons du moment
Pour tout dire
Steppe, rouge beauté
Lassos de tendre chair
Je suis le cavalier qui traverse cet air
Où le fauve bondit dans les cercles de flamme
Feu sur moi sur mon front
Dans mes yeux difficiles
Et sur la vitre lourde éclaboussée d’embruns.
[…]
C’est d’abord un jardin où sommeille l’enfance
Des roses mutilées parodient la souffrance
Des portes en s’ouvrant assombrissent les pas
Puis c’est un homme seul qui s’avance
Et qui saigne
Il est beau
Car le sang lumineux qui le baigne
Touche son front si blanc que rien ne ternira
Enfin voici le feu
Où je brûle mes ailes
Ô mains mes pauvres mains effroyables gazelles
Arrêtez ce flot noir où mon cœur se repent
Je veux vivre à tâtons
Dans l’ombre de moi-même
Ne savoir jamais plus
Le nom de ce que j’aime
Puisqu’au bout de la nuit
Arrêtez ce flot noir où mon cœur se repent.

René-Guy CADOU, La Vie Rêvée, in Œuvres Poétiques complètes, Seghers.



« Demande à la flamme… »

Demande à la flamme
pourquoi elle brûle

les chats de novembre
ne craignent pas la pluie

de seuil en deuil
l’amour te déchire

la joie saigne
et remplit la joue

cherches-tu sur cette herbe
à convoquer les morts ?

tourneras-tu toujours les yeux
vers la voie lactée de l’enfance ?

les mains sur le feu
je suis né pour vaincre.

Paol KEINEG, Lieux Communs, Gallimard.



Chanson du joli feu de bois

Claque, claque, mon joli feu
Qui flambe dans ma cheminée
Claque, mon joli feu de bois,
Claque, claque ;
Comme le postillon du roi !

Le jeune postillon à perruque poudrée
S’en va au grand galop sur la route royale,
Pressant son blanc cheval entre ses cuisses bleues,
Et il fait, d’un bras joyeux,
Claquer son fouet,
Qui arrache trois feuilles vertes
À cette branche de printemps…

Claque, mon joli feu de bois,
Comme le postillon du roi !…

Dansez, hautes flammes légères,
Trémoussez-vous, comme dansaient
En robes claires,
Comme dansait, hier encore,
En robe blanche, en robe d’or,
La reine avec toutes ses femmes
Dans ses Tuileries
Chaudes et fleuries !…

Dansez, molles et belles flammes,
Comme la reine entre ses femmes !

À présent, meurs vite, éteins-toi,
Meurs, mon joli feu de bois,
Comme sont morts
Dans leurs décors
Les charmants héros d’autrefois,
Les jeunes postillons du roi
Et les reines dans leurs palais,
Tous les printemps, toutes les fêtes,
Tous les poètes…

Louis CODET, Poèmes et Chansons, N.R.F.



L’éclair

Éclair qui te caches dans un nuage,
Éclair bleu que je vois,
Quand jailliras-tu ?
Éclair, ô toi, béni,
Chargé de foudre, fécondant, purifiant,
Je t’attends, exténuée.
Mon corps gît comme une loque
Pour pouvoir une fois, saisi par des mains électriques,
Plus ferme que tous les minerais de la terre,
Envoyer l’éclair.

Édith SÖDERGRAN, Poèmes complets, Pierre-Jean Oswald.


Au feu

Feu, feu, feu du foyer d’en bas, feu du foyer d’en haut,
Lumière qui brille dans la lune, lumière qui brille dans le soleil
Étoile qui étincelle la nuit, étoile qui fend la lumière, étoile filante.

Esprit du tonnerre, œil brillant de la tempête,
Feu du soleil qui nous donne la lumière,
Je t’appelle pour l’expiation, feu, feu !

Feu qui passe, et tout meurt derrière tes traces,
Feu qui passe, et tout vit derrière toi,
Les arbres sont brûlés, cendres et cendres,
Les herbes ont grandi, les herbes ont fructifié.

Feu ami des hommes, je t’appelle, feu, pour l’expiation !
Feu, je t’appelle, feu protecteur du foyer,
Tu passes, ils sont vaincus, nul ne te surpasse,
Feu du foyer, je t’appelle pour l’expiation !

Ethnie fang du Gabon in Anthologie nègre de Blaise CENDRARS, Corréa.


Pour vivre ici

Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver,
Un feu pour vivre mieux.

Je lui donnai ce que le jour m’avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,

Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.

Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur ;
J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée,
Comme un mort je n’avais qu’un unique élément.

Paul ÉLUARD, Le Livre Ouvert, Gallimard.



