Etymologie

Étranger, aubain, forain

L'ancien français a connu deux autres mots qui ont signifié « étranger », mais dont les sens actuels sont très éloignés de ce premier sens.

Le premier est aubain.
C'était un terme juridique qui désignait une personne originaire d'un pays étranger et vivant en France. Il se présente sous la forme
alibanus en latin du Moyen Âge. D'où vient ce mot alibanus?

On le rattachait autrefois à l'adverbe latin
alibi, « ailleurs ». Mais les étymologistes préfèrent maintenant lui attribuer une origine germanique et y reconnaissent un mot composé d'ali « autre » et de ban « domination » - « qui est soumis à un autre seigneur ».

Ces
aubains étaient soumis au droit d'aubaine: à leur mort, leur héritage revenait non à leurs héritiers légitimes, mais au seigneur du lieu.
Cet usage barbare disparut à mesure que les pays concluaient entre eux des traités qui assuraient à leurs ressortissants un traitement plus humain.

Il n'en est resté que le mot
aubaine, qui désigne un profit inespéré, un avantage inattendu (ce qu'était pour un seigneur l'héritage d'un étranger qui mourait sur son territoire).


Le second mot est forain, qui vient du latin postérieur foranus, dérivé de l'adverbe foris, qui signifiait « au-dehors » (comme extraneus a été fait sur extra).

Forain, au sens d' « étranger », s'employait surtout dans des expressions toutes faites, mais ces expressions étaient assez nombreuses.
Parmi celles qui ont subsisté le plus longtemps :
la caution foraine que devaient fournir les étrangers plaidant contre un sujet du roi ; la rade foraine, où des navires étrangers pouvaient séjourner, même en temps de guerre. La traite foraine était une taxe levée sur les marchandises importées ou exportées (comme nos droits de douane actuels).

Un marchand forain (ou simplement un forain) était un marchand étranger au pays ou, au moins, à la province ou à la localité. Comme ces marchands fréquentaient surtout les foires, on a rattaché forain à foire, bien qu'il n'y ait aucun rapport étymologique entre les deux mots

Foire vient en effet du latin feria « jour férié », qui s'est dit des jours de marché. Si bien qu'actuellement un marchand forain est un marchand qui vend dans les foires et les marchés, par opposition aux commerçants sédentaires qui sont fixés dans une ville ou un village.

La notion de
foire a même été dépassée: on appelle fêtes foraines l'ensemble des loteries, baraques de friandises, manèges, etc., tenus par des forains, dont la réunion est autorisée à certaines époques de l'année (sans qu'il y ait une foire proprement dite).

Seul donc
étranger, détaché d'étrange, a subsisté dans son sens propre. Aubaine et forain ont été entraînés, à la suite de circonstances particulières, dans des sens très différents.

Le mot «Étranger»


Pour expliquer le mot
étranger, il faut partir de l'adverbe latin extra (également préposition et préfixe) qui signifie « en dehors ».

Dès l’époque latine, on a construit sur
extra un adjectif dérivé: extraneus, qui, par une évolution phonétique normale, a abouti à estrange, puis à étrange.

Au Moyen-Âge,
étrange a couramment le sens d' « étranger ».

« 
Chevalier suis d'étrange terre » (Je suis un chevalier d'une terre étrangère) est un vers octosyllabe qu'on trouve assez souvent dans les romans courtois.

Mais
étrange a développé le sens de « bizarre », « singulier », « extraordinaire ».

À une époque où les voyages étaient moins fréquents qu'aujourd'hui, des habitudes, des manières, des vêtements, des objets peu connus pouvaient facilement susciter l'étonnement.

Le double sens du mot
étrange devenait gênant.

Des gens
étranges pouvaient être des étrangers, mais aussi, simplement, des personnes qui sortent de l'ordinaire.

On constate que les deux sens coexistent encore au XVIe siècle
:
nations étranges - pour « nations étrangères » - ne surprend personne et La Fontaine (qui a souvent le goût d’une langue un peu archaïque) emploie encore cette expression dans ses Fables (Le Renard anglais, XII, 23).

Peu de nos chants, peu de nos Vers,
Par un encens flatteur amusent l’Univers
Et se font écouter des nations étranges.


Mais le remède à cette ambiguïté est apparu dès le XIVe siècle, avec la création du mot « 
étranger », qui a pris le sens ancien et premier du mot, alors que le mot « étrange » a porté le sens secondaire.

