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Anthologie de poèmes sur le thème du vent


CHANSON DE LA ROSE DES VENTS

C’est le vent du Sud qui fait l’amour aux scabieuses
C’est le vent du Sud qui fait l’amour au soleil

C’est le vent du Nord qui fait la mort à la terre
C’est le vent du Nord qui fait la mort à l’amour

C’est le vent d’Ouest qui fait le songe à la mer
C’est le vent d’Ouest qui fait le songe au sommeil

Et c’est le vent d’Est qui fait le jour à la nuit
Et c’est le vent d’Est qui fait le jour à la vie

Georges Emmanuel Clancier (né en 1914), Une Voix, Gallimard


« L’âme qui aime le vent s’anime aux quatre vents du ciel. Pour beaucoup de rêveurs, les quatre points cardinaux sont surtout les quatre patries des grands vents. Les quatre grands vents nous paraissent, à bien des égards, fonder le Quatre cosmique. Ils livrent la double dialectique du chaud et du froid, du sec et de l’humide. »

Gaston BACHELARD, L’air et les songes, José Corti.


LA GIRAFE

La girafe et la girouette,
Vent du sud et vent de l’est,
Tendent leur cou vers l’alouette,
Vent du nord et vent de l’ouest.

Toutes deux vivent près du ciel,
Vent du sud et vent de l’est,
À la hauteur des hirondelles,
Vent du nord et vent de l’ouest.

Et l’hirondelle pirouette
Vent du sud et vent de l’est,
En été sur les girouettes,
Vent du nord et vent de l’ouest.

L’hirondelle fait des paraphes,
Vent du sud et vent de l’est,
Tout l’hiver autour des girafes,
Vent du nord et vent de l’ouest.

Robert Desnos (1900-1945), Chantefables et Chantefleurs, Grund




LE CHEVAL VOLANT ANNONCE LA VICTOIRE
(D’une affiche à la porte de la mine)

Valeureux coursier
À rouge crinière,
Long hennissement,
Vent de quatre sabots,
Tu t’envoles au fond des nuages diaprés.
Selle d’or
Étrier d’argent.
À l’ouvrier te chevauchant
Une lampe éclaire la route
Haut arc-en-ciel étincelant.
Dans sa main dix mille tonnes de pétrole
Auréole en feu cernant les ors noirs,
À l’éclat de pourpre enflammant le ciel.

De grands caractères écrivent en or :
« J’ouvre la voie rouge ! »
Le tambour de guerre
Peut sonner trois fois :
En haut se déploient trois grands drapeaux rouges,
Dont les rires vont roulant au vent d’est
Sous ses pieds la mer haute du pétrole,
Et le flot fluant du fer en fusion.
File par les nues,
File par les brumes,
Par monts et par eaux file vers Pékin
Où sont réunis les héros.

Sun Youtian poète chinois



(Transposition d’une affiche dont on peut supposer tes intentions toniques, ce texte offre l’exemple d’un trait d’union entre le message publicitaire et le poème héroïque. Il faut préciser que le « vent d’est » — qui souffle au printemps — est le symbole du socialisme ; le cinéaste Jean-Luc Godard a choisi cette expression comme titre d’un de ses films.)



LE VENT

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre
Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent
Qui se déchire et se démembre
En souffles lourds, battant les bourgs,
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes,
Les seaux et les poulies
Grincent et crient.

Le vent rafle, le long de l’eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d’oiseaux ;
Le vent râpe du fer
Et précipite l’avalanche,
Rageusement, du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Émile Verhaeren (1855-1916) poète belge
in
Les Villages illusoires, Mercure de France




DE LA DOUCEUR DE CE MONDE
1
Sur cette terre, parcourue par un vent froid,
Un Jour, vous êtes, tous, arrivés nus comme un petit enfant,
Grelottant et qui ne possède rien.
Puis, une femme vous donna un lange.
2
On ne vous avait pas appelés. On voulait vous ignorer.
On n’était pas venu vous chercher en voiture.
Ici sur cette terre, vous étiez des inconnus.
Puis, un homme, un beau jour, vous prit par la main.
3
Le monde ne vous doit rien :
Si vous voulez partir, personne ne vous retient.
Vous ressembliez à beaucoup d’autres enfants.
Nombreux sont ceux qui vous ont pleurés.
4
Cette terre, parcourue par un vent froid
Vous la quitterez, tous, couverts de croûtes et de gale.
Vous saurez que vous avez aimé ce monde
Lorsqu’on vous jettera deux poignées de terre.

