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Les cafés parisiens vers 1775


Restif de la Bretonne (1734-1806) est un écrivain très prolifique: imprimeur, il composait directement ses œuvres sur la presse. Il a inventé l’autobiographie au même titre que Rousseau. Il sait être un observateur attentif et véridique des petits faits et des traits de mœurs de son temps. Il a été probablement un peu indicateur de police… (voir §4)
Il évoque ici, de façon vivante, l’atmosphère à la fois animée et trouble des cafés parisiens à l’époque prérévolutionnaire.


Le premier café de Paris date de 1705. Ii était tenu par un étranger, que l’on crut d’abord inventeur de la liqueur qu’il distribuait(1). On n’y mettait pas de sucre, et elle fit faire la grimace aux premiers qui la prirent. Mais la propreté (2) des tasses et des tables, le choix de la compagnie firent que les honnêtes gens vinrent au café. La plupart n’en prenaient pas et auraient préféré du vin. L’espèce d’aise, la lucidité des idées que le café procure fut bientôt vantée, et tout le monde en prit…

Les cafés ont été longtemps le rendez-vous des honnêtes gens; et il faut convenir que ce rendez-vous est plus décent que le cabaret, où l’on était obligé de s’enfermer dans une chambre, et que la boutique des barbiers, où l’on était couvert de poudre et où l’on avait le peu gracieux spectacle des barbes savonnées; mais ils n’ont été brillants que dans leur jeunesse. Ils sont fort tombés depuis vingt ans. Cependant, ils ne seront jamais avilis comme les cabarets, ni comme les boutiques des barbiers, où les garçons serruriers mêmes n’osent plus aller.


Quant aux cafés, voici l’observation que j’y ai faite depuis: les Parisiens et les provinciaux y portent la dure indifférence de la capitale: il n’est guère que les étrangers qui s’y montrent polis, ou… des gens extrêmement sensés. Vous y voyez un jeune fat venir sans façon vous ôter le jour, au moment où vous lisez un papier en fin caractère, ou le Mercure (3), si mal imprimé. Il en est d’autres qui retiennent grossièrement le papier public, qu’attend un homme occupé; qui l’épellent, ou causent, sans l’expédier. D’autres vous demandent une feuille que vous allez lire, et ne remplissent pas le devoir de vous la rendre; d’autres lisent tout haut: chose qui devrait être interdite; d’autres crient, badinent grossièrement… C’est ce manque d’urbanité qui éloigne insensiblement des cafés tout ce qui est honnête. Déjà les gens de lettres n’osent plus s’y montrer… Et moi, cependant, j’irai désormais au café, parce que je vois que mon genre de travail le demande…


Le gouvernement a besoin d’espions. C’est aux gens sages à le savoir et à se comporter en conséquence dans les endroits publics… J’étais allé dans un café de l’ancien Palais-Royal (4). J’entendis parler des affaires d’État avec beaucoup de liberté! Je remarquai même que certaines personnes, dont la physionomie, quoique composée, n’annonçait pas une certaine éducation, s’exprimaient plus librement que d’autres et disaient des choses extrêmes. J’eus des soupçons. Je m’approchai de deux de ces hommes; je leur parlai morale: rien; ils ne m’entendaient pas; physique, pas davantage; ils ne daignaient pas m’écouter. Enfin, je hasardai un mot indifférent de politique. Ils devinrent tout oreilles. Je les connus pour lors, et je les observai. Ils émoustillaient beaucoup un jeune homme de province, qui paraissait avoir la tête chaude et qui citait toujours les gens dont il tenait ses opinions. Je m’approchai de ce jeune homme. Je lui parlai morale. Aussitôt, il s’enflamme… Je fus sûr alors que ce n’était qu’un imprudent. Je voyais que nous étions observés. Mais une petite rixe politique s’étant élevée à l’autre bout de la salle et tout le monde y ayant couru, j’en profitai pour dire au jeune imprudent de se retirer adroitement. Moi, j’allai entendre la dispute.



NICOLAS-EDMÉ RESTIF DE LA BRETONNE, Les Nuits de Paris.



1. Le café Procope, fondé par un Italien.
2. L’élégance.
3
. Le Mercure de France: gazette hebdomadaire de l’époque.
4. Lieu assez mal famé (voir ci-dessous.)




Œuvre de l’architecte Victor Louis, l’ensemble actuel du Palais-Royal est pratiquement identique à celui de 1780, l’année où le duc de Chartres, futur duc d’Orléans, décida de faire construire, dans le jardin adjacent au palais, un ensemble de galeries de commerce.
Ce projet suscita la remarque ironique de Louis XVI
« Alors, cousin, vous allez tenir boutique, nous ne vous verrons plus que le dimanche… ».
L’entreprise du duc a pourtant connu un grand succès, et très vite, les galeries du Palais-Royal, aujourd’hui calmes et désertes, étaient à la veille de la Révolution l’un des endroits les plus animés et achalandés de la capitale.
Ses cafés et restaurants, boutiques et librairies, salons et théâtres, salles de jeux et maisons de tolérance attiraient et les partisans des idées libérales, et les libertins.
Depuis la Régence, le Palais-Royal était le lieu favori des artistes et des littérateurs
; à la veille de la Révolution, le soutien du duc d’Orléans aidant (la police royale ne pouvait en effet pénétrer dans son domaine), il est devenu le foyer des idées libérales… et des amours tarifées.