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L’industrie du jouet 2 — suite et fin



Le jouet en métal est la partie la plus importante de cette fabrication et occupe des milliers d’ouvriers, dans de fortes usines où grondent de grosses machines, pour faire des articles infiniment variés: locomotives, wagons, tramways, voitures, fourneaux, ménages, soldats, sujets à volant moteur, personnages estampés, et tous articles divers dont le prie varie de 2 fr 50 la grosse à 125 frs la pièce. Quand on compare le jouet mis entre les mains de l’enfant et l’atelier où il est créé, on est surpris par la disproportion qui sépare l’effort du résultat. C’est la conséquence de la division du travail, qui permet de produire vite et beaucoup.

Aux armes
!
Fusils de guerre, fusils de chasse, pistolets, canons, képis, panoplies guerrières, tout cela se fabrique dans la même maison, où de nombreux ouvriers équarrissent les crosses, taillent les lanières de cuir, cousent les galons, coulent du plomb dans les tubes de cuivre pour les courber en clairons et trompettes. On dirait un arsenal en miniature. Il y a même des pistolets dont l’usage est encore inconnu dans l’armée et qui font tourner une toupie quand le coup part. Tout petit Français est déjà un petit soldat. dans tous nos jeunes enfants, il y a un petit tambour d’Arcole qui ne sommeille pas.

La jeunesse de notre pays achète et use pour deux millions de francs en armes et équipements par an. Ils sont tous soldats bien avant le service.

Ils sont, de préférence, cavaliers. On fait beaucoup de chevaux pour eux, chevaux en bois, en carton, en fer, nus ou peaussés, ou drapés. Si on les peausse, c’est-à-dire si on recouvre la carcasse de bois avec une peau appliquée, on préfère la peau de veau. De même, on peausse les éléphants avec de la peau de chamois, et les chameaux avec de la chèvre. Un aimable libre-échange préside à cette répartition.

Si on les drape, on saupoudre avec du drap réduit en poussière leurs flancs enduits de colle molle
: métier meurtrier, qui fait vivre les ouvrières drapeuses dans une atmosphère chargée et mortelle, contre laquelle elles se défendent en buvant de grands litres de lait. Il y en a qui en meurent. Le jouet n’est pas toujours gai; il a ses drames.

Mais quelle joie pour l’enfant d’avoir son cheval, même en bois
! Tout éclopé, il le trouve superbe, fringant, ombrageux, même; il corrige sévèrement ses écarts; la pauvre bête a tant reçu de horions qu’elle est tout éborgnée, cabossée, décolorée; pourtant, l’air demeure fier et hardi, la tête haute sous les caresses comme sous les injures, la patte de devant levée pour un victorieux et irréalisable départ. C’est l’ami de Bébé, qui cause familièrement avec lui comme Achille avec son coursier Xanthos, lui fait honte de ses peurs ombrageuses, et la partie de cheval se termine ordinairement par une dégelée de coups qui renverse, les quatre roues en l’air, la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite.

À côté de ces jouets, qu’il faut pousser pour qu’ils marchent, il y a ceux qui marchent tout seuls.

Vaucanson est dépassé. L’ingéniosité et la science de nos fabricants d’automates sont admirables, et l’on fait, aujourd’hui, pour vingt-neuf sous, de petits sujets, comme ils disent, « mouvementés », tels qu’un prince héritier de jadis n’eût pu en posséder de semblables. Des centaines d’ouvrières assemblent des roues dentées, des pignons, des tiges, et la division du travail est telle que la même ouvrière n’a autre chose à faire toute la sainte journée qu’à poser un point de soudure sur la même partie d’un assemblage. Et, par milliers par jour, sortent de là de petits personnages de fer costumés d’étoffes
: un violoniste, un livreur, un cireur, une portière, un poivrot, un agent des voitures, un Boxer, un Boer; et tout ce petit monde s’agite, se remue, brandit des épées, des balais, des bouteilles, et fait consciencieusement, jusqu’à la fin de son existence, la tâche pour laquelle chacun est né. Quel exemple pour la société! Jamais le violoniste n’essaiera de faire la lessive de la blanchisseuse, sa voisine; chacun reste dans sa sphère, et tout marche. Ce microcosme devrait être le modèle des peuples.