Le Phénix
(extrait)

La flamme est la nuée du cœur
Et toutes les branches du sang
Elle chante notre air

Elle dissipe la buée de notre hiver.

Nocturne et en horreur a flambé le chagrin
Les cendres ont fleuri en joie et en beauté
Nous tournons toujours le dos au couchant

Tout a la couleur de l’aurore.

Paul ÉLUARD, Le Phénix, Gallimard


Façons de dire

— Faire feu des quatre fers
— Être tout feu tout flamme
— Faire la part du feu
— Jeter de l’huile sur le feu
— Jouer avec le feu
— Mourir à petit feu
— Tirer les marrons du feu
— Mettre à feu et à sang
— Mettre le feu aux poudres
— N’y voir que du feu
— Se jeter au feu pour quelqu’un
— Faire long feu
— Mettre sa main au feu
— N’avoir ni feu ni lieu
— Avoir le feu sacré
— Monter au feu (au combat)

Dictons

— Si le bois ne brûle pas du côté de quelqu’un, on dit qu’il l’a volé.
— La fumée va toujours du côté des gens rechignés.

Proverbes

— Il n’y a pas de fumée sans feu — Il n’est feu que de bois vert


La nue empantalonnée
(extrait)

« Allô ! Qui
« Parle ?
« Maman ? »
— C’est maman !
— Maman, votre enfant est malade magnifiquement
Maman !
Il est malade d’incendie du cœur.
À Liouda, Olia, mes sœurs,
Dites qu’il n’a plus où s’en sauver avec sa vie
Toute parole,
Toute drôlerie,
Qu’il crache hors sa bouche d’incendie assiégée
Est comme la prostituée nue qui
D’une maison publique en feu est jetée.

Toute une gent va reniflant :
— « Ça sent le brûlé ».
On fait venir… qui ?… je ne sais :
Des rutilants,
Avec des casques !
Inutiles, les bottes de géant !
Aux sapeurs-pompiers allez disant :
Sur un cœur montez non pas avec des casques, mais des caresses !

C’est moi l’incendie :
L’amas de larmes dans mes yeux,
je le vide en barils.

Qu’on me permette sur mes côtes de m’arc-bouter :
Je vais sauter. Je vais sauter. Je vais sauter. Je vais sauter.
Les pompiers à terre ont croulé.
On ne peut hors du cœur sauter.

Sur le visage tout brasier
Un géant baiser carbonisé
Hors la fissure des lèvres crevassées
S’élance, grandit en flamme.

Maman Je ne puis avoir de chant.
Dans le chœur du cœur les stalles prennent feu.
Embrasées, des figures de chiffres et de mots,
Hors les murs du cerveau
Tels des bambins hors d’un édifice d’incendie,
Font le saut.

Ainsi l’effroi
De ne pouvoir aux nues accrocher les doigts
À suspendu
Les bras en flamme du Lusitania.

Ô mon dernier cri,
Quoi que soit ce que tu cries
Gémis dans les siècles que je suis en incendie !

Vladimir MAIAKOVSKI in Quatre poètes russes, Le Seuil.



Le signe de feu

Ici, où parmi les mers l’île a surgi,
pierre du victimaire se dressant escarpée,
ici, sous le ciel noir, Zarathoustra
allume son feu des hauteurs, —
signes de feu pour les pilotes en détresse,
point d’interrogation pour ceux qui savent répondre…

Cette flamme aux courbes blanchâtres,
— vers les froids lointains élève les langues de son désir
elle tourne sa gorge vers des hauteurs toujours plus pures —
semblable à un serpent, dressé d’impatience :
Ce signe je l’ai placé devant moi.

Mon âme elle-même est cette flamme :
insatiable, vers de nouveaux lointains,
sa tranquille ardeur s’élève plus haut.
Pourquoi Zarathoustra a-t-il fui les animaux et les hommes ?

Pourquoi s’est-il enfui brusquement de toute terre ferme ?
Il connaît déjà six solitudes —,
Mais la mer elle-même ne fut pas assez solitaire pour lui,
il se hissa sur l’île, sur la montagne il devint flamme,
maintenant, vers une
septième solitude
il jette son hameçon chercheur par-dessus sa tête.

Pilotes en détresse ! Ruines de vieilles étoiles !
Et vous, mers de l’avenir ! cieux inexplorés !
vers tout ce qui est solitaire je jette maintenant l’hameçon :
répondez à l’impatience de la flamme
pêchez pour moi, le pêcheur des hautes montagnes,
ma septième, ma
dernière solitude ! —

Frédéric NIETZSCHE, Dithyrambes à Dionysos, (1888) in Poésies (Mercure de France)




Flammes

Des langues !