Le suffixe
ier (devenu er après les consonnes ch et g) a simplement ici une valeur différenciatrice.
Il a permis de distinguer les deux sens d'
étrange, en affectant un mot différent à chacun.

Jacques Prévert réunit les deux mots dans le titre d’un poème célèbre :
Etranges étrangers, Grand bal de printemps Éditions Gallimard, 1976. 


Mais, encore aujourd'hui, « 
étranger » cumule deux notions.

II peut se dire d'un
autre pays, mais aussi simplement d'une autre localité, d'un autre milieu, d'une autre famille. Quand on dit qu'un enfant est timide avec les étrangers, cela signifie simplement « avec les personnes qui ne sont pas de sa famille ou de son entourage habituel ».

Dans les villages, on appelle encore quelquefois
étrangers les habitants de la localité voisine…

Étranger peut même se dire de ce qui n'a pas de rapport avec une personne:

« 
L’idée de race m'est étrangère » (elle n'entre point dans ma façon habituelle de penser).


Neige, givre et frimas


Si
grêler, grêle et grêlon sont d'origine inconnue, la dénomination de la neige vient du latin. Le verbe du latin populaire nivicare, qu'avait remplacé ninguere, a donné le verbe neiger. Le nom latin de la neige (nix, à l'accusatif nivem) est devenu, par le jeu des changements phonétiques, noif en ancien français. Mais on ne voyait plus le rapport entre noif et neiger et, au XIVe siècle, noif a été éliminé au profit de neige, fait d'après neiger.


Le mot
glace est le latin glacies, devenu glacia par un changement qui a affecté la plupart des noms de ce type (facies, par exemple, est devenu facia, d'où le français face).
Il existe cependant un représentant de
glacies: c'est le deuxième élément du mot verglas, anciennement verreglas, c'est-à-dire glace lisse comme du verre.


Gel et gelée sont aussi d'origine latine (gelu et gelare), mais le mot givre est d'origine inconnue. Il est curieux de noter que ce mot se substitue de plus en plus depuis le XVIIIe siècle à frimas (d'origine germanique), qui nous apparaît aujourd'hui comme relégué dans une langue littéraire un peu désuète - mais bien charmante.

Chandelles, cierges et bougies

Les Romains s’éclairaient de flambeaux de bois résineux, de lampes à huile, et de cylindres de matière grasse traversés d’une mèche dans le sens de la longueur.
Il en existait de deux sortes
: les pauvres se contentaient de la candela, en suif (graisse de bœuf), les riches utilisaient le cereus, en cire.
L’usage de ces deux mots s’est poursuivi en français
: candela a donné chandoile, chandelle, et cereus a donné cierge.

Au Moyen-Âge, l’usage des cierges n’est pas réservé aux églises
; les poètes décrivent des salles de château éclairées de nombreux «cierges» donnant une lumière qui rivalise avec celle du jour.

Mais, à mesure que le mot
cierge a pris un sens religieux, un autre mot est apparu pour désigner les cylindres de cire. Comme c’était de la ville de Bougie, sur la côte algérienne, que provenait la cire la plus réputée, on disait, au XIVe siècle « chandelle de Bougie », puis « bougie ».

Les bougies étaient un luxe au XVIIe siècle
: les pauvres et les avares, comme Harpagon, s’éclairaient à la chandelle, qui sentait mauvais et dont la mèche grésillait.

La Comtesse d’Escarbagnas, dans la pièce de Molière, commande à sa servante d’allumer « 
deux bougies ». La pauvre petite, bien en peine, rétorque: « je n’ai que des bougies de suif »; toute la salle s’esclaffait à l’époque, alors que, désormais, nous ne comprenons pas que la petite n’ose pas dire, devant les invités: « Je n’ai que des chandelles »… La périphrase « bougies de suif » devait beaucoup amuser le public.

Dans le théâtre classique, on changeait ou «mouchait» les chandelles qui éclairaient les lustres et la rampe (devant de la scène) à intervalles réguliers, environ toutes les vingt minutes : la longueur des actes d’une pièce était déterminée par le temps que la chandelle brûlait sans avoir besoin d’être mouchée

Aujourd’hui, nos bougies modernes ne sont plus en cire, mais en stéarine.
Les chandelles ont disparu, mais le mot survit dans quelques expressions familières
: faire des économies de bouts de chandelle, voir trente-six chandelles, brûler la chandelle par les deux bouts, tenir la chandelle

Les jours de la semaine


Les noms des jours de la semaine remontent à l’époque (fin de l’Empire romain) où, à la division de l’année en mois, seule connue des classiques, a été ajoutée la division du temps en semaine. La semaine de sept jours, d’origine orientale, a reçu en grec et en latin des noms dérivés du nombre sept : hebdomas en grec, septimana en latin (d’où provient notre mot semaine).

