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Le Baptême de la Poupée
Autour d’un frais berceau ruisselant de dentelles,
Vingt têtes de lutin s’agitaient bruyamment
Et bavardaient, Dieu sait ! — C’étaient des demoiselles
Qu’un baptême assemblait en ce grave moment.
L’aînée avait douze ans ; elle était la marraine.
Le nouveau-né, perdu dans un flot de satin,
Possédait l’œil brillant et la mine sereine
D’un gros bébé tout neuf acheté le matin.
On avait préparé des gâteaux, des dragées,
Et les chaises étaient près des tables rangées.
Vous savez qu’aujourd’hui l’on ne baptise pas
Une honnête poupée en simple aventurière ;
Il faut d’un certain luxe embellir le repas ;
La dînette avait donc une allure princière.
La marraine, prenant le bébé dans sa couche,
Commença ce discours en s’essuyant la bouche :
« Chères belles, donner un nom à ce poupard
Cela ne suffit pas ; nous sommes réunies
Pour agir envers lui comme les bons génies.
Que chacune de nous lui donne une vertu !
(Vous savez qu’il en faut pour briller dans le monde).
À l’œuvre, donc ! silence ! et que l’on me réponde.
Toi d’abord, Marguerite. Eh bien ! que donnes-tu ?
- Moi je veux qu’il soit beau. — Toi, Jenny ? — Qu’il soit riche
- Toi, Berthe ? — Qu’il soit brave et vainqueur de l’Autriche !
- Et toi, petite Emma ? — Qu’il soit sage — Bien dit !
- Toi, Rose ? — Moi je veux qu’il ait bon appétit.
- Et toi ? — Moi je lui donne une âme charitable.
- Moi l’art de bien danser. — Moi, celui d’être aimable.
- Moi, de l’esprit. — Et moi du talent. — Moi du goût.
- Moi, la force. — Et l’adresse. — Et la grâce. — Est-ce tout ? »
Dit alors la maman de l’une de ces rieuses ;
« Vous faites, mes enfants, les choses comme il faut,
Et votre cher filleul n’aura pas un défaut.
Mais dans ces qualités, plus ou moins précieuses,
Vous avez oublié la meilleure, entre nous,
Celle qui du mérite éloigne les jaloux ;
Celle qui fait honneur aux petites poupées,
Bien plus que la beauté, la grâce ou le talent ;
Qui fait qu’on ne les voit nulle part occupées
À vanter à tout coup leur personne en parlant ;
Celle enfin qui leur donne accueil et sympathie ;
Cette qualité-là s’appelle : modestie ! »
Alexandre DEPLANCK
Extrait du Journal des Demoiselles 1860