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LA POÉSIE QUÉBÉCOISE


Soir d’hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur, que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !….

Émile NELLIGAN, Poésies complètes. (1896-1899)
Fides, 1966


Le Vaisseau d’Or

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif :
Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d’amour, cheveux épars, chairs nues,
S’étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l’Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d’Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu’est devenu mon cœur, navire déserté ?
Hélas ! Il a sombré dans l’abîme du Rêve !

Émile NELLIGAN, Poésies complètes. (1896-1899)
Fides, 1966




Mauvaise solitude

Ô poète songeur, si triste de toi-même,
Qui pourrait te guérir et qui pourrait t’aimer ?
Tu portes à ton front l’ombre amère et suprême
D’une âme que l’ennui va bientôt consumer.

La solitude grave à ton cœur est mauvaise :
Le pire compagnon de toi-même, c’est toi !
Ô le regard aimé qui doucement apaise,
Quand viendra-t-il poser sa caresse sur moi ?

L’heure m’est un tourment cruel, et tous les livres
Ne pourraient endormir ce mal fort et subtil.
Afin qu’heureusement, un jour, tu t’en délivres,
Et pour jamais, ô cœur blessé, que te faut-il ?
[…]

Albert LOZEAU, Le Miroir des jours, Le Devoir, 1912




Pris et protégé

Pris et protégé et condamné par la mer
Je flotte au creux des houles
Les colonnes du ciel pressent mes épaules
Mes yeux fermés refusent l’archange bleu
Les poids des profondeurs frissonnent sous moi
Je suis seul et nu
Je suis seul et sel
Je flotte à la dérive sur la mer
J’entends l’aspiration géante des dieux noyés
J’écoute les derniers silences
Au-delà des horizons morts

Alain GRANDBOIS, Les Îles de la nuit, Parizeau, 1944



Ah ! Dans quel désert…

C’est eux qui m’ont tué
Sont tombés sur mon dos avec leurs armes, m’ont tué
Sont tombés sur mon cœur avec leur haine, m’ont tué
Sont tombés sur mes nerfs avec leurs cris, m’ont tué

C’est eux en avalanche m’ont écrasé
Cassé en éclats comme du bois

Rompu mes nerfs comme un câble de fil de fer
Qui se rompt net et tous les fils en bouquet fou
Jaillissent et se recourbent, pointes à vif

Ont émietté ma défense comme une croûte sèche
Ont égrené mon cœur comme de la mie
Ont tout éparpillé cela dans la nuit

Ils ont tout piétiné sans en avoir l’air,
Sans le savoir, le vouloir, sans le pouvoir,
Sans y penser, sans y prendre garde
Par leur seul terrible mystère étranger
Parce qu’ils ne sont pas à moi venus m’embrasser

Ah ! dans quel désert faut-il qu’on s’en aille
Pour mourir de soi-même tranquillement.

Hector de SAINT-DENYS GARNEAU, Poésies complètes
Fides, Nénuphar, 1949



Vision

Or, j’ai la vision d’ombres sanguinolentes
Et de chevaux fougueux piaffants,
Et c’est comme des cris de gueux, hoquets d’enfants
Râles d’expirations lentes.

D’où me viennent, dis-moi, tous les ouragans rauques.
Rages de fifre ou de tambour ?
On dirait des dragons en galopade au bourg.
Avec des casques flambant glauques…

Émile NELLIGAN, Poésies complètes, (1896 1899)
Fides, 1966




Je sens voler

Je sens voler en moi les oiseaux du génie
Mais j’ai tendu si mal mon piège qu’ils ont pris
Dans l’azur cérébral leurs vols blancs, bruns et gris,
Et que mon cœur brisé râle son agonie.

Émile NELLIGAN, Poésies complètes (1896-1899)
Fides, 1966


Le retour de l’enfant prodigue

Ouvrez cette porte où je pleure.

La nuit s’infiltre dans mon âme
Où vient de s’éteindre l’espoir,
Et tant ressemble au vent ma plainte
Que les chiens n’ont pas aboyé.

Ouvrez-moi la porte, et me faites
Une aumône de la clarté
Où gît le bonheur sous vos lampes.

Partout, j’ai cherché l’Introuvable.

Sur des routes que trop de pas
Ont broyées jadis en poussière.

Dans une auberge où le vin rouge
Rappelait d’innombrables crimes,
Et sur les balcons du dressoir,
Les assiettes, la face pâle
Des vagabonds illuminés
Tombés là au bout de leur rêve.

À l’aurore, quand les montagnes
Se couvrent d’un châle de brume.

Au carrefour d’un vieux village
Sans amour, par un soir obscur,
Et le cœur qu’on avait cru mort
Surpris par un retour de flamme,

Un jour, au bout d’une jetée,
Après un départ, quand sont tièdes
Encor les anneaux de l’étreinte
Des câbles, et que se referme,
Sur l’affreux vide d’elle-même,
Une main cherchant à saisir
La forme enfuie d’une autre main,

Un jour, au bout d’une jetée…

Partout, j’ai cherché l’Introuvable.

Dans les grincements des express
Où les silences des arrêts
S’emplissent des noms des stations.

Dans une plaine où des étangs
S’ouvraient au ciel tels des yeux clairs.

Dans les livres qui sont des blancs
Laissés en marge de la vie,
Où des auditeurs ont inscrit,
De la conférence des choses,
De confuses annotations
Prises comme à la dérobée.

Devant ceux qui me dévisagent,

Et ceux qui me vouent de la haine,
Et dans la raison devinée
De la haine dont ils m’accablent.

Je ne savais plus, du pays,
Mériter une paix échue
Des choses simples et bien sues.

Trop de fumées ont enseigné
Au port le chemin de l’azur,
Et l’eau trépignait d’impatience
Contre les portes des écluses.

Ouvrez cette porte où je pleure.

La nuit s’infiltre dans mon âme
Où vient de s’éteindre l’espoir,
Et tant ressemble au vent ma plainte
Que les chiens n’ont pas aboyé.

Ouvrez-moi la porte, et me faites
Une aumône de la clarté
Où gît le bonheur sous vos lampes.

Jean Aubert LORANGER, Poèmes, Morissette, 1922



Je regarde dehors par la fenêtre

J’appuie des deux mains et du front sur la vitre
Ainsi, je touche le paysage,
Je touche ce que je vois,
Ce que je vois donne l’équilibre
À tout mon être qui s’y appuie.
Je suis énorme contre ce dehors
Opposé à la poussée de tout mon corps ;
Ma main, elle seule, cache trois maisons.
Je suis énorme, Énorme…
Monstrueusement énorme,
Tout mon être appuyé au dehors solidarisé.

Jean Aubert LORANGER, Les Atmosphères : le passeur, poèmes et autres proses, Morissette, 1920.


C’est là sans appui

Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l’on reste
Immanquablement je m’endors et j’y meurs.

Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l’équilibre impondérable entre les deux
C’est là sans appui que je me repose.

SAINT-DENYS GARNEAU, Regards et jeux dans l’espace,
S.é., 1937



Avec notre ombre à nos trousses

On passe en voyage au soleil
On est un passage vêtu de lumière
Avec notre ombre à nos trousses comme un cheval
Qui mange à mesure notre mort

Avec notre ombre à nos trousses comme une absence
Qui boit à mesure notre lumière

Avec notre absence à nos trousses comme une fosse
Un trou dans la lumière sur la route
Qui avale notre passage comme l’oubli.
[…]

SAINT-DENYS GARNEAU, Poésies complètes, Fides, Nénuphar, 1949



La parole verte

(Extraits)

Des cris d’école te blessent. Une femme renverse sa vie. Couché dans le lit de Yannic je vois des poulies chanter dans la nuit. N’enseigne pas, parle. Tu agites des atmosphères, voles des silences. Les loups-garous courent dans la grande ville. N’écoute pas, entends. J’embrasse ma mère, couvre-moi je suis si nue, sa pauvreté je l’entoure de mes phrases — L’écriture continue l’amour, elle met au monde. De grands tissus orange tournent dans ma tête et une nappe verte pour les jours de fêtes. J’aurais mis longtemps à fleurir de ton ventre fou, à suivre tes yeux tout mouillés. Combien de coutures as-tu inventées toi qu’on a cousue six fois. J’aurai pris du temps à n’être plus dans les mots d’école, à retourner l’école dans mes poils, à faire des savoirs des robes orange. Dans mon corps un ruisseau chante. La mer où tu marches je ne l’oublie pas. Ce que donne à entendre l’écume ne l’oublie pas — tu n’as rien et c’est cela que tu donnes, tu l’appelles ta parole verte. Ma pauvreté est si grande que je ne sais plus ce que tous savent, je mets un manteau de folie légère pour qu’on ne fasse pas attention à moi.

Philippe HAECK, La Parole verte, VLB, 1981



Quand tu descendras les trottoirs de l’ivresse…

quand tu descendras les trottoirs de l’ivresse
n’oublie pas de regarder en arrière
la rage du vent roule sur les automobiles
tu poursuivras cette marche le corps délesté
de tout ce qui te suit à la trace

rien vraiment ne meurt enfoui dans les yeux
ce sont les oreilles qui se couvrent de mains
tu ne goûtes que le sel si tu restes en place
il faut aller plus loin que ce coin de rue
descendre vers l’effloraison des lumières
ou nier cette guirlande aux devantures de néon
tu jetais toujours le magazine une fois parcouru
lisant quelquefois mais saisissant trop vite le quoi
encore que dans tes yeux se mourait un goût de suie

Michel BEAULIEU, Paysage, précédé de ADN, 1971 Éd. du Jour



Éveil au seuil d’une fontaine

Ô ! spacieux loisir
Fontaine intacte
Devant moi déroulée
À l’heure
Où quittant du sommeil
La pénétrante nuit
Dense forêt
Des songes inattendus
Je reprends mes yeux ouverts et lucides
Mes actes coutumiers et sans surprises
Premiers reflets en l’eau vierge du matin.

La nuit a tout effacé mes anciennes traces.
Sur l’eau égale
S’étend

La surface plane
Pure à perte de vue
D’une eau inconnue.
Et je sens dans mes doigts
À la racine de mon poignet
Dans tout le bras
Jusqu’à l’attache de l’épaule
Sourdre un geste
Qui se crée
Et dont j’ignore encore
L’enchantement profond.

