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Jeanne Hugo et sa poupée


Exposée à Paris en novembre 2008, la poupée de Jeanne Hugo a été vendue aux
États-Unis en 2012.

Les photographies reproduites ci-dessous émanent d'un site de ventes aux enchères.

Les droits sont réservés.

Cette poupée Huret a inspiré les descriptions de Déruchette, héroïne du roman
Les Travailleurs de la mer.

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« La passante, elle, avait évidemment déjà sa toilette d’église ; elle portait une large mante ouatée de soie noire à faille, sous laquelle elle était fort coquettement ajustée d’une robe de popeline d’Irlande à bandes alternées blanches et roses, et, si elle n’eût eu des bas rouges, on eût pu la prendre pour une Parisienne. Elle allait devant elle avec une vivacité libre et légère, et, à cette marche qui n’a encore rien porté de la vie, on devinait une jeune fille. Elle avait cette grâce fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence, les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un enfant.»


Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer

(chapitre 1 «Un mot écrit sur une page blanche»)

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Victor Hugo avait deux petits-enfants, Georges et Jeanne. Le 16 octobre 1868 naît le deuxième fils de Charles Hugo, Georges, qui aura une petite sœur Jeanne, le 29 septembre 1869. À la mort de leur père, Victor Hugo recueille ses deux petits-enfants, dont la grâce et l’innocence le comblent.



Georges et Jeanne Hugo en 1879, de Charles Voillemot






Hugo a déjà écrit des poèmes inspirés de cette période de l’enfance, symbole pour lui de pureté mais aussi de faiblesse. Il a observé ses propres enfants, entre autres dans
Les Contemplations. Il donne avec ses petits-enfants un autre témoignage d’amour. Il publie en janvier 1862 des morceaux choisis : Les Enfants ; le 12 mai 1877 paraît L'Art d'être grand-père.

Dès 1869, les notes du grand-père sont émaillées d’anecdotes concernant Georges et Jeanne, pleines d’humour et de tendresse.

Le 25 août, il écrit ainsi :
" Petit Georges va bien. Il tète maintenant les deux seins. Il a longtemps voulu ne téter que le sein gauche. Tendance démocratique… ".

Le 6 juillet 1870, c’est au tour de Jeanne, qui
" a fait pipi sur moi, c’est la seconde fois ", et le 31 juillet, " Mon petit Georges (…) a trouvé pour moi ce nom de Papapa ".

Ces enfants lui inspirent à quelques jours plus tard, le poème
Georges et Jeanne (8 août 1870)

" Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide,
J’en ai deux ; George et Jeanne, et je prends l’un pour guide
Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix, (…) "


Ils seront pour Hugo une présence indispensable, et il leur prodigue une joyeuse attention.

Le 21 février 1871 ; il note :
" Je promène Petit Georges et Petite Jeanne à tous mes moments de liberté. On pourrait me qualifier ainsi : V. H. représentant du peuple et bonne d’enfants ".

Comme témoignage "extérieur", nous avons ce récit des Goncourt, le 5 août 1873 :
" La tête mélancolique du petit garçon, la tête futée de la petite Jeanne ; et avec la petite Jeanne, les rires joyeux, les familiarités attouchantes, les gestes tapageants, les adorables coquetteries de quatre ans ".

Les enfants grandissant, Hugo aura l’occasion de noter un aspect qui l’intéresse particulièrement : leur rapport au langage et au vocabulaire. Un intérêt lié à sa création littéraire, que ressent aussi le petit Georges, car Hugo note le 14 novembre 1873 :
" En passant devant Notre-Dame, Georges a dit : Les Tours à Papapa (…) ".



Jeanne Hugo (1869-1941) : petite-fille de Victor Hugo, fille de Charles Hugo et d'Alice Lehaene.

Après la mort de son père, en 1871, Victor Hugo étant devenu le tuteur de ses petits-enfants, elle est en partie élevée par lui.

Des tensions surgissent entre Hugo et sa belle-fille sur l’éducation des enfants, et sur la garde de Jeanne, dont Hugo raffole, tout comme Juliette Drouet.

Son frère et elle inspirent à Hugo les personnages romanesques d’enfants dans
Quatre vingt-treize et sont une source d’inspiration majeure de L’Art d’être grand-père. Elle épousera Léon Daudet (fils d'Alphonse), dont elle aura un fils, puis Jean Charcot et Michel Négreponte. En 1927, avec ses neveux (les enfants de Georges), elle fait don de Hauteville-House à la ville de Paris.

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La poupée mesure 17", soit 43 centimètres. La tête est de fine porcelaine, montée sur une plaque d'épaules également de porcelaine.

Le reste du corps de la poupée est en gutta-percha, substance tirée de l'hévéa.

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Le fin modelé du visage, rond et enfantin, aux joues dodues et au léger double-menton insère de longs yeux d'émail sous de lourdes paupières ourlées de cils très fins.

Le petit menton rond est particulièrement attendrissant.