Quant aux automates de luxe, ils sont surprenants. Beaucoup de gymnasiarques
: ce sont eux qui font le plus de mouvements avec leur corps; ils sont donc des exemplaires tout indiqués pour des faiseurs de poupées animées. Un acrobate fait des manœuvres savantes autour d’un trapèze; un hercule fait des poids. Ou bien c’est une scène: Madame s’habille pour aller au bal, et, comme toutes les femmes, n’en finit pas; Monsieur, en habit, debout près de la cheminée, lit le journal, s’impatiente, éteint la lumière; Madame trépigne, et, comme toujours, Monsieur cède, et rallume. Quels observateurs, quels psychologues que ces fabricants! Combien vont flâner par les rues, l’appareil photographique en bandoulière, attentifs aux types, aux scènes! Et ils écrivent, avec leurs bonshommes, la vie parisienne pour les érudits de l’avenir, qui se pencheront sur les vitrines des expositions rétrospectives futures.

Que n’obtient-on pas de l’automate! Il fume, il rejette la fumée, il brûle sa cigarette jusqu’au mégot, il trempe une paille dans un bol d’eau de savon, la porte à ses lèvres, souffle, enfle une bulle, la lance et voilà dans les airs. La vagabonde où brille l’univers.

Les automates
! c’est le coin des jolies étoffes pimpantes, claires, gaies, de tons à chauds à l’oeil, de losanges bleu pâle, rose tendre, à franges d’or, avec des pompons, des rubans, des boutons dorés, des nœuds de soie, des fleurs; c’est la grâce, le sourire, la coquetterie des marottes, des folies, des oiseaux chanteurs dans des cages d’or.

Impossible d’exporter ces articles. Ils paient à l’étranger, en droit d’entrée, comme si leur poids total représentait ce volume de soie ou de satin, c’est-à-dire 4 ou 500 francs les 100 kg. Le métier est difficile. il faut du nouveau, de la variété! Et le secret du système à garder! Et la contrefaçon!

Tout cela, c’est le jouet monté en grand, la fabrication de conséquence. Voulons-nous voir les derniers petits bimbelotiers
? Ils sont dans le carton-pâte.

Du côté de Ménilmontant,
passage Julien-Lacroix ou rue Eupatoria. Un petit jardinet à treillage de bois précède la maison. Au rez-de-chaussée, dans la chambre basse, le petit poêle-marmite échauffe la buée en suspension dans l’air. Il règne une odeur fade et âcre de colle et de carton détrempé. Sur la table de bois blanc, toute la famille travaille: la fille remue dans le seau de colle du vieux-papier d’emballage ramassé dans le sous-sol des magasins et qui tombe en bouillie verdâtre; la mère enduit de graisse le creux des matrices d’acier où le père bourre et tamponne, avec un manche de bois, le carton-pâte amolli. On démonte: les moitiés de pièces apparaissent, d’un jaune sale et huileux, qui feront des quilles, des masques, des chevaux, des soldats, des Boers, des Krugers, des Chinois, des Russes, des Chamberlains pour jeux de quilles. On soude ces moitiés gluantes; sur des claies, elles sèchent, près du petit poêle-marmite; pis, le fils de la maison les colorie, et, le samedi, on porte le panier plein chez le patron pour renouveler la provision d’ouvrage.
Ainsi se font aussi
les pupazzi, les marionnettes des guignols et théâtres puérils.

Théâtres d’enfants
! Petits guignols traditionnels et charmants. Rien n’a changé depuis l’Ancien Régime. Les décors sont en forme de périactes, comme sur les scènes de la Foire Saint-Laurent ou de la Foire Saint-Germain. On se croirait à la Comédie italienne, quand on jouait du Gherardi. Les petits acteurs en carton moulé sont de vieilles connaissances, et les filles de Louis XV jouaient avec eux.
Voyez-les, ficelés en bottes, qui accompagnent le monument. Les vieux types ont persisté dans cette petite province de l’art dramatique. Le théâtre pour enfant n’a eu ni son Diderot, ni son Saurin, ni son Beaumarchais. Il est vrai de dire qu’il n’a même pas eu son Campistron, et que la littérature dramatique puérile n’existe qu’à l’état d’inepties blanches.

Comme au vieux temps, sur les panneaux décoratifs que peignent et collent les ouvriers en théâtres enfantins, là-bas, près des Buttes-Chaumont, c’est toujours, dans un décor à la Watteau, Pierrot qui dénonce à Cassandre le perfide Arlequin courtisant Colombine. On se croirait aux meilleurs jours de Fuzelier, de d’Orneval et de Lesage.