Anne HÉBERT, Le Tombeau des rois, 1953, Institut littéraire de Québec



Roses et ronces

Rosace rosace les roses
roule mon cœur au flanc de la falaise
la plus dure paroi de la vie s’écroule
et du haut des minarets jaillissent
les cris blancs et aigus des sinistrés

du plus rouge au plus noir feu d’artifice
se ferment les plus beaux yeux du monde

rosace les roses les roses et les ronces
et mille et mille épines
dans la main où la perle se pose

une couronne d’épines où l’oiseau se repose
les ailes repliées sur le souvenir d’un nid bien fait

la douceur envolée n’a laissé derrière elle
qu’un long ruban de velours déchiré
rosace rosace les roses
les jours où le feu rampait sous la cendre
pour venir s’éteindre au pied du lit
offrant sa dernière étoile pour une lueur d’amour
le temps de s’étreindre
et la dernière chaleur déjà s’évanouissait
sous nos yeux inutiles la nuit se raidissait dure jusqu’à l’aube

rosace les roses les roses et les ronces
le cœur bat comme une porte
que plus rien ne retient dans ses gonds
et passent librement tous les malheurs
connus et inconnus
ceux que l’on n’attendait plus
ceux que l’on avait oubliés reviennent
en paquets de petites aiguilles volantes
un court instant de bonheur égaré
des miettes de pain des oiseaux morts de faim

une fine neige comme un gant pour voiler la main
et le vent le vent fou le vent sans fin balaie
balaie tout sauf une mare de boue
qui toujours est là et nous dévisage

c’est la ruine la ruine à notre image

nous n’avons plus de ressemblance
qu’avec ces galets battus ces racines tordues
fracassés par une armée de vagues qui se ruent
la crête blanche et l’écume aux lèvres

rosace les ronces !

rosace les roses les roses et les ronces
les rouges et les noires les roses les roses
les roseaux les rameaux les ronces
les rameaux les roseaux les roses
sous les manteaux sous les marteaux sous les barreaux
l’eau bleue l’eau morte l’aurore et le sang des garrots

rosace les roses les roses et les ronces
et cent mille épines !

roule mon cœur dans la poussière de minerai
l’étain le cuivre l’acier l’amiante le mica
petits yeux de mica de l’amante d’acier trempé jusqu’à l’os
petits yeux de mica cristallisés dans une eau salée

de lame de fond et de larmes de feu
pour un simple regard humain trop humain

rosace les roses les roses et les ronces
il y avait sur cette terre tant de choses fragiles
tant de choses qu’il ne fallait pas briser
pour y croire et pour y boire
fontaine aussi pure aussi claire que l’eau
fontaine maintenant si noire que l’eau est absente

rosace les ronces
ce printemps de glace dans les artères
ce printemps n’en est pas un
et quelle couleur aura donc le court visage de l’été ?

Roland GIGUÈRE, Les Armes blanches, Erta, Montréal



La Marche à l’Amour

Tu es mon amour
ma clameur mon bramement
tu es mon amour ma ceinture fléchée d’univers
ma danse carrée des quatre coins d’horizon
le rouet des écheveaux de mon espoir
tu es ma réconciliation batailleuse
mon murmure de jours à mes cils d’abeille
mon eau bleue de fenêtre
dans les hauts vols de buildings
mon amour
de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
tu es ma chance ouverte et mon encerclement
à cause de toi
mon courage est un sapin toujours vert
et j’ai du chiendent d’achigan plein l’âme
tu es belle de tout l’avenir épargné
d’une frêle beauté soleilleuse contre l’ombre
ouvre-moi tes bras que j’entre au port
et mon corps d’amoureux viendra rouler
sur les talus du Mont-Royal
orignal, quand tu brames orignal
coule-moi dans ta palinte osseuse
fais-moi passer tout cabré tout empanaché
dans ton appel et ta détermination
Montréal est grand comme un désordre universel
tu es assise quelque part avec l’ombre et ton cœur
ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
fille dont le visage est ma route aux réverbères
quand je plonge dans les nuits de sources
si jamais je te rencontre fille
après les femmes de la soif glacée
je pleurerai te consolerai
de tes jours sans pluies et sans quenouilles
des hasards de l’amour dénoué
j’allumerai chez toi les phares de la douceur
nous nous reposerons dans la lumière
de toutes les mers en fleurs de manne […]
le monde entier sera changé en toi et moi
la marche à l’amour s’ébruite en un voilier
de pas voletant par les eaux blessées de nénuphars
mes absolus poings
ah violence de délices et d’aval
j’aime
que j’aime
que tu t’avances
ma ravie
frileuse aux pieds nus sur les frimas
par ce temps doucement entêté de perce-neige
sur ces grèves où l’été
pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
et qu’en tangage de moisson ourlée de brises
je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
je roule en toi tous les saguenays d’eau noire de ma vie
je fais naître en toi
les frénésies de frayères au fond du cœur d’outaouais
puis le cri de l’engoulevent vient s’abattre dans ta gorge
terre meuble de l’amour ton corps
se soulève en tiges pêle-mêle
je suis au centre du monde tel qu’il gronde en moi […]
1962

Gaston MIRON, L’Homme rapaillé, PUM, 1970


1. Achigan : Poisson d’eau douce d’Amérique du Nord
2. Saguenay : rivière, affluent du Saint-Laurent
3. Rivière Ottawa ou Outaouais, affluent du Saint-Laurent
4. Rapaillé : « Rassemblé »




Après les plus vieux vertiges

Après les plus vieux vertiges
Après les plus longues pentes
Et les plus lents poisons
Ton lit certain comme la tombe
Un jour à midi
S’ouvrait à nos corps faiblis sur les plages
Ainsi que la mer.

Après les plus lentes venues
Les caresses les plus brûlantes
Après ton corps une colonne
Bien claire et parfaitement dure
Mon corps une rivière étendue et dressé pur jusqu’au bord de l’eau.

Entre nous le bonheur indicible
D’une distance
Après la clarté du marbre
Les premiers gestes de nos cris
Et soudain le poids du sang
S’écroule en nous comme un naufrage
Le poids du feu s’abat sur notre cœur perdu

Après le dernier soupir
Et le feu a chaviré l’ombre sur la terre.

SAINT-DENYS GARNEAU, Poésies complètes, Fides, 1949




Poème de quelqu’un d’autre

Dors mon amie sur un peu de tes cheveux rouges
dors
va jusqu’au bout secret de ton rêve
je ne te ferai pas la guerre
mes armées déportent leurs armes
pour d’autres marées et d’autres déserts
dors douce et remuée sur tes cheveux de flammes

nous avons rempli cet amour d’une bien triste
mémoire
et fait de cet appel je ne sais plus quel secours
dors mon amie tranquille loin de ma douleur
évite ma trace et congédie mes lèvres
je ne te ferai pas la guerre

j’apprendrai plus tard peut-être à te dire
comme en un fracas sourd du cœur s’écroulant
cette faiblesse que je fus ce troublement du corps
dans ta lueur constellée dors sereine et cendreuse
à l’écart du vertige du tourment des falaises
sommeille à ton aise sur le duvet d’or teinté
de ta hanche
et que le feu rafaleur atteigne ma veille
et que de mon fantôme calciné te fleurisse une aube
que te parvienne alors le bleu recommencé du jour.

Yves BOISVERT, Les Amateurs de sentiments,
Écrits des Forges/Dé bleu, 1989




The blues is a feeling blues clair
(extrait)

À la première à Chicago des films de Ono Yoko et John Lennon
quelqu’un aurait dit
« In an indescribable way, the shape and feel of a girl’s
breasts are exactly like her personality. »

j’ai broché la phrase sur une poutre transversable de la
cabane Country Joe & Iron Butterfly
où j’écris mon
Blues clair
le dit de nous et je pense à toi toute toi
dans l’absence de toi ce manque de toi qui lancine lacère
lamine
tes seins Milicska
vagues soulevées jusque dans soleils et lunes
l’ampleur lourde une palpitation de la terre palpable
aux remuements lents qui font tous attouchements
vibrations
en quoi ma main ma tête ma bouche mon sexe chaque
fois recréent tout de toi
tes yeux immenses d’une Eurasie délirante et très sage millénaire et pop juive et new thing
tes noirs cheveux roux en mistral et en Max Ernst et en Ballet du XXe siècle
ton nez en arc pour un profil silhouette dans un film de Godard
ton ventre ce fleuve étale à la surface imperceptiblement grouillante de miroitements qui pincent le cœur
ta toison herbe à peine remuée d’une multitude de cris d’oiseaux
ton sexe cathédrale et creux d’une bague démente géante et point d’orgue d’un quintette à cordes de Mozart près des lèvres comme un hurlement silencieux le grain de beauté que tant j’aime
tes fesses cette force ce repos la dynamique au point d’immobilité d’un après-midi d’été à l’heure la plus torride et fraîcheur vacillante qui chatouille d’un crépuscule de printemps s/Richelieu
tes cuisses architecture romane dans une Provence de Masson dont le dépouillement bouleverse sur la jambe droite la cicatrice zébrée giclée stridée comme un paroxysme des Grateful Dead
tes doigts trop d’ongles rongés sur moi
nos regards-sourires à n’en plus finir « Colors for Susan »
ô ma Folie (le petit Robert : XVIIe et XVIIIe siècles : riche
maison de plaisance)
tes seins Milicska […]

Patrick STRARAM (le Bison ravi) « Irish Coffees au No Name Bar & vin rouge Valley of the Moon » L’Obscène Nyctalope/L’Hexagone, 1972



Naufrage

Immobile mais balisée par des odeurs,
cherchant la proie jusqu’à l’ange :
elle s’étendit sur le drap froid
parfaitement fleuve parsemé de joncs fauves.

Dans un éclair ma vie s’y déposa,
vif corbeau dans la moisson dolente.

Ainsi se laissa-t-elle assaillir et dévaster
sous les cris des mains
et polir par la langue dans les ombrages.

Quand sur le flanc elle revint,
comme une amphore de la flamme,
sa peau était ici et là moirée et mauve
de pensées en naufrage.

Fernand OUELLETTE, Dans le sombre, L’Hexagone, 1967.



Noces

Nous sommes debout
Debout et nus et droits
Coulant à pic tous les deux
Aux profondeurs marines
Sa longue chevelure flottant
Au-dessus de nos têtes
Comme des milliers de serpents frémissants
Nous sommes droits et debout
Liés par nos chevilles nos poignets
Liés par nos bouches confondues
Liés par nos flancs soudés
Scandant chaque battement du cœur

Nous plongeons nous plongeons à pic
Dans les abîmes de la mer
Franchissant chaque palier glauque
Lentement avec la plus grande régularité
Certains poissons déjà tournent
Dans un sillage d’or trouble
De longues algues se courbent
Sous le souffle invisible et vert
Des grandes annonciations

Nous nous enfonçons droits et purs
Dans l’ombre de la pénombre originelle
Des lueurs s’éteignent et jaillissent
Avec la plus grande rapidité
Des communications électriques
Crépitent comme des feux chinois autour de nous
Des secrets définitifs
Nous pénètrent insidieusement
Par ces blessures phosphorescentes
Notre plongée toujours défiant
Les lois des atmosphères
Notre plongée défiant
Le sang rouge du cœur vivant

Nous roulons nous roulons
Elle et moi seuls
Aux lourds songes de la mer
Comme des géants transparents
Sous la grande lueur éternelle

[…]
Ah plus de ténèbres
Plus de ténèbres encore
Il y a trop de poulpes pourpres
Trop d’anémones trop crépusculaires
Laissons le jour infernal
Laissons les cycles de haine
Laissons les dieux du glaive
Les voiles d’en haut sont perdues
Dans l’arrachement des étoiles
Avec les derniers sables
Des rivages désertés
Par les dieux décédés

Rigides et lisses comme deux morts
Ma chair inerte dans son flanc creux
Nos yeux clos comme pour toujours
Ses bras mes bras n’existent plus
Nous descendons comme un plomb
Aux prodigieuses cavernes de la mer
Nous atteindrons bientôt
Les couches d’ombre parfaite
Ah noir et total cristal
Prunelles éternelles
Vain frissonnement des jours
Signes de la terre au ciel
Nous plongeons à la mort du monde
Nous plongeons à la naissance du monde.