L'arc des sourcils est d'une pureté remarquable ; les narines palpitent, et les fines lèvres, un peu pâles, sont gracieusement accentuées.

Les oreilles délicates ne sont pas percées.

La lourde perruque de cheveux naturels est coiffée à la mode de la Restauration.

Les poupées Huret sont des poupées de luxe, les plus chères de leur temps. La fabrication en est limitée : environ 1 200 poupées par an.

La poupée porte des traces de réparation sur le corps. Elle est en excellent état. Des articulations sont ménagées aux épaules, aux coudes, aux genoux, aux hanches.

Ses cheveux blond vénitien naturels sont ajustés sur une calotte de liège et disposés en chignon ; les oreilles ne sont pas percées.

La robe de soie bleu glacier porte deux larges rubans de soie ivoire aux épaules.

La toilette est achevée par un collier de perles turquoise, supportant une croix d'opaline.
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«Vers ce temps-là Victor Hugo donna à ma fille Alice une poupée, — une poupée représentant Déruchette, l’héroïne du roman des Travailleurs de la mer.
Déruchette était habillée à la mode de Guernesey, l’an 1768. Hugo avait voulu avoir sous les yeux un costume exact de guernesiaise élégante, de l’époque où se passait son roman, et on lui avait procuré, grâce à des intelligences féminines, cette poupée de couleur locale.
Costume authentique dans tous les détails, depuis le vieux lampas de la jupe jusqu’aux cailloux du Rhin des souliers. Restitution complète du passé.
La petite Alice, grandissant à Jersey, a gardé Déruchette jusqu’à l’âge raisonnable de onze ans. Peu à peu Déruchette s’était émiettée et passa à l’état de vain débris. Elle ne l’appelait jamais que la « poupée du grand homme » ; quand on lui demandait :
— Quel est le meilleur ouvrage de Victor Hugo en exil ?
Elle répondait :
— C’est ma poupée !
L’enfant est devenue la vaillante artiste qui s’appelle au théâtre Alice Rabany ; elle a toujours au fond du cœur la reconnaissance de sa poupée.

Alfred Asseline,
Victor Hugo intime : mémoires, correspondances, documents inédits, Paris 1885

Alfred Asseline était le cousin germain de Madame Victor Hugo (sa mère, Anne-Victoire Asseline, Madame Foucher, était la sœur aînée de son père).

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En 1872, après le retour d'exil de la famille Hugo à Paris, la poupée a été présentée à la petite-fille du poète, Jeanne, après une visite de rafraîchissement aux ateliers Huret où le corps a été restauré ; une étiquette fut apposée "Exposition 1867", et de belles additions faites pour le trousseau.

La poupée est restée parmi les biens de Jeanne Hugo presque toute sa vie, et a ensuite été donnée à sa filleule. La poupée est restée dans la famille de Jeanne jusqu'à l'heure actuelle. Elle a été vendue aux enchères sur un site américain spécialisé en 2012.


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Les descendants de Victor Hugo

Victor n’a eu — par son fils Charles — que deux petits-enfants : Jeanne et Georges, immortalisés par l’Art d’être grand-père. La lignée s’est principalement poursuivie avec Georges, Jeanne n’ayant eu qu’un fils, Charles Daudet, resté sans descendance.
L’aîné des trois enfants de Georges s’appelait Jean.
On le considère comme étant le plus grand artiste de la famille après Victor. Il fut peintre et décorateur de théâtre.



«Les poupées dites Huret, du nom de leur inventeur, ont créé une nouvelle industrie dans le commerce des poupées de luxe, et, à ce titre, elles ont leur place marquée dans l'histoire des jouets. Vous les voyez à l'Exposition, vous les aviez déjà vues au boulevard Montmartre, montrant leurs grâces enfantines à la devanture de leur propre maison. Ce sont de petites blondines, aux yeux émaillés, à la figure de porcelaine; elles sont vêtues en petite fille, à la dernière mode du jour : robes courtes, décolletées et jambes nues, chaussées de souliers découverts ; ou pelisses, manchons et bottes hongroises, suivant la saison. »

