x
(null)

Jugement de Goethe sur la Révolution française


Le plus grand génie littéraire de l’Allemagne, Goethe (1749-1832), traduit ici l’immense espérance des peuples européens, soumis au despotisme, à l’annonce du début de la Révolution française, et leur explosion de joie à l’arrivée des troupes françaises, libératrices des pays qu’elles occupaient. Puis il exprime leur amère déception quand les armées révolutionnaires se muent en instruments de conquête.


QUI peut nier que son cœur ne se soit élevé et qu’il ne l’ait senti battre plus purement dans sa poitrine plus libre, lorsque montèrent au ciel les premiers rayons du soleil nouveau, lorsqu’on entendit parler de droits communs à tous les hommes, de la liberté qui exalte et de la louable égalité!

Elle parut se détendre, la chaîne qui tenait tant de pays enserrés. Dans ces jours d’effervescence, tous les peuples ne tournaient-ils pas leurs regards vers la capitale du monde (1), qui maintenant plus que jamais méritait ce nom superbe? Les noms de ces hommes, les premiers annonciateurs du message (2), n’étaient-ils pas égaux aux plus grands qui fussent placés sous les astres? Chacun ne sentait-il pas alors s’élever son cœur et son esprit? Et nous, comme voisins, nous fûmes, les premiers, enflammés par cette ardeur. Puis ce fut la guerre, et les colonnes armées des Français s’approchèrent. Mais ils semblaient n’apporter que l’amitié. Gaiement, ils plantèrent les arbres joyeux de la liberté, promettant à chacun de respecter son territoire et de lui laisser son gouvernement propre. Alors, jeunes gens et vieillards se réjouirent grandement et la danse joyeuse commença autour du drapeau nouveau…

Cependant le ciel se troubla vite. Une race corrompue, indigne de faire le bien, se disputa les avantages du pouvoir. Ils s’égorgèrent entre eux et opprimèrent leurs voisins, leurs nouveaux frères, et ils nous envoyèrent la foule égoïste. Et nous vîmes les chefs se livrer à l’orgie et piller en grand, tandis que les petits, jusqu’au moindre d’entre eux, pillaient et vivaient dans la débauche. Ils semblaient n’avoir qu’une crainte: qu’il ne restât rien à piller pour le lendemain. Excessive était la détresse, et, chaque jour, croissait l’oppression. Personne n’entendait nos cris… Alors la douleur et la rage s’emparèrent des âmes les plus calmes; chacun n’eût plus qu’une idée, ne fit qu’un serment: se venger de toutes les injures et de la perte amère d’un espoir doublement déçu. La fortune se tourna du côté allemand, et le Français, fuyant, se retira à marches forcées.


GOETHE, Hermann et Dorothée. Trad. H. Loiseau. Édition Montaigne.


1. Paris.
2.Mirabeau, La Fayette…