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Anthologie de poèmes sur le thème de la maison

RECETTE

Prenez un toit de vieilles tuiles
Un peu avant midi.

Placez à côté
Un tilleul déjà grand
Remué par le vent.

Mettez au-dessus d’eux
Un ciel de bleu, lavé
Par des nuages blancs.

Laissez-les faire,
Regardez-les.

Eugène GUILLEVIC, Avec, Gallimard.
(né en 1907)



UNE MAISON… (extrait)

Une maison mi-européenne, mi-japonaise s’achève près de nous. Il y a quelques semaines à peine, les ouvriers plantaient un bouquet sur la charpente et faisaient trêve. On vient d’emménager et comme nous sommes « à côté » — soba — nous recevons en présent des bols de vermicelle ou « soba ».
La demeure est belle mais je regrette le jardin en fouillis où nos voisines, deux très vieilles dames, jardinaient toutes courbées et me tendaient à travers la haie de volubilis des graines de néflier.
L’arbre me donne déjà des fruits pâles, mais les vieilles dames d’autrefois, chassées comme un passé, ne sont plus là. Le présent me reste, ingrat.

Kikou YAMATA, Le Shoji, Stock. (Japonaise, écrivain contemporain de langue française)



L’architecte

Un groupe de jeunes filles en jupes à fleurs rit au coin de la maison en ruines. Les maçons accrochent leur pantalon et leur chemise à un clou du nouvel immeuble, prennent l’oiseau(1), la truelle et escaladent l’échafaudage immense et nu comme s’ils montaient au ciel. L’architecte suppute, remémore, compare, surveille, il a l’air un peu renfrogné comme si son projet était resté à demi en plan et qu’il n’était plus question d’achever jamais cette grande bâtisse. Il prend une pointe et la cloue lui-même sur la planche. La pointe se tord. Les ouvriers éclatent de rire, et lui de même. Il ôte sa chemise sentant combien leur rire à tous parachève ses mains, son projet, leur immeuble.

Yannis RITSOS, La Sonate au clair de lune et autres poèmes
(Seghers)
(poète grec, né en 1909)
(1) hotte pleine de mortier que le maçon porte à l’épaule.





NOTRE TOUR (extrait)

J’ai vu un projet de maison
Beau rêve élancé à l’échelle d’un centième
Tout autour les fenêtres tournoyaient
Enveloppant la tour de tant de lumière
Que du blanc de la page soufflait
L’air pur des hauteurs agité par les ailes

Fenêtres fenêtres cadres qui nous attendent
Points fertiles de l’espace
Où le visage de nos désirs
Vient et nous fait lever la tête

Là-haut j’aurais voulu vivre longtemps sans redescendre

Beau rêve précis on avait tout prévu l’avenir
Était là déjà à chaque étage et j’ai tout vu
Les murs de verre les jardins inattendus
Les terrasses reflétant une carte du ciel
Alcôves où le sommeil était image de survie
Les baignoires donnant des moulages parfaits
Et des chambres avaient pour trésor le silence
Dans l’ambre des cloisons et des jets d’eau
Attendaient le signal de la grâce.

Ernest DELÈVE, La Belle journée, Georges Houyoux-Bruxelles.
(poète belge de langue française, 1907-1969)



PERSPECTIVE

Nos maisons sont bâties sur d’autres maisons en marbre et bien droites,
et celles-ci le sont sur d’autres. Leurs fondations
reposent sur des têtes de statues debout et sans mains.
Ainsi, dans la plaine, sous les oliviers, aussi bas que soient abritées nos chaumières, étroites, enfumées, une seule cruche près de la porte
tu crois habiter tout en haut et à l’entour le vent t’éclaire,
ou bien tu crois vivre en dehors des maisons, n’avoir
aucune maison, et tu marches nu
solitaire, sous un ciel d’un bleu ou d’un blanc effrayant,
et une statue, parfois, pose légèrement sa main sur ton épaule.