Alain GRANDBOIS, L’Étoile pourpre, L’Hexagone, 1957



Je suis la terre et l’eau

Je suis la terre et l’eau, tu ne me passeras pas à gué, mon
ami, mon ami

Je suis le puits et la soif, tu ne me traverseras pas sans péril,
mon ami, mon ami

Midi est fait pour crever sur la mer, soleil étale, parole fondue,
tu étais si clair, mon ami, mon ami

Tu ne me quitteras pas essuyant l’ombre sur ta face comme
un vent fugace, mon ami, mon ami

Le malheur et l’espérance sous mon toit brûlent, durement
noués, apprends ces vieilles noces étranges, mon ami, mon
ami

Tu fuis les présages et presses le chiffre pur à même tes mains ouvertes, mon ami, mon ami

Tu parles à haute et intelligible voix, je ne sais quel écho sourd
traîne derrière toi, entends, entends mes veines noires qui
chantent dans la nuit, mon ami, mon ami

Je suis sans nom ni visage certain ; lieu d’accueil et chambre
d’ombre, piste de songe et lieu d’origine, mon ami, mon ami

Ah quelle saison d’âcres feuilles rousses m’a donnée Dieu
pour t’y coucher, mon ami, mon ami

Un grand cheval noir court sur les grèves, j’entends son pas
sous la terre, son sabot frappe la source de mon sang à la
fine jointure de la mort

Ah quel automne ! Qui donc m’a prise parmi des
cheminements de fougères souterraines, confondue à l’odeur
du bois mouillé, mon ami, mon ami

Parmi les âges brouillés, naissances et morts, toutes
mémoires, couleurs rompues, reçois le cœur obscur de la
terre, toute la nuit entre tes mains livrée et donnée, mon ami, mon ami

Il a suffi d’un seul matin pour que mon visage fleurisse,
reconnais ta propre grande ténèbre visitée, tout le mystère lié
entre tes mains claires, mon amour.

Anne HÉBERT, Mystère de la Parole, Le Seuil, 1960



Vous êtes ma douceur

« Vous êtes ma douceur, ma folie et mon chant ;
Bientôt j’étoufferai cette peine caduque
Dont vos yeux ont parfois le souvenir mordant. »
Puis je refermerai mes deux bras sur ta nuque,
Si passionnément qu’alors tu comprendras
Le déchirant appel de mon être qui t’aime,
Et le rêve infini du triste et doux poème
De mon cœur, qui soudain à tes pieds croulera !

Medgé VÉZINA, Chaque heure a son visage, Éditions du totem, 1934



J’abdique tout

Je ne suis plus qu’un peu de chair qui souffre et saigne.
Je ne sais plus lutter, j’attends le dernier coup,
Le coup de grâce et de pitié que le sort daigne
Assener à ceux-là qui vont mourir debout.

J’abdique tout. J’ai cru que la cause était belle
Et mon être a donné un peu plus que sa part ;
La mêlée était rude et mon amour rebelle,
Ma force m’a trahie et je l’ai su trop tard.

Je suis là, sans orgueil, sans rancœur et sans arme ;
Mais l’espoir têtu reste en mon être sans foi,
Même si je n’ai plus cette pudeur des larmes
Qui fait qu’on a l’instinct de se cacher en soi.

La vie âpre, insensible, a vu ma plaie béante
Et tous les soubresauts qui ont tordu mon corps ;
J’ai crispé rnes doigts fous aux chairs indifférentes.
Mon amour résigné a pleuré vers la mort.

Qu’elle vienne, la mort, celle des amoureuses,
La mort qui vous étreint comme des bras d’amant,
Et qu’elle emporte ailleurs cette loque fiévreuse
Qu’est mon être vaincu, magnifique et sanglant.

Jovette BERNIER, Les Masques déchirés, Albert Lévesque, LACF, 1932



Présence de l’absence

Tu es né mêlé à moi comme à l’archaïque lumière les eaux sans pesanteur,
Tu es né loin de moi comme au bout du soleil les terres noyautées de feu,
Tu nais sans cesse de moi comme les mille bras des vagues courant sur la mer toujours étrangère ;
C’est moi ce charroi d’ondes pour mûrir ton destin comme midi au sommet d’une cloche ;
Cette gorgée d’eau qui te livre la cime du glacier, c’est mon silence en toi,
Et c’est le sillage de mon défi cette odeur qui t’assujettit à la rose ;
Cette pourpre dont tu fais l’honneur de ton manteau, c’est le deuil violent de mon départ ;
C’est moi l’amour sans la longue, la triste paix possessive…
Moi, je suis en toi ce néant d’écume, cette levure pour la mie de ton pain ;
Toi, tu es en moi cette chaude aimantation et je ne dévie point de toi ;
C’est moi qui fais lever ce bleu de ton regard et tu couvres les plaies du monde.
C’est moi ce remuement de larmes et tout chemin ravagé entre les dieux et toi.
C’est moi l’envers insaisissable du sceau de ton nom.
Si ton propre souffle te quittait, je recueillerais pour toi celui des morts dérisoires ;
Si quelque ange te frustrait d’un désir, ce serait moi la fraude cachée dans la malédiction.
Toi, tu nais sans cesse de moi comme d’une jeune morte, sans souillure de sang ;
De ma fuite sont tes ailes, de ma fuite la puissance de ton planement ;
De moi, non point l’hérédité du lait, mais cette lèvre jamais sauve du gémissement.
Je suis l’embrasement amoureux de l’absence sans la poix de la glutineuse présence.

Rina LASNIER, Présence de l’absence, L’Hexagone, 1956


Si rigide le désert de l’Autre

d’il d’elle de lui d’elle les mots de l’amour rêves phrases déparlantes je me dépare je déparle les phrases si muettes dans ma tête je me répète comme une petite fille si claires oui oui jongleuse des fins d’après-midi rendez-vous manqués puis masqués masque rien n’arrive les cris la soif l’ordure mentale si grande si dépossédée emmurée dans la peur des mots du sens de la marche le désordre jusque dans le corps crispé ça serre au ventre ça remue les hauts plafonds qui vont éclater je rêve debout couchée je te parle de rien de tellement rien les cuisses humides prennent toute la place plus rien toutes les jointures se bloquent finie la circulation l’obligation je suis obligée de parler pourquoi l’avoir cru les phrases s’inversent les mots viennent par-derrière commencer par la fin défaire bout pour bout le discours comme si c’était possible les phrases commencent par la fin comme s’il y avait trou comme il y a un trou dans mon corps à partir duquel je pourrais retourner bout pour bout ma peau par l’envers rouge j’imagine rugueuse torture pour les yeux muette de terreur mon corps non mes phrases oh ! je déparle oh ! j’ai déparlé comme je te vois comme je t’ai vu les hauts fourneaux de saint-jean-de-dieu les mots qui devraient filer vite nets ou bloquer non pas bloquer mais se taire se taire se taire ça n’est pas pareil le geste à la place le cul est innocence de la tête et du cul du cul à la tête de la tête au cul une traversée des mots
*
Les heures les jours les années l’épaisseur le sommeil les fatigues des fins d’après-midi. Je me surveille de près. Je me tiens à l’œil. Si rigide le désert de l’Autre.

France THÉORET, Bloody Mary, Les Herbes rouges, 1977






Poésie, solitude rompue

Notre pays est à l’âge des premiers jours du monde. La vie ici est à découvrir et à nommer ; ce paysage obscur que nous avons, ce cœur silencieux qui est le nôtre, tous ces paysages d’avant l’homme, qui attendent d’être habités et possédés par nous, et cette parole confuse qui s’ébauche dans la nuit, tout cela appelle le jour et la lumière.
[…] Et moi, je crois à la vertu de la poésie, je crois au salut qui vient de toute parole juste, vécue et exprimée. Je crois à la solitude rompue comme du pain par la poésie.

Anne HÉBERT, Poèmes, Le Seuil, 1960.



La passion des mots

Pourquoi la poésie ? Pourquoi cette écriture à contre-courant de toutes les vitesses d’usage, sinon pour s’ancrer dans une langue en désarroi qui échappe à ses balises… Dire simplement : j’ai la passion des mots, de leur souffle, de leur volume. C’est pour moi plus qu’une métaphore, car les mots, dans la poésie, se mettent réellement à bouger, à faire des histoires ; ils dérangent l’ordre du discours, organisent leur propre débit, trouvent leur voix, leurs figures. La poésie, c’est là où, ayant renoncé à la maîtrise du langage, j’accepte d’être jouée, piégée, remise en cause. Là où, paradoxalement, je renonce à l’unité du je comme sujet pour retourner à ma subjectivité.

Louise DUPRÉ, Choisir la poésie,
Écrits des Forges, 1986


Qui est cet homme ?

J’écris l’étroite maison rouge où passent des coulicous. Un homme avec une femme avec un enfant s’avancent dans un matin chargé d’impatientes. C’est un éveil à saveur de batture ; la largeur du ciel débonde la tête matinale. Il y a aussi le ventre du canot, son glissement de baume, la voie qu’il imprime dans le cœur. En contre-haut légèrement, la vie furtive du moqueur et son dernier tonnerre quand le renverse cet éclair épervier. Je ne parle pas. J’écris la saveur des premiers répertoires et dans le même souffle la plus dure flèche du carquois. J’écris ce qui chantait, ce qu’on attend au bord des fleuves, j’écris le claquement des canifs, l’escadrille qui fauche, j’écris un petit torse d’avenir, une poitrine consumée.

Pierre MORENCY, Effets personnels,
L’Hexagone, 1987




Dire le souffle enfoui en nous

du temps et un certain désespoir
car dans la rumeur urbaine on cite
tous ses efforts à survivre comme
étant des effets de fiction
ce que l’envie de création persiste à dire
c’est le souffle enfoui en nous
des paroles comme un cinéma parlant
des apparences
des montagnes
du gestuel dans les yeux
la vraie nature des effervescences
puisqu’il est possible de retenir
les scènes sur l’écran en ellipse
j’ai remonté certains fragments
j’ai perdu un peu l’accès aux démesures
mais il en reste quelques mots
frappés dans des images sonores

Claude BEAUSOLEIL, Dans la matière rêvant comme d’une émeute, Écrits des Forges, 1982




Mystère

L’écrivain ne vous accorde pas
Il vous conduit à cet usage inconcevable où personne ne vous donne la parole
Il ne sait plus se taire
Il ne vous promet pas la fin des injustices et le juste châtiment
Il vous confie personnellement qu’il n’y a pas d’ici-bas
Il vous prend et vous froisse
Sa saison ne se conserve pas
plus d’assermentés là-haut
Une dissémination
Un dessaisissement pour donner les couleurs
Une forme qui brûle de curiosité et d’émerveillement
Elle nous croit
Elle pense à nous
Et je n’en ai pas la moindre idée
Une affirmation tout à fait inhabituelle de l’idée
Je ne pouvais plus espérer qu’elle m’attende encore

François CHARRON, Mystère, Les Herbes rouges, 1981.


Le Canada

Il est sous le soleil une terre bénie,
Où le ciel a versé ses dons les plus brillants,
Où, répandant ses biens la nature agrandie
À ses vastes forêts mêle ses lacs géants.

Sur ces bords enchantés, notre mère, la France,
A laissé de sa gloire un immortel sillon,
Précipitant ses flots vers l’océan immense,
Le noble Saint-Laurent redit encor son nom.

Heureux qui la connaît, plus heureux qui l’habite,
Et, ne quittant jamais pour chercher d’autres cieux
Les rives du grand fleuve où le bonheur l’invite,
Sait vivre et sait mourir où dorment ses aïeux.