Nommez les acteurs dans la botte de Pupazzi qui accompagne chaque théâtre
: c’est Pierrot, Arlequin, Cassandre, le Docteur, Trivelin, Colombine, avec la Fée nuagée de tuelle, le vieux Marquis et la Marquise accorte de Sedaine, le Juge tout de rouge habillé, le Garde-Français moustachu, le Marié, l’Accordée du village, Gros-Blaise: il semble qu’ils vont entrer en scène pour jouer Le Déserteur ou la Fête au village voisin ou le Valet de Chambre de Carafa, ou Annette et Lubin, ou le répertoire de Dominique et de Romagnesi.

Le théâtre enfantin est comme le théâtre des grands. Il traverse une crise. Il ne fait ni progrès ni embellissements. les jeunes gens font à présent du sport et de la bicyclette, et ils méprisent l’art scénique en chambre.

Il n’en va pas de même en Allemagne. Là, ce sont des fêtes de famille, que les représentations théâtrales puériles. Ah
! les jolis décors, et variés, et savants et pittoresques! Chez nous, un théâtre bien monté à trois décors: un est collé sur le carton du fond; les deux autres sont collés sur les deux faces d’un carton mobile. Ils représentent un salon, un parc et une forêt. Avec cela, on joue tout le répertoire.

Les décors allemands sont plus variés et plus artistiques. Ce sont un temple égyptien savamment documenté, une forêt vierge aux lianes entrelacées, un intérieur de château-fort moyen âge, une nef de cathédrale, un paysage alpestre et romantique, avec de petites rainures perforées
: en mettant une bougie derrière, on voit les rayons de la lune scintiller dans les branches et se refléter dans les rides du lac.

Les petits Allemands sont évidemment plus exigeants, plus scéniques que les nôtres.

Chez nous, les tout petits s’amusent suffisamment avec cette sorte de boîte conventionnelle qui coûte quelques francs et qu’on appelle Théâtre par approximation
: quatre planchettes, deux coulisses, un rideau, une baguette figurant la rampe; de la salle il n’est jamais question: l’enfant qui joue au théâtre est toujours censé faire salle comble, puisque le public, c’est lui, et que, comme Léandre des Plaideurs, il fait l’assemblée.

C’est un détail infini que celui des différentes spécialités que comporte cette industrie
: voitures pour enfants, voitures pour les poupées, et dans ce genre classez les bicyclettes, les tricycles, les automobiles de toutes marques: les instruments de musique, qui sont des diminutifs très soignés et très justes de ton, car nous ne sommes plus au temps où l’on pouvait rire des petites musiques enfantines; l’enfant n’entre plus dans la vie sur une fausse note; les cornemuses, flagolets, ocarinas, mirlitons, bigophones, les boîtes en cartonnage où sont si joliment disposés les accessoires de couture, de tapisserie, de mercerie, d’épicerie, de jeux divers; la variété imposante des jouets scientifiques qui mettent le petit garçon au-dessus des connaissances paternelles et ajoutent à son vocabulaire des termes techniques d’une érudition alarmante, quand on l’entend demander à sa bonne, pour jouer, son plénakisticope, son zootrope, son gyroscope, son lampascope, son métallophone, sa boîte d’électrostatique, son accumulateur, ses réactifs, son hyposulfite, sa bobine de Rühmkorff, ses tubes de Geissler ou sa machine de Winshurst.

Le caoutchouc, la baudruche, se plient à toutes les formes des moules pour se fournir d’animaux et de ballons
; les ébénistes se plient aux exigences de mesdemoiselles les poupées, qui faisant fi du mobilier de leurs mères, n’admettent déjà plus que le meuble modern-style.

Encore n’avons-nous pas énuméré les articles de sport, agrès, jeux de jardin, billes, montres d’enfants, oeufs de Pâques, farces, attrapes, poisson d’avril, masques, articles de cotillon, confetti, serpentins. Voyez combien de milliers d’articles, quel labeur et quelle fièvre, étant donné que, pendant toute l’année, on les demande peu, et qu’il faut tout faire en deux ou trois mois pour
la Noël, la Saint-Nicolas et le jour de l’An!

On peut juger par là de l’activité laborieuse de cette sympathique corporation qui lutte vaillamment contre la concurrence allemande. Aussi, aidez-les, achetez ce qu’ils font, ne secondez pas l’étranger dans ses ruses et ses subterfuges pour se substituer à nos fabricants sur notre propre marché. Le jouet parisien garde sa supériorité artistique de bibelot spirituel et gracieux
; vous irez à lui, car vous ne voudrez pas faire tort à la fois et à votre bon goût et à votre patriotisme.



LÉO CLARETIE, LE JOURNAL, 26 OCTOBRE 1900