Yannis RITSOS, Témoignages, Seghers. (poète grec, né en 1909)



SI LES POÈTES ÉTAIENT MOINS BÊTES

Si les poètes étaient moins bêtes
Et s’ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s’occuper en paix
De leurs souffrances littéraires
Ils construiraient des maisons jaunes
Avec des grands jardins devant
Et des arbres pleins de zoizeaux
Des mirliflûtes et des lizeaux
Des mésongres et des feuvertes
Des plumuches, des picassiettes
Et des petits corbeaux tout rouges
Qui diraient la bonne aventure
Il y aurait de grands jets d’eau
Avec des lumières dedans
Il y aurait deux cents poissons
Depuis le crousque au ramusson
De la libelle au pépamule
De l’orphie au rara curule
Et de l’avoile au canisson
Il y aurait de l’air tout neuf
Parfumé de l’odeur des feuilles
On mangerait quand on voudrait
Et l’on travaillerait sans hâte
À construire des escaliers
Des formes encor jamais vues
Avec des bois veinés de mauve
Lisses comme elle sous les doigts
Mais les poètes sont très bêtes
Ils écrivent pour commencer
Au lieu de s’mettre à travailler
Et ça leur donne des remords
Qu’ils conservent jusqu’à la mort
Ravis d’avoir tellement souffert
On leur donne des grands discours
Et on les oublie en un jour
Mais s’ils étaient moins paresseux
On ne les oublierait qu’en deux.

Boris VIAN, Cantilènes en gelée, Union générale d’éditions. (1920-1959)



LA MAISON D’HÉLÈNE

Il a suffi du liseron du lierre
Pour que soit la maison d’Hélène sur la terre

Les blés montent plus haut dans la glaise du toit
Un arbre vient brouter les vitres et l’on voit
Des agneaux étendus calmement sur les marches
Comme s’ils attendaient l’ouverture de l’arche.
Une lampe éparpille au loin son mimosa

Très tard les grands chemins passent sous la fenêtre
Il y a tant d’amis qu’on ne sait plus où mettre
Le pain frais, le soleil et les bouquets de fleurs
Le sang comme un pic-vert frappe longtemps les cœurs
Ramiers faites parler la maison buissonnière
Enneigez ses rameaux froments de la lumière
Que l’amour soit donné aux bêtes qui ont froid
À ceux qui n’ont connu que la douceur des pierres

Sous la porte d’entrée s’engouffre le bon vent
On entend gazouiller les fleurs du paravent
Le cœur de la forêt qui roule sous la table
Et l’horloge qui bat comme une main d’enfant

Je vivrai là parmi les roses du village
Avec les chiens bergers pareils à mon visage
Avec tous les sarments rejetés sur mon front
Et la belle écolière au pied du paysage.

René-Guy CADOU, La Maison d’Hélène, Seghers. (1920-1951)



VISITE

Ma vieille mère, pour la première fois,
a visité ma maison.
Ses yeux brillaient. Ils étaient jeunes, comme si c’était
elle-même qui l’avait acquise
pour elle, pour père, pour la famille
avant que nous nous séparions d’elle.

Un regard inspecta l’ensemble. Nous deux aussi.
Ses doigts courts palpèrent le papier peint.
Cela pourrait être humide du côté de l’armoire à linge.
Je rougis quand elle regarda le lit
où traînait la chemise de nuit de ma femme.
Pourquoi
? Je ne comprends pas.
Il me vint un chagrin vague
quand elle fut assise à table
et qu’elle prit le masque d’une étrangère.

À la fin, tout parlait un langage fidèle.
Elle aida ma femme à faire la vaisselle,
et la chanson des tasses sur l’évier
nous rappela la vie intime d’autrefois.
Puis elle dut regagner l’ancienne maison
où ma jeunesse peu à peu devient une ombre,
où je ne sais plus bien distinguer le plaisir
de la froideur ou de la peine.
Nous lui donnions un pas de conduite, la Fille et le Fils,
presque habitués à la nouvelle autorité.

Mais c’est alors qu’avec un pli comme de deuil,
à l’instant où son pied avait quitté le seuil,
elle avoua très vite, un peu embarrassée
:
« Je l’ai bien vu, il n’y a pas de crucifix
au-dessus de la cheminée, mon fils. »

Karel JONCKHEERE, La Voile blanche, Seghers. (poète belge de langue flamande, né en 1906)



TANT ET TANT D’OBJETS

Les maisons contiennent tant et tant d’objets de leur faîte jusqu’à leurs fondations pleines de bêtes rongeuses fabriquant des terriers qui en rejoignent d’autres dans les champs. Devant un feu, un homme est souvent encore installé. Entre le mur et l’armoire tremble à peine une toile d’araignée. Cherchez dans les tiroirs, vous trouverez le crayon charbonneux, la plume qui représente une tête de mort, la gomme pour effacer à veines rouges, le grain de poivre ridé, le blé empoisonné destiné aux rats, de la cire à cacheter, du papier d’Arménie. Des multitudes d’oiseaux chantent dans les arbres du jardin à titre de consolation pour le monde.