Une fois la semaine, une douzaine de fantoches (et ce citron de perspective qu’ils seront pions de province demain) envahissent ma table.
Après qu’avec les tisonniers jaillis de leurs yeux ils se sont réciproquement écarté leurs cendres de moustache, une flamme avivée rampe, se tord, pétille, gicle en chacune des douze bouches aux joues réfractaires, et ces flammes tant s’expriment qu’on ne distingue plus qu’elles bientôt et que leur somme parvient à symboliser un bûcher de sectaires ridicules, martyrisant la pureté, la vaillance, la gloire vraie, la merveille absolue, et les femmes et les amis absents…
Ô ces opiniâtres aspics !

Ce jour-là, le Supplice du Feu m’est familier dans son intégrale épouvante.
Aussi passer devant un rôtisseur me rappelle que, chez moi, l’on rôtit hebdomadairement, et que ma patience (ô ma pauvre, ta lassitude ?) m’y transforme en oie (suis-je modeste !) de première grandeur.
D’écœurement mon front se dore, de dépit mon foie se racornit, de stupeur mes os craquettent…
À se jeter par la fenêtre dans la faim des mendiants qui rôdent ! Mais le devoir d’hôte me rive à la broche.

Des langues !
Paris, 1888

SAINT-POL-ROUX, Les Reposoirs de la Procession (II), Mercure de France



De son bec d’acier

De son bec d’acier, I’éclair ouvre le fruit,
fracture le noyau, y découvre un arbre,
parcourt un verger, en déchire les fruits.

Et le cycle accompli, l’oiseau-feu s’éteint.
Ses ailes de cendres redeviennent fable
parmi les rousseurs d’un étrange festin.

André SCHMITZ, Bételgeuse n° 21 in Le Bestiaire Fantastique, Larousse)



Le Satyre
(extrait)

C’était l’heure où sortaient les chevaux du soleil ;
Le ciel, tout frémissant du glorieux réveil,
Ouvrait les deux battants de sa porte sonore ;
Blancs, ils apparaissaient formidables d’aurore ;
Derrière eux, comme un orbe effrayant, couvert d’yeux,
Éclatait la rondeur du grand char radieux ;
On distinguait le bras du dieu qui les dirige ;
Aquilon achevait d’atteler le quadrige ;
Les quatre ardents chevaux dressaient leur poitrail d’or ;
Faisant leurs premiers pas, ils se cabraient encor
Entre la zone obscure et la zone enflammée ;
De leurs crins, d’où semblait sortir une fumée
De perles, de saphyrs, d’onyx, de diamants,
Dispersée et fuyante au fond des éléments,
Les trois premiers, l’œil fier, la narine embrasée,
Secouaient dans le jour des gouttes de rosée ;
Le dernier secouait des astres dans la nuit.

Victor HUGO, La Légende des Siècles



La Salamandre

Grillon, mon ami, es-tu mort, que tu demeures sourd au bruit de mon sifflet, et aveugle à la lueur de l’incendie ? Et le grillon, quelque affectueuses que fussent les paroles de la salamandre, ne répondait point, soit qu’il dormit d’un magique sommeil, ou bien soit qu’il eût fantaisie de bouder.

« Oh ! chante-moi ta chanson de chaque soir dans ta logette de cendre et de suie, derrière la plaque de fer écussonnée de trois fleurs de lis héraldiques ! »

Mais le grillon ne répondait point encore, et la salamandre éplorée, tantôt écoutait si ce n’était point sa voix, tantôt bourdonnait avec la flamme aux changements couleurs rose, bleue, rouge, jaune, blanche et violette.

« Il est mort, il est mort, le grillon mon ami ! » Et j’entendais comme des soupirs et des sanglots, tandis que la flamme, livide maintenant, décroissait dans le foyer attristé.

« Il est mort ! Et, puisqu’il est mort, Je veux mourir ! » Les branches de sarment étaient consumées, la flamme se traîna sur la braise en jetant son adieu à la crémaillère, et la salamandre mourut d’inanition.

Aloysius BERTRAND, Gaspard de la nuit. (Flammarion)


Quelques lectures…

— BARBUSSE (Henri). Le Feu.
— BAZIN (Hervé). L’Huile sur le Feu.
— CHATEAUBRIAND. Voyage en Amérique.
— D’ANNUNZIO (Gabriele). Le Feu.
— GIONO (Jean). Les Vraies richesses.
— NOVALIS. Henri d’Ofterdinger.
— ROSNY (J.H.). La Guerre du feu.
— SAND (George). Histoire du Rêveur.
— TAZIEFF (Haroun). Cratères en feu.
— VERNE (Jules). L’Archipel en feu.
— ZOLA (Émile). Le Docteur Pascal.