Henri Nicolle,
Les jouets, ce qu'il y a dedans, compte-rendu de l'exposition de 1867, Paris 1885.
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[…] Un oiseau qui a la forme d’une fille, quoi de plus exquis ! Figurez-vous que vous l’avez chez vous. Ce sera Déruchette. Le délicieux être ! On serait tenté de lui dire : Bonjour, mademoiselle la bergeronnette. On ne voit pas les ailes, mais on entend le gazouillement. Par instants, elle chante. Par le babil, c’est au-dessous de l’homme ; par le chant, c’est au-dessus. Il y a le mystère dans ce chant ; une vierge est une enveloppe d’ange. Quand la femme se fait, l’ange s’en va ; mais plus tard, il revient, apportant une petite âme à la mère. En attendant la vie, celle qui sera mère un jour est très longtemps un enfant, la petite fille persiste dans la jeune fille, et c’est une fauvette. On pense en la voyant : qu’elle est aimable de ne pas s’envoler ! Le doux être familier prend ses aises dans la maison, de branche en branche, c’est-à-dire de chambre en chambre, entre, sort, s’approche, s’éloigne, lisse ses plumes ou peigne ses cheveux, fait toutes sortes de petits bruits délicats, murmure on ne sait quoi d’ineffable à vos oreilles. Il questionne, on lui répond ; on l’interroge, il gazouille. On jase avec lui. Jaser, cela délasse de parler. Cet être a du ciel en lui. C’est une pensée bleue mêlée à votre pensée noire. Vous lui savez gré d’être si léger, si fuyant, si échappant, si peu saisissable, et d’avoir la bonté de ne pas être invisible, lui qui pourrait, ce semble, être impalpable. Ici-bas, le joli, c’est le nécessaire. Il y a sur la terre peu de fonctions plus importantes que celle-ci : être charmant. La forêt serait au désespoir sans le colibri. Dégager de la joie, rayonner du bonheur, avoir parmi les choses sombres une exsudation de lumière, être la dorure du destin, être l’harmonie, être la grâce, être la gentillesse, c’est vous rendre service. La beauté me fait du bien en étant belle. Telle créature a cette féerie d’être pour tout ce qui l’entoure un enchantement ; quelquefois elle n’en sait rien elle même, ce n’en est que plus souverain ; sa présence éclaire, son approche réchauffe ; elle passe, on est content, elle s’arrête, on est heureux ; la regarder, c’est vivre ; elle est de l’aurore ayant la figure humaine ; elle ne fait pas autre chose que d’être là, cela suffit, elle édénise la maison, il lui sort par tous les pores un paradis ; cette extase, elle la distribue à tous sans se donner d’autre peine que de respirer à côté d’eux. Avoir un sourire qui, on ne sait comment, diminue le poids de la chaîne énorme traînée en commun par tous les vivants, que voulez-vous que je vous dise, c’est divin. Ce sourire, Déruchette l’avait. Disons plus, Déruchette était ce sourire. Il y a quelque chose qui nous ressemble plus que notre visage, c’est notre physionomie ; et il y a quelque chose qui nous ressemble plus que notre physionomie, c’est notre sourire. Déruchette souriant, c’était Déruchette.

C’est un sang particulièrement attrayant que celui de Jersey et de Guernesey. Les femmes, les filles surtout, sont d’une beauté fleurie et candide. C’est la blancheur saxonne et la fraîcheur normande combinées. Des joues roses et des regards bleus. Il manque à ces regards l’étoile. L’éducation anglaise les amortit. Ces yeux limpides seront irrésistibles le jour où la profondeur parisienne y apparaîtra. Paris, heureusement, n’a pas encore fait son entrée dans les anglaises. Déruchette n’était pas une parisienne, mais n’était pas non plus une guernesiaise. Elle était née à Saint-Pierre-Port, mais mess Lethierry l’avait élevée. Il l’avait élevée pour être mignonne ; elle l’était.

Déruchette avait le regard indolent, et agressif sans le savoir. Elle ne connaissait peut-être pas le sens du mot amour, et elle rendait volontiers les gens amoureux d’elle. Mais sans mauvaise intention. Elle ne songeait à aucun mariage. Le vieux gentilhomme émigré qui avait pris racine à Saint-Sampson disait :
Cette petite fait de la flirtation à poudre.

Déruchette avait les plus jolies petites mains du monde et des pieds assortis aux mains,
quatre pattes de mouche, disait mess Lethierry. Elle avait dans toute sa personne la bonté et la douceur, pour famille et pour richesse mess Lethierry, son oncle, pour travail de se laisser vivre, pour talent quelques chansons, pour science la beauté, pour esprit l’innocence, pour coeur l’ignorance ; elle avait la gracieuse paresse créole, mêlée d’étourderie et de vivacité, la gaieté taquine de l’enfance avec une pente à la mélancolie, des toilettes un peu insulaires, élégantes, mais incorrectes, des chapeaux de fleurs toute l’année, le front naïf, le cou souple et tentant, les cheveux châtains, la peau blanche avec quelques taches de rousseur l’été, la bouche grande et saine, et sur cette bouche l’adorable et dangereuse clarté du sourire. C’était là Déruchette.


Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, "Durande et Déruchette".



Déruchette était de l’allégresse allant et venant dans la maison. Elle y faisait un printemps perpétuel. Elle était belle, mais plus jolie que belle, et plus gentille que jolie. Elle rappelait aux bons vieux pilotes amis de mess Lethierry cette princesse d’une chanson de soldats et de matelots qui était si belle « qu’elle passait pour telle dans le régiment ». Mess Lethierry disait : Elle a un câble de cheveux.
Dès l’enfance, elle avait été ravissante. On avait craint longtemps son nez ; mais la petite, probablement déterminée à être jolie, avait tenu bon ; la croissance ne lui avait fait aucun mauvais tour ; son nez ne s’était ni trop allongé, ni trop raccourci ; et, en devenant grande, elle était restée charmante.

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer