Littérature libertine

Charles naquit en 1753 à Calais, où son père, Guillaume Antoine Pigault de l’Epinoy, était Conseiller du Roi, Lieutenant Général de police, et maire de la ville de 1767 à 1769. Charles sera l’aîné de dix enfants. Son père, notable, se prétendait descendant d’Eustache de Saint-Pierre, l’un des fameux bourgeois de Calais ; c’est peut-être une légende, mais le fondateur de la dynastie, Raoult Pigault participa au siège de Calais en 1558.

AMOURS, NAUFRAGE ET PRISONS

Charles est élevé chez les Oratoriens de Boulogne. Il rêve d’entrer dans les ordres avant de devenir voltairien. En 1769, Monsieur le Conseiller du Roi décida d’envoyer son fils âgé de seize ans à Londres, pour qu’il y apprenne le négoce, chez un dénommé Crawford ; immédiatement, Charles tomba amoureux de la belle Jenny, fille du marchand, et une idylle secrète se noue entre les deux jeunes gens. Le négociant ne tarda pas à confier à son apprenti une mission de confiance : embarquer sur un brick pour partir traiter quelque affaire au Brésil. Mais, déguisée en marin, la fille, enceinte de lui, le rejoint sur le bateau... qui fait naufrage.

Elle perd la vie et Charles-Antoine, rescapé, revient à Calais, où son père courroucé de sa conduite obtint contre lui une lettre de cachet : le jeune homme se retrouve derrière les barreaux pendant près de deux ans.

Après avoir accompli une carrière militaire qui fut, aux dires de son biographe, un moment joyeux, plein de divertissements et d’aventures galantes, dans le corps de gendarmerie d’élite de la Petite Maison du Roy, à Lunéville, Pigault-Lebrun revint à Calais en 1776 quand sa compagnie est dissoute. Il tomba amoureux d’Eugénie Salens, fille d’un marchand ruiné, ce qui ne fut pas du goût de Monsieur le Conseiller du Roi, qui rêvait d’une union autrement plus honorable pour son rejeton... Aussi le père refusa-t-il ce mariage. Qu’à cela ne tienne : dans un élan romanesque, Charles projette de s’enfuir avec sa fiancée ! Furieux, Pigault de l’Epinoy entreprit contre son fils la même démarche qu’en 1771: lettre de cachet, arrestation, emprisonnement pour deux longues années. Profitant de l’amour que lui porte la fille du geôlier, il s’évade en empruntant les vêtements de la jeune fille, décide de rejoindre la belle aux Pays-Bas sous différents déguisements et pour ce faire devient comédien sous le nom de Legris. Il épouse Eugénie en Hollande, et de cette union naît un fils qui deviendra militaire.

La jeunesse de Pigault-Lebrun est un incroyable roman picaresque.

ETRE MORT…

Le comédien raté (c’est lui qui le dit et s’en vante) joue à Lille, s’installe à Liège, puis Bruxelles et revient à Calais... pour y apprendre sa mort ! C’est que le père a obtenu une décision de justice en ce sens. Monsieur le Conseiller du Roi, qui n’avait jamais approuvé l’union de son fils avec une roturière ruinée, fit rédiger par un de ses amis calaisiens, le Président Béhague, l’acte de décès de son fils. En cette fin de XVlIIème siècle où les papiers d’identité n’existaient pas, Charles fut contraint de trouver des témoins pour prouver qu’il était encore vivant; cependant, à Calais, personne n’eut le courage de témoigner ni même […]