Ces noms sont composés du nom d’une divinité antique et du mot latin
dies, « jour ». Leur place respective n’était pas fixée à l’origine. En français et en italien, dies se trouve en second ; il se trouve en tête dans divers parlers, notamment en provençal. En espagnol, on n’emploie que le nom de la divinité sans dies. Également en roumain, par exemple luni, « lundi » ; samedi et dimanche portent des noms judéo-chrétiens et dimanche une forme tout à fait particulière.

Lundi vient du latin populaire lunis dies, « jour de la lune » au lieu du latin classique lunae dies, d’où l’ancien français lunsdi, l’italien lunedi, l’ancien provençal diluns, l’espagnol lunes. Chez les Germains, le lundi était également consacré à la lune : allemand Montag, anglais Monday.

Mardi vient du latin martis dies, « jour de Mars » (dieu de la guerre), d’où l’ancien français marsdi, l’italien martedi, l’ancien provençal domars, l’espagnol martes.

Mercredi vient du latin populaire mercoris dies, altération du latin classique mercurii dies, « jour de Mercure » (dieu du commerce et de la médecine, et messager des dieux). L’ancien français dit mercresdi, l’italien mercoledi, l’ancien provençal dimercres, l’espagnol miercoles. L’allemand dit Mittwoch, « milieu de la semaine ».

Jeudi vient du latin jovis dies, « jour de Jupiter » (le roi des dieux), de même que l’ancien français jousdi, l’italien giovedi, l’ancien provençal dijous, l’espagnol jueves. L’allemand Donnerstag et l’anglais Thursday contiennent le nom du tonnerre divinisé, assimilé au Jupiter romain.

Vendredi vient de Veneris dies, « jour de Vénus » (déesse de la beauté et de l’amour), de même que l’ancien français vendresdi, l’italien venerdi, l’ancien provençal divenres, l’espagnol viernes. L’allemand Freitag et l’anglais Friday contiennent le nom de la déesse germanique Freya, assimilée à Vénus.

Samedi remonte au latin populaire sambati dies, « jour du sabbat », où sambatum est une altération de sabbatum. Le passage de sambedi à samedi s’explique comme celui d’Ambianos (nom de peuple gaulois) à Amiens. L’ancien provençal dit disapte, l’italien sabato, l’espagnol sabado, l’allemand Samstag (anciennement sambaztag). L’anglais Saturday, « jour de Saturne » (père de Jupiter, détrôné par son fils) est le témoin d’une couche plus ancienne, antérieure à la diffusion du vocabulaire judéochrétien.

Dimanche est tout à fait à part. Il remonte à une forme du latin populaire dia dominica, « jour du Seigneur ». Il apparaît donc comme d’époque chrétienne et a remplacé un ancien dies solis, « jour du soleil », qui subsiste en anglais (Sunday) et en allemand (Sonntag). La forme dia dominica comporte un nom féminin du « jour » (dia), suivi d’un adjectif signifiant « du seigneur ». Dia dominica est devenu en ancien français diemenche, où l’a final de dia est devenu un e prononcé séparément de di et avec élimination de la syllabe do par superposition avec la syllabe initiale di. L’e de die est tombé dans la prononciation et dimanche, parfois encore féminin au Moyen Âge, s’est masculinisé sous l’influence des noms des autres jours de la semaine. L’italien dit domenica (féminin), l’espagnol domingo (masculin) et l’ancien provençal dimenge.

En principe, la date, où figure la place du jour dans le mois (le 8 novembre 2010) devrait suffire. L’adjonction du nom du jour (
mardi) ajoute une notion plus concrète, mieux localisée, mieux accueillie par la mémoire dans l’usage courant (mais non dans les dates historiques).

De plus, la semaine commande la vie quotidienne, quand ce ne serait qu’en réglant les jours de congé des adultes et des écoliers. On comprend que, lorsqu’il s’agit d’une date peu éloignée, le nom du jour suffise à localiser un événement en le précisant au besoin par un adjectif (
jeudi, jeudi prochain, jeudi dernier) ou un complément (jeudi en huit, jeudi en quinze).