Québec, 12 janvier, 1858

Octave CRÉMAZIE, Le Canada, Le Passe-temps, 1902



Ode au Salnt-Laurent

Et je situerai l’homme où naît mon harmonie

Ma langue est d’Amérique
Je suis né de ce paysage
J’ai pris souffle dans le limon du fleuve
Je suis la terre et je suis la parole
Le soleil se lève à la plante de mes pieds
Le soleil s’endort sous ma tête
Mes bras sont deux océans le long de mon corps
Le monde entier vient frapper à mes flancs

[…]
Ô que sourde le premier visage de l’homme
Et que j’entende son premier récit

Je mêle ma langue aux racines enneigées
Je mêle mon souffle à la chaleur du printemps
Je m’imprègne de chaque odeur
J’invente des nombres j’invente des images
Je me construis des lettres avec du limon
Je plante des mots dans la haute plaine

Et cela surgit soudain à ras d’horizon
Comme un homme plein de barbe et plein de rosée

L’homme naît d’un frisson du ciel et de la terre
Je m’accomplirai dans les pas du temps

Je vois dans une phrase l’espace de l’homme

L’homme de mon pays sort à peine de terre
Et sa première lettre est un feuillage obscur
Et son visage un songe ardent et maladroit
Cet homme fait ses premiers pas sur terre
Il s’initie au geste originel
Et ses poignets saignent sur la pierre sauvage
Et les mots écorchent sa bouche
Et l’outil se brise dans ses mains malhabiles

Et c’est toute sa jeunesse qui éclate en sanglots
[…]

Gatien LAPOINTE, Ode au Saint-Laurent, Éd. du Jour, « Les Poètes du Jour », 1963




Le cycle des bois et des champs

Liminaire

Je suis un fils déchu de race surhumaine,
Race de violents, de forts, de hasardeux,
Et j’ai le mal du pays neuf, que je tiens d’eux,
Quand viennent les jours gris que septembre ramène.

Tout le passé brutal de ces coureurs des bois,
Chasseurs, trappeurs, scieurs de long, flotteurs de cages,
Marchands aventuriers ou travailleurs à gages,
M’ordonne d’émigrer par en haut pour cinq mois.

Et je rêve d’aller comme allaient les ancêtres ;
J’entends pleurer en moi les grands espaces blancs,
Qu’ils parcouraient, nimbés de souffles d’ouragans,
Et j’abhorre comme eux la contrainte des maîtres.

[…]

Alfred DESROCHERS, A l’ombre de l’Orford,
Sherbrooke, l’Auteur, 1929



Compagnon des Amériques

(Extrait de La Batèche)

Compagnon des Amériques
Mon Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
au-delà d’une vivante agonie de roseaux au visage

je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière de nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles […]
mais donne la main à toutes les rencontres, pays
ô toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes des pères de l’aventure

Gaston MIRON, L’homme rapaillé, PUM, 1970




Voilà qu’un peuple apprend à se mettre debout

Tu es beau mon pays tu es vrai avec ta chevelure de fougères
et ce grand bras d’eau qui enlace la solitude des îles
Tu es sauvage et net de silex et de soleil
Tu sais mourir tout nu dans ton orgueil d’orignal roulé dans les poudreries aux longs cris de sorcières l…]

Ô glaise des hommes et de la terre comme une seule pâte
qui lève et craquelle

Lorsque l’amande tiédit au creux de la main et songeuse en
sa pâte se replie

Lorsque le museau des pierres s’enfouit plus profond dans
le ventre de la terre
Lorsque la rivière étire ses membres dans le lit de la savane
Et frileuse écoute le biceps des glaces étreindre le pays sauvage

Voici qu’un peuple apprend à se mettre debout
Debout et tourné vers la magie du pôle debout entre trois
océans
Debout face aux chacals de l’histoire face aux pygmées de
la peur
Un peuple aux genoux cagneux aux mains noueuses tant il
a rampé dans la honte
Un peuple ivre de vents et de femmes s’essaie à sa nouveauté

Jacques BRAULT, Suite fraternelle, Université d’Ottawa, 1969



L’alouette en colère

J’ai un fils enragé
qui ne croit ni à Dieu
ni à diable
ni à moi.
J’ai un fils écrasé
par les temples à finance
où il ne peut entrer
et par ceux des paroles
d’où il ne peut sortir.

J’ai un fils dépouillé
comme le fut son père
porteur d’eau
scieur de bois
locataire
et chômeur
dans son propre pays.

Il ne lui reste plus
qu’la belle vue sur le fleuve
et sa langue maternelle qu’on ne reconnaît pas.

J’ai un fils révolté un fils humilié
un fils qui demain sera un assassin.

Alors moi j’ai eu peur
et j’ai crié à l’aide, au secours, quelqu’un !
Le gros voisin d’en face
est accouru armé grossier étranger
pour abattre mon fils une bonne fois pour toutes
et lui casser les reins
et le dos
et la tête
et le bec
et les ailes
alouette
ah…
Mon fils est en prison
et moi je sens en moi
dans le tréfonds de moi pour la première fois
malgré moi malgré moi
entre la chair et l’os
s’installer la colère…

Félix LECLERC, Chanson, 1970 Album POL 2675-133 Distr. Polygram



La main du bourreau finit toujours par pourrir

Grande main qui pèse sur nous
grande main qui nous aplatit contre terre
grande main qui nous brise les ailes
grande main de plomb chaud
grande main de fer rouge

grands ongles qui nous scient les os
grands ongles qui nous ouvrent les yeux
comme des huîtres
grands ongles qui nous cousent les lèvres
grands ongles d’étain rouillé
grands ongles d’émail brûlé

mais viendront les panaris
panaris
panaris

la grande main qui nous cloue au sol
finira par pourrir
les jointures éclateront comme des verres de cristal
les ongles tomberont

la grande main pourrira
et nous pourrons nous lever pour aller ailleurs.

1951

Roland GIGUÈRE, L’âge de la parole,
L’Hexagone, « Rétrospectives », 1965




Cantouque menteur

les Louis Riel1 du dimanche
les décapités de salon
les pendus de fin de semaine
les martyrs du café du coin
les révolutavernes
et les molsonnutionnaires
mes frères mes pareils
hâbleurs de fond de cour un jour
on en aura soupé
de faire dans nos culottes
debout sur les barricades
on tirera des tomates aux Anglais
des œufs pourris des Lénine
avant d’avoir sur la gueule
la décharge de plombs du sergent Trudeau
du royal Vanndouze
à l’angle des rues Peel et Saint’Cat

c’est une chanson de tristesse et d’aveu
fausse et menteuse comme une femme
et pleureuse itou avec un fond de vérité
je m’en confesse à dieu tout-puissant
mon pays mon Québec
la chanson n’est pas vraie
mais la colère si
au nom du pays de la terre
et des seins de Pélagie

Gérard GODIN, Les Cantouques, Parti pris, « Paroles », 1967


l. Métis canadien qui dirigea la résistance des métis (de sang européen et indien) en 1869 et 1884-1885




L'afficheur hurle

(Extraits)

[…]
J’habite en une terre de crachats de matins hâves et de
rousseurs malsaines les poètes s’y suicident et
les femmes s’y anémient les paysages s’y lézardent et
la rancœur purulle aux lèvres de ses habitants
non non je n’invente pas je n’invente rien je sais
je cherche à nommer sans bavure tel que c’est
de mourir à petit feu tel que c’est
de mourir poliment
dans l’abjection et dans l’indignité tel que c’est
de vivre ainsi
tel que c’est de tourner retourner sans fin dans
un novembre perpétuel dans un délire de poète fou
de poète d’un peuple crétinisé décervelé
vivre cela le dire et le hurler en un seul long cri de
détresse qui déchire la terre du lit des fleuves à la
cime des pins
vivre à partir d’un cri d’où seul vivre sera possible
[…]
avons-nous besoin de pratiquer ici le long raisonné dérè-
glement de tous les sens ne sommes-nous pas les
sombres voyants de la vie absente
dans la ruelle Saint-Christophe
dans la ruelle vérité
est-ce la vie qui fait claquer
son grand pas d’ombre et de démente
le dur petit soleil qui cogne contre les tôles des hangars
des taudis a le visage crispé de mon aujourd’hui
qu’il me regarde oui qu’il me toise et me transperce je
rends le son brisant et sec des broussailles d’arrière-
saison je suis novembre courbé sous le talon de la
bise
dans la ruelle Saint-Christophe est-ce ma vie que je dis-
pute aux poubelles au pavé la vie que je prends en
chasse ai-je fait d’un haut-le-cœur ma vérité
ma vérité celle qui ne réfute aucun diplôme pas même
le diplôme doré du poème ma vérité de crânes en
friches et de latentes sauvageries ma vérité d’arrière-
grands-parents leur profonde et superbe ignorance
leurs fronts butés l’ancestrale ténèbre affleurant à
l’orage folie de mes mots
la vérité vous saisissez je n’y comprends rien pas un traî-
tre mot et je m’en balance elle me fait mal comme le
regard oblique et jaune du clochard
le sombre soleil qui me tue sonne quelle heure au monde
quelqu’un s’est tu est-ce ma vie est-ce mon sang
quelqu’un s’est tu au fond de la ruelle est-ce la fin
de ce mal gris qui est ma vie

(.)
nous n’aurons même pas l’épitaphe des décapités des
morts de faim des massacrés nous n’aurons été
qu’une page blanche de l’histoire
même chanter notre malheur est faux d’où lui tirer un
nom une musique
qui entendra nos pas étouffés dans l’ornière américaine
où nous précède et déjà nous efface la mort terrible
et bariolée des peaux-rouges
en la ruelle Saint-Christophe s’achève un peuple jamais
né une histoire à dormir debout un conte qui finit
par le début
Il était une fois… et nous n’aurons su dire que le balbu-
tiement gêné d’un malheureux qui ne sait nommer
son mal
et qui s’en va comme un mauvais plaisant honteux de sa
souffrance comme d’un mensonge

Paul CHAMBERLAND, L’Afficheur hurle,
Parti pris, « Paroles », 1964



Speak white

Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble
dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et
Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan

speak white
parlez de choses et d’autres
parlez-nous de la Grande Charte
ou du monument à Lincoln
du charme gris de la Tamise
de l’eau rose du Potomac
parlez-nous de vos traditions
nous sommes un peuple peu brillant
mais fort capable d’apprécier
toute l’importance des crumpets
ou du Boston Tea Party
mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks

pour parler du gracious living
et parler du standard de vie
et de la Grande Société
un peu plus fort alors speak white
haussez vos voix de contremaîtres
nous sommes un peu durs d’oreille
nous vivons trop près des machines
et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud
qu’on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l’heure de la mort à l’ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar

speak white
tell us that God is a great big shot
and that we’re paid to trust him
speak white
parlez-nous production profits et pourcentages
speak white
c’est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d’âme

mais pour se vendre
ah !
speak white
big deal
mais pour vous dire
l’éternité d’un jour de grève
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l’est de vos empires
rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d’huile
speak white
soyez à l’aise dans vos mots
nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d’avoir le monopole
de la correction de langage
dans la langue douce de Shakespeare
avec l’accent de Longfellow
parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viêt-nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression
speak white
c’est une langue universelle
nous sommes nés pour la comprendre
avec ses mots lacrymogènes
avec ses mots matraques
speak white
tell us again about Freedom and Democracy
nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou
de Little Rock
speak white
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Strett
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we’re doing all right
we’re doing fine
we
are not alone
nous savons
que nous ne sommes pas seuls

Michèle LALONDE, Speak White, (poème-affiche) L’Hexagone, 1974




Amérique étrangère

Amérique Amérique
Terre carnivore aux brèches du désir
Amérique
Éponge humide des brasiers de ton sang
Lande d’yeux qui brûlent au fond de tes poubelles
Amérique Amérique de soufre
Amérique d’écorce hoquet des hurleries et saxo noir des fous
Amérique tendue aux quatre clous des vents
Chiffonnière des nuages des cornes de fumée roulent à la jetée
du ciel cent taureaux tremblent à perte d’envie dans tes
loques de cris
Amérique d’angine peau de râpe cœur de givre toi ma gerçure
Amérique concave enfant vieillot manne vaine dont la mort
n’est jamais blanche et dont la vie n’est jamais rose
Amérique plaqueuse de goudron sur les barreaux de ton
bonheur
Amérique abattue abattoir de tes rouilles
Ivrogne du matin léchant des horizons de pluie
Terre de futur vague et de rencontre Amérique

Je ne te possède pas
Je m’exaspère je ne te crains pas
Je me surmène et je te veux
Malgré moi contre moi contre mon sang
Contre mes sens d’homme aiguisé
Contre ma rage de tourbe et le sel de mon sang qui coule
des marais de mes Flandres
Contre mes déroutes menant d’aube à aube et sans pays trois
fois
Je te veux ton alliance à mon doigt
Que je te mate et te cravache revêche
Et te plante sous mes plafonds bas […]

Je devrai me ruer contre tous les salpêtres et tous les bois
ternis de mon sang
Je devrai me jeter flèche sur les cris de mon passé et sur mes
reniements
Et je briserai les arbres tenant encore à la rengaine de ce cœur
Et je lancerai la hache sur moi-même et je me retrouverai
À nouveau créé pour la troisième fois de ma vie
Et je serai le soc et la main qui le plante
Et moi-même l’épaule et l’épaulement
Je rongerai le tremble de mes landes charnelles
Je mangerai l’écorce et la racine de ce vieux mal de terre et
je déterrerai les paroles du feu
Je flotterai fleuve de liège flamme d’algue
j’évoluerai dans le vertige
Je serai ciel des épaisseurs mouvantes et roc primaire sous
les pierres du vent
je serai l’os de la rouille et je naîtrai
forme et substance de craie au pays de la craie

de la craie des visages sans air
de la craie des neiges oubliées
des bouches gelées
des peaux froides et du feu sous la peau
de la cendre explosée
de la craie des ruelles amorties d’odeurs fauves
de la craie des gratte-ciel
gris sur froid
bleu sur fer
de la craie des arbres plantés droit
douilles perdues qui n’ont pas percuté
de la craie d’Amérique
Amérique à peau double ma lutte
terne et mauve amérique serpent
de poivre de glace ma violence
Amérique à peau neuve mon cancer et mon double
Et ma drogue
qui creuse la main du dernier cri

Michel VAN SCHENDEL, Poèmes de l’Amérique étrangère,
L’Hexagone, « Les Matinaux », 1958



Jours tranquilles

cette ville que je cherchais et qui me trouvait toujours là où il fallait je marchais dans Montréal la nuit le jour et autrement dit cette ville cachait mon mal d’être dans l’exposition de ses rues à sens unique, je descendais sur Hôtel-de-Ville où les filles faisaient la pluie et le beau temps, puis je m’arrêtais rue Saint-Laurent Montréal Pool Room deux hot-dogs une patate et un Coke en regardant ma Harley Davidson contre la chaîne du trottoir avec dans la tête cette chanson de Gainsbourg chantée par Bardot : « Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson… », parfois j’allais m’asseoir seul au centre-ville et je contemplais les étoiles en perdant magnifique j’attendais que la Grande Ourse se transforme en Auberge de bohémien et je rêvais de longues heures enfoui dans les langueurs d’herbe, que de réminiscences Montréal mon adolescence et ma délinquance, ma déviance et ma délivrance, que de souvenirs en bleu denim et d’amours à tout casser, je me retrouvais parfois sur le mont Royal et j’inhalais la ville à perte d’âme, petit spectacle des lumières, je repartais en Harley Davidson comme Marlon Brando dans The Wild One, ô Montréal mon Amérique familière, ma ville des grands buildings comme des totems de gloire, et soudain la grande Sainte-Catherine Street m’interpellait d’ouest en est et de retour coin Saint-Laurent, centre-ville de luxure et de promiscuité, belle ville de mes randonnées en cachette de l’univers, Montréal des subterfuges et des rendez-vous interdits, ma belle solitude urbaine à pleins néons quand je chantais le Mal de Montréal derrière mes Ray-Ban de Sky-Pilot en vol de nuit au centre de moi-même, ville des petits matins de héros restreints, je marchais dans cette ville l’hiver l’estomac dans les talons, dormant dans les entrées d’édifices, mais l’été revenait toujours plus improbable que jamais, j’aimais cette ville en été la nuit le jour, cette ville je la désirais en été absolu, interminable summer time blues en Harley Davidson, T-shirt et tatouages, Montréal, graffiti à l’envers du siècle et secrets bien gardés, je marcherais encore dans tes rues, à la tombée du jour comme au p’tit matin, en santiag dans l’aube, ma déréliction a ton nom, Mtl m’entends-tu ma déréliction a ton nom m’entends-tu Montréal, mon mal d’amour à cœur de jour, rock-désir amadoué d’amour fou Montréal ô ville de mes lignes de fuite, de ma déterritorialisation à tout propos, Mtl, j’aime tes ailes, j’m-t-z’ailes, moi l’Oiseau de Vie, l’aigle chauve des voltecimes en gratte-ciel, j’aime tes ailes Montréal un point c’est tout, et à bout de souffle je reprends ma marche dans tes rues qui portent le nom de mon errance, et je marche, je déambule, non je mens, c’est en auto ou en moto que je te traverse de long en large et te fouille et que j’y trouve toujours mon compte, ville aux mille clochers résignés, belle ville des multiples rencontres internationales de jazz et de cinéma, que j’aime tes ailes de nuit, que j’aime tes airs d’aller, c’est pourquoi je te suis fidèle malgré tout…

Lucien FRANCŒUR in « Montréal des écrivains » L’Hexagone, 1988



Aura d’une ville

Car une ville est un lieu qui allège et abrite l’intensité. Une ville toujours quelque part ranime en nous le désir et autant de saisons, les pluies, le singulier, le foisonnement des pensées, la mort recommencée et mille distances à parcourir qui nous font souvenir de la sueur et du froid. Volutes, dômes, hanches, épaules, tresse colorée du désir, oui une ville nous surprend en pleine sensation de vivre malgré les drôles de clichés qui retombent sur nos épaules si, par exemple, on longe la rue Saint-Denis ou si on descend un samedi soir dans le Vieux-Montréal et que, au bord du fleuve, la nuit est encore capable d’étoiles.
Ma ville est multiple. Je ne sais pas mettre de clôtures entre les quartiers, les parkings étalés du centre-ville. La tentation des terrasses est permanente. Je ne sais pas choisir entre les parcs, les cinémas, les façades anciennes, la saleté et les restos chic. Je sais seulement marcher entre les saisons, la tête haute, le regard neuf comme si Montréal était une aventure toujours à recommencer. Je sais seulement me contredire comme on le fait souvent en parlant d’un grand amour ou de son enfance sans trop savoir si ce qui nous habite est le fruit de notre imagination ou la sensation mille fois vécue de la réalité. Il m’arrive parfois de laisser parler la sensation. La sensation est diffuse.
Il y a trop de destins qui se forment de l’aube à la nuit, quotidiens, aussi bruyants que la vie elle-même. Montréal est en moi multiple. Je ne peux arrêter le temps et figer toute mon île dans une seule rue, dans un quartier. Je sais très bien que j’exagérerais, que j’imaginerais des soies transparentes, des scénarios osés, des drames répétés derrière les rideaux et les stores vénitiens à la tombée du jour. Ma ville est une grande carte géographique où j’aime à pointer du doigt l’enfance, le désir et la littérature comme des repères intimes.

Nicole BROSSARD in « Montréal des écrivains », L’Hexagone, 1988



Or je suis dans la ville opulente

or je suis dans la ville opulente
la grande Ste Catherine Street galope et claque
dans les Mille et une Nuits des néons
moi je gis, muré dans la boîte crânienne
dépoétisé dans ma langue et mon appartenance
déphasé et décentré dans ma coïncidence
ravageur je fouille ma mémoire et mes chairs
jusqu’en les maladies de la tourbe et de l’être
pour trouver la trace de mes signes arrachés emportés
pour reconnaître mon cri dans l’opacité du réel

or je descends vers les quartiers minables
bas et respirant dans leur remugle
je dérive dans les bouts de rues décousus
voici ma vraie vie — dressée comme un hangar —
débarras de l’Histoire — je la revendique
je refuse un salut personnel et transfuge
je m’identifie depuis ma condition d’humilié
je le jure sur l’obscure respiration commune
je veux que les hommes sachent que nous savons

Gaston MIRON, Monologues de l’aliénation délirante, (extraits) in « L’homme rapaillé » PUM, 1970



L’expérience géographique

Quelque chose en avant comme la ville
la peau parcourue à l’ombre des buildings
attendre quant aux géographies amoureuses
que ce texte du savoir et des saveurs
ne cache jamais ou trop
le désordre des cerveaux
cigarettes précises ou drague inconsolable
que la ville inédite rend mon corps
périlleux puisque émeute d’âmes
quelque chose dans l’été lisse
le début de l’amour
car klaxonnements et bruissements :
c’est la perte de mon identité.

La ville ou l’expérience, dis-je.

André ROY



Baby alone in Babylon
À Émile Ollivier

ah cloaques de la ville blanche
bée
le spasme sourd du métro
caïman alourdi d’une humaine insomnie

bleue
la rasta des montagnes
île errante en sa tanière
parmi les langues entremêlées

au bord du puits le feu
prunelles en perdition
la morsure d’une étoile
anagramme à son cou

ouïr
dans l’enflure du vent
et l’acuité des missiles
la course des machines
au ru de l’asphalte
la séduction de la bombe
sous le bourdon des dalles

à hauteur des travaux l’étreinte de la nuit contraire
ah mère
la ville sur ses versants
s’émeut
dans ses flancs
tapies là-bas
l’usure
la meute profonde des rues

Joël DES ROSIERS, Métropolis Opéra, Triptyque/La Vague à l’âme, 1987




Ville 1

la ville s’avale d’ovales qui ovulent syphilis
les « corporations » et pègre et justice effarent qui
démolissent névroses
pression compression
mais c’est ville que j’aime

fugitivations
buter buté au béton brut
congestion commotion
mais c’est ville que j’aime

Drapeau dictature dénaturation absurde/abjecte
(autorouteConcordiavillageolympique) la dérérioration
détériore
COUPEZ LES ARBRES
mais c’est ville que j’aime

éreintements
errances émeuvent baroque populaire (escaliers pignons
rotondes baies ruelles jardins)
décor/vécu à nul autre pareil défiguré in english made
in U.S.A.

mais c’est ville que j’aime comme aucune au monde
MONTRÉAL

Patrick STRARAM (Le Bison ravi)
« 4 x 4/4 x 4 »
Les Herbes rouges, 1974


Graffiti

je suis un poème engagé
conquistador de petites ruelles
aux asphaltes mouillés de sperme et de larmes
aux pignons rouges sur toits
et aux regards de crapauds voyageurs

Louis GEOFFROY
« Les
Nymphes cabrées » suivi de « Graffiti »
L’Obscène Nyctalope, 1968



Chant XXIII

des villes qui nous viennent d’ailleurs et du désir des flots de lumières d’autos et de béton et de buildings et de tronçons et de néons et de regards la présence des autres comme au creux des grandes vagues qui déferlent sur les librairies et les idées contemporaines de ce même flot mobile qui pratique sur les sols fumants des dérives de rêve et de réel nous marchons dans ce chant réclamant des accords nous marchons dans ces rythmes qui pourfendent les têtes partout des aurores et des nuits encerclent les vitrines de phosphore plusieurs amis attablés dans un café un bar ou une cuisine d’appartement discutent des scénarios du nouveau on pense au siècle qui vient sur nous on pense à la relativité des émotions et la surcharge des désirs et des productions tous sont venus d’ici pour combler et déborder l’instant c’est la ville totale qui hante ces cerveaux c’est la lune d’asphalte qui claque dans leurs yeux ils n’ont rien à perdre ils désirent l’entité et plus encore ils fondent des chimères que le temps reprendra dans ses bras afin de les mieux préserver du courant ces villes sont nos villes on y vit à découvert