Bertolt Brecht (1898-1956) poète allemand, Les Sermons Domestiques




DAME AU BALCON

Soudain, elle apparaît, enveloppée de vent,
claire dans la clarté, arrachée, semble-t-il,
et sa chambre, taillée en biseau,
remplit la porte derrière elle,

sombre comme le champ d’un camée
dont les bords sont frangés de lumière ;
et tu as l’impression que le soir n’était pas
avant qu’elle apparût pour, sur la balustrade,

déposer encore un peu d’elle-même :
les mains encore — afin d’être légère :
comme offerte au ciel par les files
de maisons, mobile à tous les vents.

Rainer Maria Rilke (1875-1926), poète autrichien
Nouveaux poèmes, Seuil


(Nous identifions dans ce texte un aspect de la thématique de Rilke, souvent exprimé dans les « Nouveaux poèmes », à savoir ce mouvement entre une Intériorité exiguë (la chambre) et une extériorité sans limites (l’espace aérien). Entre le dedans et le dehors, il y a une complémentarité saisie dans l’instant. L’accord se fait, irrévocable, entre le mal du poète et I’immensité.)



Un coup de vent fripon retrousse les jupons, même il
gonfle les toiles dont la plage s’étoile.

Hé ! voici qu’une tente fait de l’aéro-plage ! Le voyage
me tente. Accrochons-nous ! J’enrage,

impossible : c’est moi qui la dessine et peins, d’une
main, les cinq doigts de l’autre à mon pépin.

Tente, reste ici-bas ! montre à tous ta grande âme !
résiste ! et que ce mât fasse au vent qui t’acclame
claquer son oriflamme !

Paul Fort (1872-1951), Ballades flamandes, in Vive Patrie !, Flammarion.




Ce n’était pas
Une aile d’oiseau.

C’était une feuille
Qui battait au vent.

Seulement,
Il n’y avait pas de vent.

S’il faut rendre compte
Des beautés du monde,

On n’oubliera pas
Les moulins à vent

Que le vent détraque
Et qui nous oublient

Pour le vent,
l’aurore et la liberté.

Guillevic (né en 1907), Exécutoire, Gallimard



LE VENT NOCTURNE

Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales
Les elfes rire au vent ou corner aux rafales
Attys Attys Attys charmant et débraillé
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé
Parce qu’un de tes pins s’abat au vent gothique
La forêt fuit au loin comme une armée antique
Dont les lances ô pins s’agitent au tournant
Les villages éteints méditent maintenant
Comme les vierges les vieillards et les poètes
Et ne s’éveilleront au pas de nul venant
Ni quand sur leurs pigeons fondront les gypaètes.

Guillaume Apollinaire (1880-1918), Alcools, Gallimard




LE VENT
Le vent essaie d’écarter les vagues de la mer. Mais les vagues tiennent à la mer, n’est-ce pas évident, et le vent tient à souffler… non, il ne tient pas à souffler, même devenu tempête ou bourrasque il n’y tient pas. Il tend aveuglément, en fou, et en maniaque vers un endroit de parfait calme, de bonace, où il sera enfin tranquille, tranquille.
Comme les vagues de la mer lui sont indifférentes ! Qu’elles soient sur la mer ou sur un clocher. ou dans une roue dentée ou sur la lame d’un couteau, peu lui chaut. Il va vers un endroit de quiétude et de paix où il cesse enfin d’être vent.

Mais son cauchemar dure déjà depuis longtemps.

Henri Michaux (né en 1899), La Nuit remue, Gallimard


(« Le drame de Michaux est celui d’un homme déchiré entre le désir d’une action qui le ferait exister dans le monde et sa vocation ou sa nature contemplative qui le fait vivre l’œil sur le bassin intérieur. »

Robert BRÊCHON, In Michaux, Gallimard.)




PHÉBUS ET BORÉE

Borée et le Soleil virent un voyageur
Qui s’était muni par bonheur
Contre le mauvais temps. On entrait dans l’automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut ; le soleil luit ; et l’écharpe d’lrls
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire.
Les Latlns les nommaient douteux pour cette affaire.
Notre homme s’était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé ; bonne étoffe bien forte.
« Celui-ci, dit le vent, prétend avoir pourvu
À tous les accidents ; mais il n’a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte
Qu’il n’est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s’en aille au diable.
L’ébattement pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? — Eh bien, gageons nous deux
Dit Phébus sans tant de paroles,
À qui plutôt aura dégarni les épaules
Du cavalier que nous voyons.
Commencez. Je vous laisse obscurcir mes rayons. »
Il n’en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau ;
Le tout au sujet d’un manteau.
Le cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans.
Cela le préserva, le vent perdit son temps :
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme ;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
Le soleil dissipe la nue
Récrée, et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encore n’usa-t-il pas de toute sa puissance.

Plus fait douceur que violence.

Jean de La Fontaine (1621-1695), Fables, livre 6, fable 3




PRECIOSA ET LE VENT (extrait)


De sa lune en parchemin,
Preciosa s’en va jouant.
En la voyant s’est levé
le vent qui jamais ne dort.
Gros saint Christophe tout nu,
hérissé de langues bleues,
il guette l’enfant qui joue
d’une douce cornemuse,
d’une cornemuse absente !
— Enfant, laisse-moi lever
ta robe pour te bien voir ;
ouvre dans mes doigts très vieux
la rose bleue de ton ventre.
Preciosa jette la lune
la lune du tambourin ;
elle court à perdre haleine ;
ce vieux vert-galant de vent,
la pourchasse, l’atteint presque
de son glaive tout brûlant.

la mer fronce sa rumeur,
les oliviers ont pâli,
les flûtes de l’ombre chantent
le gong des neiges frémit.

— Preciosa cours, Preciosa,
le vent-satyre te prend !
Preciosa, cours, Preciosa,
le voilà qui vient, qui vient,
satyre d’étoiles nues
avec ses langues luisantes.

Preciosa, morte de peur,
se glisse dans la maison
du Consul de l’Angleterre
là-haut, plus haut que les pins.
Tout effrayés par ses cris,
viennent trois carabiniers,
leurs capes noires plaquées
aux corps et les noirs képis
bien enfoncés sur le front.
L’Anglais donne à la gitane
une coupe de lait tiède
et un verre de genièvre
que Preciosa ne boit pas.
Et tandis qu’elle raconte
en pleurant son aventure,
là-haut, sur le toit d’ardoise,
le vent mord avec furie.

Federico Garcia Lorca (1898-1936), poète espagnol, Romancero gitan, in Chansons gitanes et poèmes, Seghers.




LE VENT

Je suis le vent joyeux, le rapide fantôme
Au visage de sable, au manteau de soleil.
Quelquefois je m’ennuie en mon lointain royaume ;
Alors je vais frôler du bout de mon orteil
Le maussade océan plongé dans le sommeil.
Le vieillard aussitôt se réveille et s’étire
Et maudit sourdement le moqueur éternel
L’insoucieux passant qui lui souffle son rire
Dans ses yeux obscurcis par les larmes de sel.
À me voir si pressé, l’on me croirait mortel :
Je déchaîne les flots et je plonge ma tête
Chaude encor de soleil dans le sombre élément
Et J’enlace en riant ma fille la tempête ;
Puis je fuis. L’eau soupire avec étonnement :
— C’était un rêve, hélas ! — Non, c’était moi, le Vent !
Ici le golfe invite et cependant je passe ;
Là-bas la grotte implore et je fuis son repos ;
Mais, poète ! comment ne pas aimer l’espace,
L’inlassable fuyard qu’on ne voit que de dos
Et qui fait écumer nos sauvages chevaux !
Il n’est rien ici-bas qui vaille qu’on s’arrête
Et c’est pourquoi je suis le vent dans les déserts
Et le vent dans ton cœur et le vent dans ta tête ;
Sens-tu comme je cours dans le bruit de tes vers
Emportant tes désirs et tes regrets amers ?
Les amours, les devoirs, les lois, les habitudes
Sont autant de geôliers ! Avec moi viens errer
À travers les Saanas des chastes solitudes !
Viens, suis-moi sur la mer, car je te veux montrer
Des ciels si beaux, si beaux qu’ils te feront pleurer
Et des morts apaisés sur la mer caressante
Et des îles d’amour dont le rivage pur
Est comme le sommeil d’un corps d’adolescente
Et des filles qui sont comme le maïs mûr
Et de mystiques tours qui chantent dans l’azur.
Tu n’interrompras point cette course farouche ;
Tu fuiras avec moi sans t’arrêter jamais ;
La vie est une fleur qui meurt dès qu’on la touche
Et ceux-là seuls, hélas, sont les vrais bien-aimés
Oui se fanent trop tôt sous nos regards charmés.
Ici j’éteins le ciel, plus loin je le rallume ;
Quand ce monde d’une heure a perdu son attrait
Je souffle : le réel s’envole avec la brume
Et voici qu’à tes yeux éblouis apparaît
L’arc-en-ciel frais éclos sur la jeune forêt !
— Un jour tu me crieras : « Je suis las de ce monde
Oui meurt et qui renaît ; je voudrais sur le sein
De quelque noble vierge apaisante et féconde
Endormir pour longtemps le stérile chagrin
De ce cœur enivré de tempête et de vin ! »
Alors je soufflerai, rieur, sur ton visage
Du pur soleil d’automne et sur l’esquif errant
Le frisson vaporeux des pourpres du naufrage ;
Et l’aube te verra dormir profondément
Sur le sein de la mer illuminé de vent !

O.V. de L. MILOSZ (1877-1939), Les Éléments, in Poésies, tome 2, André Silvaire.




NUIT DE PLUIE ET DE VENT
(extrait)

Le grand vent furieux secoue les arbres et les sorghos, gronde, gronde
La pluie serrée cingle. La pluie qui gronde gronde.
Nous face au vent contre la pluie
Sommes l’armée qui va de l’avant, grondant, grondant.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .
À quoi bon ton fracas, nuit pleine de trous noirs ?
Nous fourrons au filet l’armée trente-deux, l’armée soixante-six
Et quand nous aurons tiré le lacet,
Nous mettrons à mort l’ennemi coincé au Mont des Moutons.

Alors tu pourras, vent, partir bien loin d’ici annoncer la nouvelle.
Alors tu pourras, nuit, secouer la poudre de canon qui nous colle au corps,

Alors tu pourras tonnerre cogner le grand tambour de la victoire
Sur les talons des ennemis en débandade.

Yan-Yi, poète chinois




ODE AU VENT D’OUEST
(extrait)

Ô sauvage vent d’ouest, souffle même de l’automne

Âme sauvage qui te meus par tout l’espace
Ô destructeur et vivificateur, écoute, ô écoute !
Ô irrésistible ! — Si seulement
Je pouvais redevenir ce que j’étais dans mon enfance,

Camarade de ton vagabondage à travers l’espace,
Alors que surpasser ta vitesse céleste
Semblait à peine une folie, jamais je ne me serais débattu,

Jamais Je ne t’aurais supplié comme je fais dans ma détresse,
Oh ! soulève-moi comme une vague, comme une feuille, comme un nuage.
Je m’affaisse sur les épines de la vie ! Je saigne !

Le poids trop lourd des heures a paralysé, a courbé
Un être qui te ressemblait trop, Indompté, rapide et fier.
Fais de moi ta lyre, fais-moi chanter comme la forêt !
Et quand bien même mes feuilles tomberaient comme tombent les tiennes !

Le tumulte de tes puissantes harmonies
Fera sortir de moi comme d’elle une musique profonde, automnale.
Douce bien que si triste. Âme ardente,
Sois mon âme ! sois moi-même, ô Impétueux.

Shelley (1792-1822), poète anglais, Poésies.



« Partout, l’âme du monde renouvelée dans l’inspiration du poète a une individualité profonde. La rafale est sauvage et pure. Elle meurt et renaît. Et le poète suit la vie même du souffle cosmique. Dans le vent d’Ouest il respire une âme océanique, une âme vierge de toute atteinte terrestre. Et la vie est si grande que l’automne lui-même a un avenir. »

Gaston Bachelard, L’air et les songes, José Corti.


CHANSON

Le monde est plein de perte : apporte, vent, mon amour
Mon domicile est à l’endroit de nos rencontres,
Et l’amour est cela que je toucherai et lirai
Sur ce visage.

Soulève, vent, mon exil de mes yeux ;
La paix à regarder, la vie à entendre et confesser,
La liberté de trouver trouver trouver
Cette nudité.

Muriel Rukeyser (née en 1913) poétesse américaine, in 35 Jeunes poètes américains, Gallimard



LA GUITARE

J’ai laissé pendre ma guitare dans les branches.
Le vent chante tout seul, écoutez sa chanson,
Il dit : « Je veux, moi vent, moi le vent sans maison,
Me reposer en toi guitare aux belles hanches.
Et toi tu nageras comme un poisson
Au ventre blanc dans ce ruisseau de sons.
À la harpe des bois j’arrache un chant sauvage,
Des grands troncs creux je tire un cri de bête,
La mer pleine de morts me rend un son de fête,
Je fais hurler comme des chiens tous les rivages,
Siffler les murs malchanceux et les toits. Ma voix, ma propre voix
Vide de moi, riche de tant de choses,
Je la retrouve en toi guitare, en toi.
Aussi faut-il qu’en ton berceau je me repose. »

Lanza del Vasto
(né en 1901) poète sicilien,
Le Chiffre des Choses, Denoël



LA MAISON DE VENT

J’ai ma maison dans le vent sans mémoire,
J’ai mon savoir dans les livres du vent,
Comme la mer j’ai dans le vent ma gloire,
Comme le vent j’ai ma fin dans le vent.

Lanza del Vasto
(né en 1901) poète sicilien,
Le Chiffre des Choses, Denoël



VENTS (extrait)

… C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes — de très grands vents à l’œuvre parmi nous
Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah ! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril,
Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles.

C’étaient de très grandes forces au travail, sur la chaussée des hommes — de très grandes forces à la peine
Qui nous tenaient hors de coutume et nous tenaient hors de saison, parmi les hommes coutumiers, parmi les hommes saisonniers,
Et sur la pierre sauvage du malheur nous restituaient la terre vendangée pour de nouvelles épousailles.

Saint-John Perse (né en 1887) in Œuvre Poétique, tome 2, Gallimard.



PROMENADES DANS LES ROCHERS
(extrait)

Sérénité de tout ! majesté ! force et grâce !
La voile rentre au port et les oiseaux aux nids.
Tout va se reposer, et j’entends dans l’espace
Palpiter vaguement des baisers infinis.

Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe,
Et de l’enfant qui chante il emporte la voix.
Ô vent ! que vous courbez à la fois de brins d’herbe
Et que vous emportez de chansons à la fois !

Qu’importe ! Ici tout berce, et rassure, et caresse.
Plus d’ombre dans le cœur ! plus de soucis amers !
Une ineffable paix monte et descend sans cesse
Du bleu profond de l’âme au bleu profond des mers.

Victor Hugo (1802-1885), Les Quatre vents de l’Esprit



BALLADE DU SILENCE CRAINTIF

Ici, quand le vent meurt,
les mots défaillent.
Et le moulin ne parle plus.
Et les arbres ne parlent plus.
Et les chevaux ne parlent plus.
Et les brebis ne parlent plus.

Se tait le fleuve.
Se tait le ciel.
Se tait l’oiseau.
Et se tait le perroquet vert.
Et, là-haut, se tait le soleil.

Se tait la grive.
Se tait le caïman.
Se tait l’iguane.
Et se tait le serpent.
Et, en bas, se tait l’ombre.

Se tait tout le marais.
Se tait tout le vallon.
Et se tait même la colombe
qui au grand jamais ne se tait.

Et l’homme, toujours silencieux,
de peur, se met à parler

Rafaël Alberti (né en 1902) poète espagnol, Ballades et Chansons du Paraña,
in. R. Alberti, Seghers, coll. Poètes d’Aujourd’hui.