Lectures

Jean-Jacques Rousseau

Jean-Jacques Rousseau, « Surtout des poupées », 1762

« Les garçons cherchent le mouvement et le bruit: des tambours, des sabots, de petits carrosses; les filles aiment mieux ce qui donne dans la vue et sert à l'ornement: des miroirs, des bijoux, des chiffons, surtout des poupées. (...)

Voyez une petite fille passer la journée autour de sa poupée, lui changer sans cesse d'ajustement, l'habiller, la déshabiller cent et cent fois, chercher continuellement de nouvelles combinaisons d'ornements bien ou mal assortis, il n'importe
; les doigts manquent d'adresse, le goût n'est pas formé, mais déjà le penchant se montre. (...) Elle est toute dans sa poupée, elle y met toute sa coquetterie. Elle ne l'y laissera pas toujours, elle attend le moment d'être sa poupée elle-même.

Voila donc un premier goût bien décidé
: vous n'avez qu'à le suivre et le régler. Il est sûr que la petite voudrait de tout son cœur savoir orner sa poupée (...). Ainsi vient la raison des premières leçons qu'on lui donne: ce ne sont pas des tâches qu'on lui prescrit, mais des bontés qu'on a pour elle. Et en effet, presque toutes les petites filles apprennent avec répugnance à lire et à écrire; mais, quant à tenir l'aiguille, c'est ce qu'elles apprennent toujours volontiers. Elles s'imaginent d'avance être grandes, et songent avec plaisir que ces talents pourront un jour leur servir à se parer.

Cette première route ouverte est facile à suivre
: la couture, la broderie, la dentelle viennent d'elles-mêmes. (...)

Ces progrès volontaires s'étendront aisément jusqu'au dessin, car cet art n'est pas indifférent à celui de se mettre avec goût
: mais je ne voudrais point qu'on les appliquât au paysage, encore moins à la figure. Des feuillages, des fruits, des fleurs, des draperies, tout ce qui peut servir à donner un contour élégant aux ajustements, et à faire soi-même un patron de broderie quand on n’en trouve pas à son gré, cela leur suffit. »

Jean-Jacques ROUSSEAU, "Émile ou de l'éducation", Édition de Michel Launay, Paris, 1966, pages 478-480.

Voyage en dentelles

Jeanne de Recqueville, Voyage en dentelles, Hachette, 1956.

Un délicieux roman historique, fort bien écrit, nous transporte en plein XVIIIe siècle, quand les poupées mannequins destinées aux cours d’Europe, transportaient la mode française dans le plus grand secret. Au temps de la Grande et de la Petite Pandore et de leur somptueuse garde-robe…


Présentation de l’éditeur:

« Assise entre ses sœurs dans la diligence qui les emmène à travers l'Europe, Marie-Laure rêve à tout le bonheur quelle attend de ce voyage. Les jeunes filles ont pour compagnes les poupées mannequins qui vont leur permettre de présenter à l'impératrice Catherine les robes que celle-ci leur a commandées.

Bon accueil leur est assuré à la cour, mais la partie n'est pas gagnée pour autant. Elles ont en effet une terrible concurrente en la personne de Dame Lutèce qui essaie, elle aussi, de gagner la clientèle de l'impératrice et se trouve déjà sur la route de Saint-Pétersbourg.
Si les poupées mannequins ont de bien jolies robes, elles n'ont pas de cœur. Il n'en est pas de même pour Marie-Laure que la bonne mine du jeune docteur Salbris, son compagnon de diligence, a tendrement émue. Parviendra-t-elle à lui faire oublier sa belle cousine Tania, lectrice de la tsarine
? Et Dame Lutèce ne va-t-elle pas profiter de la rivalité des deux jeunes filles pour imposer ses robes à la cour de Russie?…»

Plutarque et Timoxène


Lors de la perte de sa petite fille de deux ans, Plutarque exprime sa douleur en contemplant ses poupées, en se rappelant les jeux de sa fille avec elles et les soins qu’elle leur prodiguait.

PLUTARQUE A SA FEMME, SALUT.
Le courrier que tu m'as expédié pour m'apprendre la mort de notre chère fille, s'est, à ce que je vois, trompé de route en se rendant à Athènes. C'est à Tanagre, où j'étais allé, que par ma nièce j'ai su cette nouvelle. Je suppose donc que ce qui regarde la sépulture est maintenant accompli. Puissent tous ces détails l'avoir été de façon à te laisser, pour le présent et pour l'avenir, le moins possible de regrets
! Peut-être te reste-t-il encore à cet égard d'autres intentions, pour lesquelles tu attends mon avis, et dont il te semble que l'accomplissement doive soulager ta douleur. En cela, comme dans le reste, tu te défendras de toute recherche exagérée, de toute superstition. Personne n'en est plus éloigné que toi.

Seulement, ma chère femme, conserve-toi, par amour de ton mari et de toi-même, dans l'état de calme qui nous convient en présence d'un tel malheur. Pour ma part, je sais et je mesure toute l'étendue de notre perte. Mais si je te trouve livrée à un trop grand désespoir, j'en serai plus peiné encore que du coup même qui nous a frappés. Non que je sois de chêne ou de pierre: tu le sais bien, toi qui m'as assisté dans les soins prodigués à notre famille, toi avec qui j'ai élevé un si grand nombre de nos enfants, avec qui nous les avons tous nourris nous-mêmes à la maison. Tu sais aussi combien cette fille, ardemment désirée par toi, que tu avais mise au monde après avoir eu quatre fils, et qui m'avait fourni l'occasion de lui donner ton nom, combien cette fille était tendrement chérie de moi. Un chagrin plus vif encore s'ajoute chez moi à l'amour que ressent un père pour des enfants de cet âge: c'est le souvenir de l'amabilité de cette petite fille, et de sa candeur naïve, qui ne savait ni s'irriter ni se plaindre. Elle était naturellement douée d'une égalité d'âme et d'une douceur merveilleuses; et le retour dont elle payait notre tendresse nous faisait à la fois chérir et apprécier la bonté de son cœur. Ce n'était pas seulement aux autres enfants, mais encore à ses joujoux favoris, à ses poupées, qu'elle voulait que sa nourrice donnât à téter. À ce sein, qui était comme sa table particulière, son humanité conviait tous ceux qui la rendaient heureuse: elle aimait à partager avec eux ce qu'elle avait de plus beau.