Claude BEAUSOLEIL, Une certaine fin de siècle, Saint-Lambert, Le Noroît, 1983



Dans cette ville perdue

dans cette ville perdue
qui plissait mes structures
comme les jeux sur la nuit (l’outrance)
le regard alors vers ses yeux
les mains autour du drink
ravages visages et formes vives
le présent est une illusion
les corps marchent seuls
comme des livres démesurés
les Bars morcelés
les voix opaques
quelque chose comme la dérision
dans les jambes une certitude
la fuite
car l’amour est ailleurs
je remonte la rue
c’est l’heure des fins
au fond c’est correct
quelque chose comme un trou (le ventre)
se parler fébrilement
en espérant l’inverse

Claude BEAUSOLEIL, Au milieu du corps l’attraction s’insinue, Le Noroît, 1980



Sans fin Montréal

Montréal a de drôles de toits dont on ne parle jamais
Des aires de vent incontrôlables comme le passé
Une façon inattendue de changer de vêtements de
repeindre
Les murs de mêler les effets d’installer des mirages
Montréal a le pouvoir de nous changer et
sa mémoire est
Rebelle à ce qui la poursuit elle s’amuse à jouer les
Écarts c’est son droit cultive des palmiers ignore les
Sapins placarde ses peines d’amour dans la bouche
Du métro pleure dans le petit brouillard parfois
Sous le grésil le vent blanc cassé dans le silence
Sauvage quand la ville n’est plus une ville au bord
De l’impensable où
vis-je où vais-je dans cet espace
Quand ce n’est plus le hasard mais la force du temps
Spiralé ouvert sur les rouages de cette ville envahie de
Mystère soudain rendue à son feu votif mémoire
Blanc de mémoire les buildings les fumées
Un paysage errant dans l’interdit de l’île sous le gel
En chacun des secrets dans une langue gercée
Le présent d’un hors temps sans contrainte sans
Limite tellement tout a basculé fiction blanche
Rafale surgie de nulle part avec une lueur chaude
Retenue au-dedans des ruses et des mots serrés
C’est le soir ou la nuit peut-être le petit jour les
journaux le diront
Montréal est une ville de poème vous savez

Claude BEAUSOLEIL in « Montréal des écrivains » L’Hexagone, 1988



Poème à ma ville

Les papiers sont toute notre profondeur.
Notre odyssée, un pays diaphane.
Là nous habitons des arbres
qui sont des mères porteuses.
Nous épongeons les excès du papier.
Et d’une sonate blanche à une
amérindienne sur un rocher,
nous rêvons, rêvons de voir l’espoir
à la fin des livres, ses pots
aux mille saveurs des après-midi,
égouttoirs et infusoirs
des langues des peuples.

Une ivresse certaine nous mène à des paroles.
Il n’y a pas de drame dans la solitude,
tout au plus une maîtrise au singulier.
Cela suffit à reprendre le voyage,
à faire avancer dans un même voluptueux émoi,
ma ville, ma langue et mon peuple.

Jocelyne FELX « Nickel-Odéon » in « Poètes québécois contemporains » Écrits des Forges, 1987



Montréal a les yeux gris

Montréal est la ville aux quatre saisons. Franches. Chacune ayant son propre éclairage. C’est dans sa lumière qu’on reconnaît la candeur spécifique d’une ville. Et Montréal est la seule ville au monde où on sait quand le printemps arrive. À une terrasse, fin mars. Près d’un drink. Et il arrive qu’il ne reste pas plus longtemps que le vin blanc froid dans la coupe. S’il repart aussitôt, c’est pour aller chercher l’été. Il tarde alors à revenir. […]

Montréal est une ville où on peut circuler jusque dans ses racines. Translucides. Ville intrigante. Longer ses rues bordées de vitrines, de mannequins, d’annonces. Arpenter ses trottoirs criblés de trous, de passants, de mots. La vie ronge le béton. Et les poteaux badigeonnés de fleurs aux éclats artificiels. Au bout de certaines rues, on reconnaît une fragrance. Ou le building habituel qui nous étonne encore. Sentinelle favorite d’un horizon familier. À l’aube, les villes rêvent. Montréal a alors des yeux gris qui trempent dans le rouge à lèvres.
[…]
Il y a des villes dont les vents rendent fou. Entrer dans une ville, c’est la comparer. L’aimer et la métaphore surgit. Certaines villes ont plus d’imagination que d’autres. À l’image des artisans qui la façonnent. Puisque la ville est la création de l’humain. Souvent elle les inspire. La ville est un joyau précis et précieux d’une civilisation. En Amérique, c’est plein de villes super-écran. De villes King-Kong aux dentitions dinosauriennes !

Et Montréal qui s’était barricadée du fleuve. L’île voulait être d’abord sûre de ne pas partir avec lui. Mais maintenant cette confiance retrouvée. Des fenêtres s’ouvrent sur le Saint-Laurent. L’histoire installée, elle lorgne l’avenir. Les villes sont des folies dont on ne saurait se passer.

Dans les villes on peut jouer : aux oiseaux comme aux fourmis. Certains jours on voit les nuages, en bas ! Et sur les murs de la ville des graffitis assiègent le conformisme de la cravate. La ville se défend de tout statu quo. Il y a, par contre, des villes plus féminines, d’autres plus masculines. Montréal est une ville androgyne. D’où son côté à la fois rond et pointu. Mais c’est dans la neige que Montréal apparaît dans toute sa puissance. Et ses racines sont des serres au cristal atlante. On célèbre alors sa folie jusque dans les Florides. Mot clef de l’imaginaire québécois.
Il n’est pas rare de voir dans le métro de Montréal des paires de skis. Où sont les Alpes ? Des corps en costumes de bain. Où est la mer ? Montréal est une ville qui fabule. Oui, il faut diagnostiquer : Montréal est mégalomane. Et c’est tant mieux.
Ce qui fait qu’on l’aime encore plus !

Jean DAOUST in « Montréal des écrivains » L’Hexagone, 1988



Les urbaines radicales

Toutes les villes aboient et chaque femme en ressent la détonation. Certaines jusqu’à l’ankylose, d’autres au contraire s’installent dans le circuit électrique des pensées et raccordent à la ferveur du jour ou de la nuit les soies, le rythme et l’utopie, font aussi des pas de géantes qui gardent à distance les aboiements. Rue Duluth, rue Rachel, rue Marie-Anne, les urbaines radicales tissent au fil de leur voix de leurs gestes et de leurs textes, un savoir-vivre qui aménage Montréal au cœur de mon identité. Alors j’ai des ailes au corps et toute la ville se transforme. Les noms de rue se confondent à des noms de femmes, Ariane, Carla, Sarah, Sylvie, Destinée. Tout devient concret. Tout est si concret. J’entre alors dans le tourbillon des voix, de la musique et de la danse. La ville devient une femme, rieuse, triste, musclée, fragile : la ville a une histoire insoupçonnée. La ville est tragique. La ville est excessive. La ville a des bras, des lèvres, foisonne de mamours, d’étreintes et de tremblements. La ville est une waitress, une avocate, une mère, une infirmière, une superbe rockeuse. Rue Saint-Denis, au sortir du Lilith ou du Lybiris, c’est à nouveau Montréal, mais la fière allure des urbaines radicales me la rend plus ardente, enfièvre en moi la matière à penser et redonne à ma ville sa forme de grande île en amande.

Nicole BROSSARD in « Montréal des écrivains » L’Hexagone, 1988



La ville était en moi comme j’étais en elle

[…]
Là je suis dépaysé
le fleuve tranquille de mes retours
dort au commencement de la ville
sous le pont Jacques-Cartier
le temps s’arrête et scintille
au miroir de mes veilles
je suis le voyageur de mes rêves

« Montréal est grand comme un désordre
universel » chante Gaston Miron
et je reconnais mon histoire
aux murs silencieux de ma ville
j’aurai la mémoire des noms
Émile Nelligan Robert Choquette
Marie Uguay Pierre Nepveu
« j’ouvre la porte
et j’entends la mer
dans Montréal »
deux fillettes dans la cour d’une école
font un serment « Nous parlerons comme on écrit »
raconte France Théoret au labyrinthe des solitudes
la marche cette infinie dérive contre toutes les morts

Entre le fleuve et la montagne
Montréal s’agrandit jusqu’aux anciens volcans
Rougemont Saint-Hilaire Saint-Bruno
la nuit bouge sur la rivière du Fouez
de nouveaux habitants font la chasse aux oiseaux
dans les hauts vols de buildings
le sens de vivre fuit le rattraper
par le langage dira Monique LaRue
par la mémoire je deviens
ce que je suis

la ville était en moi comme j’étais en elle

Jean ROYER « Vue du fleuve » in « Montréal des écrivains » L’Hexagone, 1988




Nous ne prendrons pas de juste milieu

nous ne prendrons pas de juste milieu.
nous sommes des éventreuses, nous ne prendrons rien de
moins que la Démesure.
jusqu’à se défoncer, démolir, exploser.
nous ne mourrons pas, notre soif grandit
nous sommes des consommatrices affamées dans cet
immense marketing où rien n’est oublié.
Dans un siècle-continent où sévit la loi de la jungle la plus
féroce,
les blessées d’hiver seront sans pitié.
la plus belle des pygmées sticke sa langue épaisse pas longue
dans de grandes oreilles blanches de touristes
raisonnables on s’habitue à se laisser vider.
ce sont toutes des femmes de négation
losers châtelaines-lumberjacks
déploguées d’avec le réel

leur absence sert la cause du plus triste parti.
mais nous nous sommes le désir
nos vieilles femmes défient le rhéostat des veines
font bander toutes les cicatrices
et se parlent à l’orifice des corps.
notre folie n’annule pas l’efficacité du scandale
les buveurs dartre à la frontière des os
pissent la danseuse
off de leur tête
encerclées aux morsures de la Menterie
il faut s’habituer à partir tous les jours.
les petites filles bandées dangereuses
sèment la mort sur l’autoroute.

Josée YVON, Filles-commandos bandées, Les Herbes rouges, 1976




Le sang

Cinq heures moins quart le matin. Ça fait un bon moment que je ne dors pas. Comme bien des fois depuis quelques saisons. Seulement cette fois, je guette, veilleuse de nuit, le sang qui ne veut pas venir.
Les bords, les marges, les étonnantes effusions, les rythmes étouffés. Je suis parcourue du ventre aux tempes de palpitations. Musique ! Musique ! Grillons des foyers d’enfance, plus haut, plus fort, endormez le malaise. La germination, plein sac de bribes, moments souvent douloureux. Si longtemps reliés pour tisser une trame à vivre, à penser ! La démarcation entre le pouvoir et l’impouvoir, la jouissance et son contraire, la volonté et son absence, le désir et la haine, toutes frontières ouvertes, toutes marges abominées et abominables impossibles. Retenue, crispée, souffles couverts, déplacements incessants des bords. Je vois bien mon corps, c’est à peu près tout. Je n’ai pas une image exacte de ses déplacements.
Je quête le sang. Chercher le sang. Secret. Ça ne se parle pas avec exactitude par écrit. Et si je le dis à haute voix, j’ai envie de crier. Le dérapage, l’impossible tiraillement qui ne laisse à la main ce qu’il faut de temps pour toucher le papier, pour signifier l’absolu moment qui pour chacune une fois ou l’autre, presse le hors temps, hors lieu, hors pensée. Attendre le sang : atteindre l’isolement obligé et insensé, là où l’air s’égoutte.
Il n’y a plus de corps et il n’y a que du corps, en images obsédantes. Le tandem. Désirer le sang et haïr tout plein mon ventre et mes hanches.

France THÉORET, Une voix pour Odile, Les Herbes rouges, 1978



Lassitude

Lassitude, ô ma lassitude de vivre !
Plus lasse que toutes les lassitudes.
Plus lasse que la chair lasse de se meurtrir et d’aimer,
que la chair opprimée d’un poids rebutant,
que la chair qui lutte et impuissante se rend,
Plus lasse que le cauchemar et la tête coupée au creux de l’oreiller fiévreux,
Plus lasse que la pluie d’un jour tiède, éternel et infinitésimal,
Plus lasse que le bœuf qui a labouré double tâche et tombe,
Plus lasse que les pavés mortifiés d’un brûlant midi de juillet,
Plus lasse que l’écroulement du chemineau ivre, dans l’herbe grasse,
Lassitude, ô ma lassitude de vivre,
Plus lasse que la lassitude elle-même…

Simone ROUTIER, Les tentations, Paris, La Caravelle, 1934



M’appropriant ma plus lointaine étrangeté

Pas de modèles pour qui cherche ce qui ne fut jamais trouvé. Tout est possible, même moi, m’appropriant ma plus lointaine étrangeté, dont je n’aurais voulu aucune barrière. Songes pourpres, yeux rauques de corbeaux tout autour, stridente taupe, vautours écarlates, tissus de mes craintes archaïques, ils me prêchaient la métaphore logique et les images cohérentes. Je m’abreuvais de leurs non-sens aux portes des folies admises et des meurtres absous, méprisant mes propres entendements de déroute, ma vertigineuse raison d’être, comme s’il eût fallu ajuster tous mes sens au langage boueux. On naît toujours les suicidés de quelqu’un, de quelque sentence enfoncée comme un clou, rouillée dans la gorge et dans l’âme, une corde comme espoir vain au cou, pendue.

Madeleine GAGNON, Antre, Les Herbes rouges, 1978




Wonder Woman

Je rêve d’être branchée télépathique sur une machine atteinte de logorrhée qui m’apprendrait toutes les Amazones et Mata-Hari au complet et l’autre moitié d’Anna Karénine quand elle danse avec Vronski et comment vivent les femmes de Tehuantepec et la somme du nombre des enfants de George Sand et d’Anaïs Nin et de Sylvia Plath et de Laure Conan et de Simone de Beauvoir et des autres aussi et l’arbre généalogique matrilinéaire de ma grand-mère amérindienne et ce que dit la déesse aux serpents et Valentina quand elle tourne autour de cette terre.

Je rêve d’être Bouvard et Pécuchet à moi toute seule. Et Pierre X. Magnant et Sido et Céleste et Mao et le fantôme du Paradis et le fantôme de l’opéra. Je rêve de mettre au monde vingt-sept enfants comme mes deux grands-mères réunies. Je rêve de grandeur et de petitesses. Je rêve d’avaler et de l’être. Je rêve d’une fièvre continue, de l’orgasme à tout coup, d’être moins heavy et de révolution. Je rêve d’être stone comme une méduse et d’apprendre à respirer sous l’eau et d’avoir l’accent moins circonspect. Je rêve d’une mutation.

Yolande VILLEMAIRE, Adrénaline, Éditions du Norod, 1982




Premier sentiment océanique

Je connais tout du Mouvement
sans savoir que je suis si vivante

Que je suis le premier fragment de la danse l’aile encore pliée sur mes branches à respirer. La première flamme. La première musique. Je sais seulement le trajet des sons pour la rencontre des rythmes et l’avancée des siècles. Et pour tout ce déploiement d’air dans la poitrine.

Nouvelle ère sans soupçon mais d’extrême connivence et de couleurs insoupçonnées. Soulèvement d’oxygène qui défie la mort. Premier sentiment océanique.
Tiré du poème
« Nucléa Épiphane »

Louky BERSIANIK, Au beau milieu de moi, Nouvelle Optique, 1983



Le temps tombe

(la terre nous menace
au coin de la rue, chaque midi
le même visage repu
l’assurance des défilés
les fanfares
et le trou au cœur de tous les morts…)

le temps tombe
familles giboulées passereaux
le temps tombe
une tribu perdue remonte à la surface
enfants des pyramides du soleil
amphores de poussière maïs et fourrures
falaise des morts
(falaise comme ruche d’où s’envolent les âmes
gorgées des nécrophages les blancs)
famille stupéfaite
le temps tombe
abénaki maya nègre de Birmingham
âmes civiles de mes morts sauvages

colère inhumée dans le fumier des
chevaux de proie

dans la connaissance des soldats et des
saints
dans les frégates armées
pour la pâmoison d’une infante et le pathos
d’un hommage au soldat inconnu
le temps tombe
dans le mois du saumon s’installent les
villages les mairies
les pêcheurs à la ligne
les capitales polies de main de mort
le temps tombe
galères négriers
atahuallpa
sauvages présents
anéantis
(cendrillon palpite dans la soie ses trois
repas son prince
ô sommeil tranquille
planète ronde où s’étreignent les maisons
conformes
au jour le jour vienne le repos définitif)
le temps tombe
les petits hommes de préhistoire circulent
entre les buildings
dans la pluie chargée de missiles
le temps tombe
espèce satisfaite

Paul-Marie LAPOINTE, Pour les âmes, L’Hexagone, 1964



Métamorphose

J’ai changé
tout est neuf
mon allure
ma démarche dans la rue
la manière de te parler
même cette langue
je ne te ressemble plus tu vois

Parfois des souvenirs filtrent
par-delà ce fragile rideau de mots
taches fuyantes de l’après-midi
Ton accent familier a désormais disparu
la machinerie du temps est si efficace

Cependant il me reste encore la force
de te dire que je n’ai plus besoin
de toi

Va-t’en

Fulvio CACCIA, Irpinia, Triptyque, 1983



Ex’îles

vierge violentée vulve vénéneuse
exsangue
la mémoire vrillée de tant de flétrissures
mon île se meurt
d’avoir enfanté trop d’exodes
terre sans ombre
cruelle gaguère
mon île aux mantilles
purge son sel
au combat des nègres et des chiens
pour les âcres fruits du jacquier

amante marine
tant de fois bercée
ô combien trompée
mon île démâtée
sous la méduse et le fiel
offre au Nordé une humanité confuse
chair de primipares
échardes de campêche
je les entends vagir sous le linceul diapré des argyronètes

aux épissures du vent mâle
la mer adultère
dérive d’ombres
un statuaire
entre Guinée et Guyane

sous les limbes
l’opalescence d’une déchirure
clapotis de rêves naufragés

rien
yeux éteints
mains closes
le bas oubli
en ce grand surplis de mer

un enfant accompagne
une cargaison d’ancêtres terrassés
les frégates au plus haut du zénith
braillent cette procession maudite

l’impatience des mots
caracole à l’orée de mon courroux
à s’abîmer la tempe sur l’arête douce des galets
la déhiscence des ravines

hélas
le décompte des détresses est inexact
le Verbe se dérobe sous l’âcre plaisir de dire
abandonner à la furie du temps
le legs du souvenir
convoquer par des gestes alizés
les résonances de la raison
forclore les rites doux-amers de la souvenance

perdure
toute parole tue
ce dur désir de dire

Joël DES ROSIERS, Métropolis opéra, Triptyque/La Vague à l’âme, 1987



Speak what

Il est si beau de vous entendre parler
de
La Romance du vin
et de L’Homme rapaillé
d’imaginer vos coureurs des bois
des poèmes dans leurs carquois

nous sommes cent peuples venus de loin
partager vos rêves et vos hivers
nous avions les mots
de Montale et de Neruda
le souffle de l’Oural
le rythme des haïkaï

speak what now
nos parents ne comprennent déjà plus nos enfants
nous sommes étrangers
à la colère de Félix
et au spleen de Nelligan
parlez-nous de votre Charte
de la beauté vermeille de vos automnes
du funeste octobre
et aussi du Noblet
nous sommes sensibles
aux pas cadencés
aux esprits cadenassés

speak what

comment parlez-vous
dans vos salons huppés
vous souvenez-vous du vacarme des usines
and of the voice des contremaîtres
you sound like them more and more

speak what now
que personne ne vous comprend
ni à St-Henri ni à Montréal-Nord
nous y parlons
la langue du silence
et de l’impuissance

speak what
« productions, profits et pourcentages »
parlez-nous d’autres choses
des enfants que nous aurons ensemble
du jardin que nous leur ferons

délestez-vous des traîtres et du cilice

imposez-nous votre langue
nous vous raconterons
la guerre, la torture et la misère
nous dirons notre trépas avec vos mots
pour que vous ne mouriez pas
et vous parlerons
avec notre verbe bâtard
et nos accents fêlés
du Cambodge et du Salvador
du Chili et de la Roumanie
de la Molise et du Péloponnèse
jusqu’à notre dernier regard

speak what

nous sommes cent peuples venus de loin
pour vous dire que vous n’êtes pas seuls.

Marco MICONE, Speak what, Revue de théâtre Jeu, n° 50, mars 1989




Liste des auteurs

MICHEL BEAULIEU (1941-1985)
Fonde les éditions Estérel en 1964. Animateur au sein de plusieurs revues littéraires. Desseins en 1980, Kaléidoscope en 1984 et, posthume, Vu en 1989.

CLAUDE BEAUSOLEIL (né en 1948)
Se fait très tôt le défenseur du formalisme d’avant-garde. Professeur et critique : Les livres parlent en 1984, codirecteur de la revue Lèvres urbaines, sa poésie se veut aujourd’hui plus près de l’intime. Un essai en 1987 : Extase et déchirure.

JOVETTE BERNIER (1900-1981)
Journaliste, poète et romancière. Féministe avant la lettre, humoriste et radiofeuilletoniste très écoutée, elle a publié cinq recueils de poésie, deux romans et un essai.

LOUKY BERSIANIK (née en 1930)
Féministe radicale connue surtout pour son roman L’Euguélionne paru en 1978. Cherche à élaborer en poésie une mythologie au féminin : Maternative en 1980 et Axes et eau en 1984.

YVES BOISVERT (née en 1959)
Très actif au sein des éditions des Écrits des Forges de Trois-Rivières, animateur de radio, sa poésie est délinquante et bouscule les lieux communs : Mourir épuisé en 1975 et Garder tout en 1988.

JACQUES BRAULT (né en 1933)
Professeur de philosophie et de littérature à Montréal, très actif à la revue Liberté puis chez Parti pris et plus tard à la radio (littéraire), poursuivant une réflexion sur le temps, la traduction, l’Orient : le recueil Poèmes I réunit en 1986 Mémoire, La poésie ce matin, L’en dessous l’admirable. Un récit : Agonie.

NICOLE BROSSARD (née en 1943)
Chef de file de la génération de La barre du jour, active dans la lutte féministe, elle poursuit une recherche théorique et pratique pour l’émergence d’une écriture au féminin : Le centre blanc, poèmes 1965-1975 en 1980, Amantes en 1980, Double impression, poèmes et textes 1967-1984 en 1984, etc. Elle pratique le roman dont Le sens apparent en 1980, et l’essai, La lettre aérienne par exemple, en 1985.

FULVIO CACCIA (né en 1952)
Écrivain et journaliste, il a coanimé la revue Moebius avant de s’associer au magazine Vice versa. Il a publié deux recueils chez Triptyque : Irpinia en 1983 et Scirroco en 1985.

PAUL CHAMBERLAND (né en 1939)
Milite à la revue Parti pris, assiste aux événements de mai 1968 et prône la « nouvelle culture ». Poète et philosophe d’avant-garde. Terre Québec, L’afficheur hurle et L’inavouable ont été réunis à L’Hexagone en 1985 ; Compagnons chercheurs date de 1984.