Jean FOLLAIN, Tout instant, Gallimard. (1903-1971)



MARYLIS (extrait)

C’est la maison et la glycine et le jardin,
D’où l’on voit les rails bleus entre les champs reluire.
Seul, un rosier fleurit au mur comme un sourire.
C’est la maison en deuil au détour du chemin.
Or, las du demi-jour trop étroit des charmilles,
Ayant ouvert puis refermé le vieux portail,
J’ai vu par le chemin venir trois jeunes filles,
Dans le murmure épars des ruches en travail.
Au bout de leurs bras nus balançant des corbeilles,
Elles venaient vers la maison et le jardin,
Pour piller en passant des grappes à mes treilles
Et s’en allaient aux champs pour voir passer le train.

Émile DESPAX, La Maison des glycines, Mercure de France. (1881-1915)




DANS LES MAISONS LA LUMIÈRE

Dans les maisons la lumière par instants
Vient des étangs qui creusent le vallon
Entre les blés, les sapins et les vignes

Des éclats de soleil comme des éclats de vitre.

Eugène GUILLEVIC, Terraqué, Gallimard. (1907-1997)




LA FUMÉE

La petite maison sous les arbres, au bord du lac.
Du toit monte la fumée.
Manquerait-elle,
Comme alors seraient désolés
Maison, arbres et lac.

Bertolt BRECHT, Élégies de Buckow, L’Arche. (écrivain allemand, 1898-1956)



LA MAISON D’ANTONIN RAYMOND A TOKYO

Rien de plus triste que notre fenêtre rectangulaire qui a l’air moins faite pour respirer l’air et la lumière que pour les repousser de son multiple bouclier de verre avare et de rideaux. La maison japonaise, au contraire, à l’abri de ses auvents et de ses vérandas, qui la protègent contre l’agression trop brutale du vent et de l’averse, et du jeu variable de ses légers écrans, s’ouvre sur toute la largeur de sa paroi à l’extérieur. Notre chambre parisienne entre ses quatre murs est une espèce de lieu géométrique, de trou conventionnel, éclairé par le rayon réfléchi d’un jour abstrait, que nous meublons d’images, de bibelots et d’armoires dans cette armoire, comme une tête les yeux fermés est pleine de souvenirs plus ou moins présents ou réservés; la chambre japonaise, au contraire, est faite pour la réalité quotidienne du temps, du soleil et de la saison, telle que ciel et nature ont été ordonnés pour la traduire, ne fût-ce que grâce au modeste paradis d’un petit jardin. Quel dommage qu’il y fasse si froid, qu’elle brûle si facilement, qu’on n’y puisse vivre qu’à genoux et que personne n’y ait droit à sa privauté!

Paul CLAUDEL, L’Oiseau noir dans le soleil levant, Gallimard. (1868-1955)



RENTRE… (extrait)

Rentre dans ta chambre d’où l’on
voit vivre les mille fenêtres,
laisse la palme des saisons
se dessécher, pourrir, renaître,
pour posséder, il suffit d’être,
enferme-toi dans ta maison.

Henri THOMAS, Signe de vie, Gallimard. (né en 1912)



GRENIER

Odeur de la famille!
Que j’aille me cacher
au grenier qui m’habille
de poudreuse clarté
!

Que l’hirondelle crie,
qu’un chat me vienne voir,
la lucarne est emplie
de ciel et de silence

Ou si l’averse inonde
les tuiles murmurantes,
que j’entre dans un monde
tout protégé d’absence.

Charbon du crépuscule,
l’ange t’apporte à moi
!
J’entends le vent léger
qui marche sur le toit.

Henri THOMAS, Le Monde absent, Gallimard. (1912-1993)



LES FENÊTRES (extrait)

Celui qui regarde du dehors à travers la fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.

Charles BAUDELAIRE, Petits poèmes en prose
(1821-1867)



INTÉRIEURS (extrait)

Les maisons de la Hollande ont
Le cœur traversé de lumière
Si bien que tête la première
Sans pudeur nous y regardons

Les cactus et les plantes vertes
La faïence et l’argenterie
Toutes choses de rêverie
Qui nous sont à la vitre offertes

Entre la rue et le jardin
Il y a la place de l’âme
Que nous violons sans Sésame
Aladin ni Robert Houdin

La vie est un tableau complexe
Où s’inscrivent meubles et gens
Suivant un ordre convergent
Comme dans ce miroir convexe.

Louis ARAGON, Le Voyage de Hollande et autres poèmes, Seghers.
(1897-1982)




UNE PORTE S’OUVRIT… (extrait)

Je poussai la porte et entrai dans le couloir, à l’abri du vent. On aurait dit que j’avançais dans la caverne de la nuit et que l’ouragan traversait l’immense tour verticale d’un coquillage sur le rivage, d’une mer au cœur de la contrée. Alors, une porte s’ouvrit à l’extrémité du couloir; je vis les assiettes sur les étagères, la lampe allumée sur la longue table recouverte d’une toile cirée, les mots « Sois Prêt à Comparaître devant Ton Créateur » tricotés au-dessus de la cheminée, les chiens de porcelaine qui souriaient, le banc à dossier marqué de taches brunes, la grande horloge de campagne et je m’élançai dans la cuisine et dans les bras d’Annie.

Dylan THOMAS, Les Pêches in Portrait de l’artiste en jeune chien, Seuil.
(poète gallois, 1914-1953)



LE FOYER (extrait)

Le foyer, la lueur étroite de la lampe;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés
;
L’heure du thé fumant et des livres fermés
;
La douceur de sentir la fin de la soirée
;
La fatigue charmante et l’attente adorée
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh
! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
Sans relâche, à travers toutes les remises vaines,
Impatient des mois, furieux des semaines
!

Paul VERLAINE, La Bonne chanson, Gallimard.
(1844-1896)



EURÊKA (extrait)

Je vois la maison telle que mon grand-père Alexis l’a peinte à l’aquarelle autour de 1870, quand il était âgé d’une dizaine d’années. Seule, immense au milieu de la forêt sombre, entourée de palmiers, de lataniers, de tamariniers, d’arbres de l’Intendance déjà immenses, de filaos bleutés, avec même cet araucaria un peu bizarre, portant ses pompons d’émeraude, que mon arrière-grand-père avait planté à droite de la maison, et qui existe encore.
Sur le tableau, la maison semble vide, presque fantomatique malgré l’éclat de sa toiture neuve et le jardin bien ratissé à la française. Les hautes portes-fenêtres à dix carreaux reflètent la lumière du ciel dans l’ombre douce de la « varangue ». Sur la pente du toit, il y a sept lucarnes dont certaines ont leurs volets clos. Je me souviens de ce qu’on me racontait autrefois d’Eurêka, de cette formule pour moi presque rituelle
: la maison où il y avait cent fenêtres! Dans le flou romantique du parc — la magnificence de la nature tropicale en altitude, la fraîcheur des conifères et des tecomas, des fougères, de l’araucaria, mêlée à l’exubérance des palmes, des ficus, et de la haute montagne pluvieuse qui domine la paix des bassins, les plates-bandes décorées de fuchsias, de rosiers, d’azalées, de pois de senteur, tout cela qui émerveilla mon ancêtre Eugène premier lorsqu’il découvrit cet endroit, alors qu’il cherchait un refuge contre les fièvres de la côte, et qui lui inspira ce nom: Eurêka! — la maison comme un symbole de la beauté et de la paix, loin du monde, loin des guerres et des malheurs.

Jean-Marie LE CLÉZIO, Voyage à Rodrigues, Gallimard.
(Né en 1940)



AVOIR TOUT CONTRE SOI

Avoir tout contre soi
Le jaune de la pierre,
Le poids de la muraille
Et le chant des vapeurs
Sur les tuiles des toits.

Eugène GUILLEVIC, Terraqué, Gallimard.
(né en 1907)



LA VIE

La vie n’est pas bruit ni orage,
Elle est ainsi
: il neige,
La maison est éclairée
Quelqu’un s’approche.
Lentement, la sonnerie étincelle,
Il entre. Lève les yeux.
Pas un bruit.
Les icônes flambent.

Maria TSVETAIEVA, Le Ciel brûle, Les Cahiers des brisants.
(poétesse russe, 1892-1941)



AN OLD WOMAN OF THE ROAD

Oh! que je voudrais avoir une petite maison!
Un âtre, un petit banc, tout bien à moi
!
Le feu brûlant haut et contre le mur
La bonne réserve de tourbe.

Avoir une horloge avec poids et chaînes
Et le pendule dansant çà et là
Un buffet plein de luisante vaisselle
Tachetée de bleu, de brun, de blanc.

Je pourrais trimer tout le jour,
Nettoyant l’âtre et balayant
Et rangeant sur les étagères
Mon trésor bleu, blanc, tacheté.

La nuit j’y serais bien à l’aise
Tout près du feu et sûre d’un lit,
Voulant ne plus jamais quitter
Mon horloge et ma luisante vaisselle.

Ah
! Je suis lasse des nuits, des brumes
Des routes vides, sans gîte, sans buisson
Lasse des routes, des marécages,
Du silence et des pleurs du vent
!

Et ma prière monte vers le ciel
Et je supplie Dieu, jour et nuit,
De me donner une petite maison
Loin des routes, des vents et des pluies.

Padraic COLUM, Wild Earth, Droits réservés.
(écrivain irlandais, 1881-1972)




PLUS GRANDE QUE LA TERRE

Maison plus grande que la terre Je dévore un fruit mûr dans la cuisine claire l’heure contre le mur joue avec la lumière la soupe étouffe dans le pot parfume les cuivres… les meubles… le dernier bouton de chrysanthème… la saveur d’un fruit m’enchaîne à l’arbre.

Marcel SAINT-MARTIN (inédit)



LETTRE D’UN JEUNE GARÇON A SON PÈRE POUR LUI ANNONCER
UNE CATASTROPHE
(extrait)
Mon Père,

Il faut que je vous confie mon angoisse. La terre me manque sous les pieds. C’est d’abord les murs qu’ils m’ont volés, la nuit qui suivit votre départ en Écosse. Je n’étais plus à l’abri des vents. Pour la pluie, je ne sais par quel miracle le toit tenait encore. Mais ce ne fut pas long. Ils me l’enlevèrent aussi avec les cheminées. Seul le paratonnerre a subsisté une dizaine de jours, planté comme une épine dans le ciel. On jasait. Oui, ce fut ridicule. J’étais couché en pleine rue parmi des meubles de famille à vrai dire un peu démodés, sans vouloir vous fâcher mon Père. Et le lit lui-même est parti et le pianoforte, les chaises, la bibliothèque et le billard à blouses. Ils ont laissé le parquet encore trois jours. Puis un matin d’un seul coup, pfuitt, ça a été le vide…
Votre fils affectionné, AJAX

André FRÉDÉRIQUE, Histoires blanches, Gallimard.
(né en 1915)
Les choses montrent un tel regard…



AU FOND DU JARDIN

Au fond du jardin se tient la maison, malgré les portes ouvertes pas une voix n’en monte. Il en est ainsi souvent à la campagne. Alors celui qui revient: soldat en permission, missionnaire des pays chauds ou adolescent sans métier franchit un seuil. La vaisselle reste calme. L’horloge à poids de pierre marche. Le village a émigré aux champs. Solitude sur les routes, au levant comme au couchant, mais chaque feuille des haies lutte à plein contre sa mort. Alors le revenant prononce la phrase consacrée: « Y a-t-il du monde? » Les choses montrent un tel regard qu’il lui faut bien admettre qu’il n’y a personne. Jusqu’à quand? Il est vrai qu’on ne peut s’asseoir pour attendre en pleine lumière.

Jean FOLLAIN, Tout Instant, Gallimard.



UNE NUIT

Des années durant, le manoir était resté à l’abandon;
peu à peu il se délabrait — grilles, serrures, balcons
;
jusqu’à ce qu’une nuit,
brusquement s’illumine tout le deuxième étage,
ses huit fenêtres, ses deux portes-croisées sans rideaux
grandes ouvertes.

Les rares passants s’arrêtèrent, ils levèrent la tête.
Silence. Pas une âme. Un carré vide éclairé. Et seul
sur un mur, un vieux miroir incliné,
son cadre de bois noir chargé de ciselures, réfléchissant
jusqu’à une profondeur invraisemblable
les lattes pourries et convergentes du plancher.

Yannis RITSOS, La Sonate au clair de lune, Seghers.



EN HIVER…

En hiver, la maison blanche paraît plus que jamais
accablée de misère
:
un chien aboie derrière la porte tressée
Dans la neige et le vent de la nuit, quelqu’un s’en
retourne chez lui.

Lieou T’CHANG K’ING, Limbes incandescentes (K. Withe, Denoël)
(poète chinois, né en 1936)



BOULEVARD HAUSSMANN

Les cheminées ont disparu
mais leur ombre court encore
le long des murs de la maison voisine
une ombre de suie

leur demeure abolie
ne circule plus que sur une carte postale
si elle eut cette chance

si non, plus rien.

et l’ombre même des cheminées s’efface
tandis que sourit l’agent immobilier.

Raymond QUENEAU, Courir les rues, Gallimard.
(1903-1976)