FRANÇOIS CHARRON (né en 1952)
Peintre et poète, chef de file de la « nouvelle écriture » aux Herbes rouges. Il s’affiche d’abord poète de combat avec 18 assauts contre la poésie traditionnelle, et notamment Feu en 1978, politisé et agressif. Depuis le début des années 80, sa poésie se fait plus intime, plus douloureuse : La vie n’a pas de sens, et très dépouillée.

OCTAVE CRÉMAZIE (1822-1879)
Poète et libraire de Québec, célèbre pour ses textes « patriotiques » et son journal relatant le siège de Paris en 1870.

JEAN-PAUL DAOUST (né en 1946)
Poète de la ville, de la nuit, de la drague, le dandy urbain se nourrit des mirages de l’Amérique, tout à la fois fasciné et blessé : Taxi en 1984 et Dimanche après-midi en 1985 révèlent un imaginaire des plus fertiles.

ALFRED DESROCHERS (1901-1979)
Journaliste, critique et poète, il anime un mouvement littéraire très vivant vers 1935 à Sherbrooke. Surtout célèbre pour son recueil de 1929, A l’ombre de l’Orford, où se côtoient sonnets hugoliens et chansons de bûcheron.

JOEL DES ROSIERS (né en 1951)
Métropolis Opéra en 1987 et Tribu en 1990 constituent des recueils difficiles d’accès mais d’une grande cohérence thématique et formelle, à cheval entre l’île natale, Haïti, et la haute culture urbaine.

LOUISE DUPRE (née en 1949)
Professeur rattachée au groupe de La nouvelle barre du jour, elle a publié plusieurs recueils de prose poétique aux éditions du Remue-ménage : La peau familière en 1983, Chambres en 1986, Bonheur en 1988. Un essai sur trois poétesses québécoises contemporaines : Stratégies du vertige.

JOCELYNE FELX (née en 1949)
Auteur d’un mauvais roman féministe, Les vierges folles (1975) et d’un recueil de poèmes pleins de vitalité : Orpailleuse (1982).

LUCIEN FRANCŒUR (né en 1948)
Le Rimbaud québécois, à la fois poète, professeur, chanteur et critique. Il s’est fait le chantre de l’Amérique dans autant de livres que de disques. Drive in en 1976 et Les rockeurs sanctifiés en 1982. Un microsillon populaire : Café Rimbaud

MADELEINE GAGNON (née en 1938)
À la croisée des lettres, de la philosophie, du féminisme, du formalisme et de la psychanalyse, elle construit une œuvre d’abord militante puis de plus en plus axée sur l’intime. La venue à l’écriture, récit de 1976, Retailles, complaintes de 1977, Lueur, roman de 1979, Autographie 1. Fictions en 1982, etc.

LOUIS GEOFFROY (1947-1977)
Tour à tour éditeur, poète et nouvelliste, producteur de cinéma et de publicité, collaborateur à des revues comme Hobo-Québec, il laisse plusieurs manuscrits qui témoignent de l’influence de la génération « beat » et de la contre-culture américaine : Empire State Coca Blues (1971), Totem poing fermé (1973), LSD, Voyage (1974).

ROLAND GIGUÈRE (né en 1929)
Typographe, éditeur d’Erta, graveur, peintre et poète renommé, signataire du manifeste Prisme d’yeux. L’âge de la parole en 1965, La main au feu en 1973, Forêt vierge folle en 1979.

GÉRALD GODIN (né en 1938)
Animateur actif de la revue et des éditions Parti pris, député péquiste, compagnon de Pauline Julien, poète, il emprunte beaucoup à la virtuosité du langage populaire. Une rétrospective : Ils ne demandaient qu’à brûler, poèmes 1960-1986.

ALAIN GRANDBOIS (1900-1975)
Un des piliers de la poésie moderne au Québec, à la fois lyrique et cosmique. Membre fondateur de l’Académie canadienne-française. Les îles de la nuit en 1944, Rivages de l’homme en 1948 et L’étoile pourpre en 1957. L’ensemble de ces recueils sera regroupé dans Poèmes à l’Hexagone en 1963.

PHILIPPE HAECK (né en 1946)
Professeur, critique, poète. L’action restreinte de la littérature en 1975, Naissance. De l’écriture québécoise en 1979 et La table d’écriture regroupent ses chroniques et essais. Poète de la simplicité et de la concorde : Polyphonie en 1978 et La parole verte en 1982.

ANNE HÉBERT (née en 1916)
Cousine de Saint-Denys Garneau, elle imposera une œuvre féconde de poétesse, romancière et dramaturge. Sa production poétique est réunie au Seuil sous le titre Poèmes en 1960. Elle entre dans la collection Poètes d’aujourd’hui en 1969. Ses romans sont transposés au cinéma.

MICHELE LALONDE (née en 1937)
Poète et dramaturge. À l’occasion du spectacle « Poèmes et chants de la résistance » de 1969, elle crée son fameux poème dramatique « Speak White », vindicatif et mordant. Il ne sera publié qu’en 1974. En 1979 : Défense et illustration de la langue québécoise suivi de Prose et poèmes

GATIEN LAPOINTE (1931-1983)
Professeur, il fonde en 1971 les Écrits des Forges. Surtout célèbre pour l’appel identitaire qu’est l’Ode au Saint-Laurent publié en 1963. Plus tard, en 1980, il récidive avec Arbre-Radar.

PAUL-MARIE LAPOINTE (né en 1929)
D’abord journaliste, il occupera ensuite diverses fonctions à Radio-Canada. Très tôt poète, il donne en 1948 le recueil automatiste Le vierge incendié. En 1971, il regroupe ses textes dans Le réel absolu, poèmes 1948-1965, et en 1979, le monumental Écritures où se déploient les virtuosités les plus secrètes.

RINA LASNIER (née en 1915)
Discrète mais abondante, sa poésie s’illustre par une grande maîtrise du lyrisme religieux ou mystique. Ses premiers textes sont réunis en 1972 dans Poèmes Elle entre dans la collection Poètes d’aujourd’hui en 1969. À lire encore : Présence de l’absence, L’arbre blanc, Les signes, L’ombre jetés I et II.

FÉLIX LECLERC (1914-1988)
Le poète et l’auteur-compositeur québécois le plus connu en France. Il entre dans la collection Poètes d’aujourd’hui en 1964. Plus tard, Jacques Bertin lui consacrera une belle biographie : Le roi heureux.

JEAN AUBERT LORANGER (1896-1942)
Boudés par ses contemporains, ses recueils seront redécouverts durant les années 60 pour leur modernité d’avant la lettre : simplicité de l’expression, désir contenu mais dit, appel du large, etc. Une belle leçon de poésie : Les atmosphères.

ALBERT LOZEAU (1878-1924)
Contemporain de Nelligan, immobilisé par la maladie, on lui doit des poèmes d’une belle sensibilité, intimistes et simples, balayés d’une légère frayeur : L’Ame solitaire en 1907, Miroir des jours en 1912.

MARCO MICONE (né en 1945)
Dramaturge, professeur de langue et de culture italiennes. Activement engagé dans les milieux italo-québécois, il écrit en français sur ses compatriotes : Sens du silence en 1979 et Addolorata en 1982.

GASTON MIRON (né en 1928)
Cofondateur des éditions de l’Hexagone en 1953, Miron se fait vite remarquer pour son engagement poétique et politique indépendantiste. Dispersés, les fragments de ses cycles poétiques ne seront réunis qu’en 1970 sous le titre L’homme rapaillé.

PIERRE MORENCY (né en 1942)
Auteur radiophonique, il est reconnu pour ses émissions sur l’observation de la nature. À lire : L’œil américain (1989) pour lequel il a obtenu le prix François Sommer 1990. Cofondateur de la revue Estuaire en 1976, poète Iyrique, il a regroupé divers recueils dans Quand nous serons, poèmes 1967-1978.

ÉMILE NELLIGAN (1879-1941)
Poète précoce, son œuvre continue d’alimenter le mythe romantique du poète malheureux, solitaire et visionnaire. Michel Tremblay et André Gagnon en ont même fait un sujet d’opéra en 1990.

FERNAND OUELLETTE (né en 1930)
Cofondateur de la revue Liberté en 1959, il publie des essais : Les actes retrouvés, un livre sur Edgar Varèse et un autre sur Novalis. Ses poèmes sont réunis sous deux titres : Poésie, poèmes, 1953-1971 et En la nuit, la mer, poèmes, 1972-1980. Ajoutons Les heures qui lui valurent bien des hommages.

SIMONE ROUTIER (née en 1901)
Au fil d’une carrière diplomatique, elle pratique les formes du verset et du psaume en des recueils fort bien accueillis, depuis L’immortel adolescent en 1929 jusqu’aux Psaumes du jardin clos en 1947.

ANDRÉ ROY (né en 1944)
Chroniqueur de cinéma, professeur et éditeur. La culture urbaine s’exprime avec tendresse et ironie, l’homosexualité se déploie avec verdeur : Les passions du samedi en 1979, Monsieur Désir en 1981, etc.

JEAN ROYER (né en 1938)
Journaliste au Devoir, cofondateur de la revue Estuaire, spécialiste de l’entretien littéraire, poète inconditionnel de l’amour : Depuis l’amour, Les heures nues, La parole me vient de ton corps, tous parus à l’Hexagone. On lui doit également une anthologie : La poésie québécoise contemporaine.

HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAU (1912-1943)
Cofondateur de La relève en 1934, critique d’art, poète, musicien et peintre, il fonde les assises de la poésie moderne au Québec. On a regroupé l’ensemble de son œuvre (poésie, journal, correspondance) en 1971 sous le titre Œuvres aux Presses de l’Université de Montréal.

PATRICK STRARAM (le Bison ravi) (1934-1989)
Passionné de cinéma et de jazz, animateur de radio, collaborateur à de nombreuses revues, situationniste, mêlé au mouvement de la contreculture, il laisse une œuvre d’une rare originalité à forte odeur de contestation : Blues clair…

FRANCE THÉORET (née en 1942)
Une des voix féministes de la poésie québécoise. Cofondatrice du journal Les têtes de pioche, ses textes donnent une voix aux souffrances des femmes : Bloody Mary en 1977, Une voix pour Odile en 1978, etc.

MICHEL VAN SCHENDEL (né en 1929)
Journaliste, traducteur, directeur de la revue Socialisme, professeur de sémiologie, ses premiers recueils veulent embrasser le territoire nord-américain, ce qui est bien dans les préoccupations de sa génération. Une partie de ses poèmes a été réunie en 1980 dans De l’œil et de l’écoute, poèmes 1956-1976 à l’Hexagone.

MEDJÉ VÉZINA (1896-1981)
Codirectrice de la revue Terre et foyer pendant plus de 25 ans. En 1934, elle publie son unique recueil : Chaque heure a son visage dans lequel les tumultes du désir amoureux sont bien surprenants pour l’époque — les poètes en étant encore à un angélisme de bon aloi.

YOLANDE VILLEMAIRE (née en 1949)
Surtout connue pour son roman La vie en prose, elle est aussi très active en poésie avec des recueils provocants, au féminin délirant : Machinet-elle ?, Terre de mue, Adrénaline, etc. À la fin des années 80, elle récidivait avec un roman déroutant : Vava.

JOSÉE YVON (née en 1950)
Militante féministe et contre-culturelle, elle a collaboré à diverses revues d’avant-garde dont Hobo-Québec, Sorcières, etc. Ses héroïnes sont les paumées du sexe, de la drogue et de la violence urbaine : Filles-commandos bandées en 1976, Kérophilie avec Denis Vanier en 1981, etc.