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Zola, L'Œuvre
Présentation
Notes critiques
Claude passait devant l’Hôtel de ville, et deux heures du matin sonnaient à l’horloge, quand l’orage éclata. Il s’était oublié à rôder dans les Halles, par cette nuit brûlante de juillet, en artiste flâneur, amoureux du Paris nocturne : Brusquement, les gouttes tombèrent si larges, si drues, qu’il prit sa course, galopa dégingandé, éperdu, le long du quai de la Grève. Mais, au pont Louis-Philippe, une colère de son essoufflement l’arrêta : il trouvait imbécile cette peur de l’eau ; et, dans les ténèbres épaisses, sous le cinglement de l’averse qui noyait les becs de gaz, il traversa lentement le pont, les mains ballantes.
Du reste, Claude n’avait plus que quelques pas à faire.
Comme il tournait sur le quai de Bourbon, dans l’île Saint-Louis, un vif éclair illumina la ligne droite et plate des vieux hôtels rangés devant la Seine, au bord de l’étroite chaussée. La réverbération alluma les vitres des hautes fenêtres sans persiennes, on vit le grand air triste des antiques façades, avec des détails très nets, un balcon de pierre, une rampe de terrasse, la guirlande sculptée, d’un fronton. […]
texte intégral du roman ici
PRÉSENTATION
Publiée en 1886 chez Charpentier après avoir paru en feuilleton dans la revue Gil Blas, L’Œuvre occupe une place un peu à part au sein des Rougon-Macquart. Cette singularité ne tient ni aux personnages ni au milieu évoqué : Claude Lantier est le fils de Gervaise, déjà rencontré dans L’Assommoir et Le Ventre de Paris, et, dès 1869, Émile Zola (1840-1902) avait eu le projet d'« un roman qui aura pour cadre le monde artistique ». Mais l’implication personnelle de l’auteur, dont la projection autobiographique est ici très nettement perceptible, confère à ce livre une tonalité particulière. Comme le confesse Zola, dans une lettre adressée à son ami Henry Céard, « c’est un roman où mes souvenirs et mon cœur ont débordé ».
Itinéraire d’un peintre « raté », L’Œuvre est le récit d’une quête impossible. Comme souvent chez Zola, le roman obéit à une structure binaire qui renvoie à l’inéluctabilité d’un destin. Les cinq premiers chapitres racontent la rencontre et l’amour naissant entre Claude Lantier, peintre de l'« école nouvelle », et Christine, jeune provinciale égarée à Paris. Parallèlement, nous est présenté le groupe d’artistes auquel appartient Claude, parmi lesquels Sandoz, l’écrivain ami d’enfance, Dubuche, futur architecte, le peintre Fagerolles, qui passera plus tard à l’ennemi, le sculpteur Mahoudeau, et Bongrand, artiste consacré admiré du petit cénacle.
LE CONTEXTE DE PUBLICATION
Date de parution : en librairie, le 31 mars 1886.
Principaux événements :
• En peinture :
Manet est mort depuis bientôt trois ans, l’impressionnisme est passé dans les mœurs picturales. Cézanne a quarante-sept ans ; il prolonge en Provence un de ces longs séjours où se ressource son inspiration. En 1882-1887, ce sont (entre autres) les vues de l’Estaque et de la Sainte Victoire, qui deviendront célèbres à partir de 1890. Mais pour l’heure l’incompréhension presque générale entoure celui qui prépare les révolutions picturales du XXe siècle.
• En politique :
C’est le moment du grand ralliement antiparlementaire autour du général Boulanger (alors ministre de la guerre). À l’opposé, le mouvement ouvrier s’affirme comme une force nouvelle au lendemain du vote de la liberté syndicale (1884), ce qui n’empêchera pas la censure d’interdire Germinal à la scène, précisément entre les deux phases de rédaction de L’Œuvre.
• En littérature :
Une année féconde : Bel-Ami de Maupassant, L’Insurgé de Vallès, L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam roman qui traduit à sa manière les progrès scientifiques et techniques.
• En musique :
Saint-Saëns (chef de file des anti wagnériens) donne sa 3e symphonie, avec orgue.
L’action
Entre l’action de L’Œuvre (qui va de 1863 à 1875) et la date de parution du roman (1886), la distance ne répond pas seulement au nécessaire respect du programme historique des Rougon-Macquart («… une famille sous le Second Empire »). Par une sorte de pathétique ironie, Zola choisit de célébrer la peinture au moment où il n’en comprend plus l’évolution : un écart que le geste de rupture de Cézanne vient concrétiser.
Le titre
Il exprime un absolu. Et c’est bien ainsi, dans un sens mystique, voire alchimique, qu’il faut entendre cette « œuvre » idéale à la conquête de laquelle Claude Lantier, nouvel Icare, se brûlera les ailes. On trouvera le titre explicité par le roman (cinq fois).
Pour une lecture de type psychanalytique, il faut noter que le fétichisme de la peinture chez Claude aboutit à représenter la plus intime partie d’un Paris femme, la pointe, l’île de la Cité, avec pour centre une baigneuse nue, et que le peintre meurt d’avoir soutenu et enfanté du regard la « rose mystique de son sexe ». Reste à souligner l’investissement autobiographique complexe dont L’Œuvre est l’objet : « Je raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux » avait noté Zola dans ses carnets. De sorte que s’il y a dans Claude du Manet et du Cézanne, Zola est aussi derrière Claude comme derrière Sandoz, l’ami romancier. Syncrasie romanesque que Proust systématisera… De plus, il y a entre les deux œuvres décrites, la romanesque et la picturale, un jeu de miroirs qui a de quoi compromettre l’idée reçue l’un Zola « narrateur primaire ».
Extrait de l’ébauche du roman :
« Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de l’artiste contre la nature, l’effort de la création dans l’œuvre d’art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie : toujours en bataille avec le vrai et toujours vaincu, la lutte contre l’ange. En un mot, j’y raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux ; mais je grandirai le sujet par le drame, par Claude, qui ne se contente jamais, qui s’exaspère de ne pouvoir accoucher de son génie, et qui se tue à la fin devant son œuvre irréalisée. »
Ma jeunesse au collège et dans les champs. Baille, Cézanne. Tous les souvenirs de collège : camarades, professeurs, quarantaine, amitiés à trois. Dehors, chasses, baignades, promenades, lectures, familles des amis. À Paris, nouveaux amis. Collège. Arrivée de Baille et de Cézanne. Nos réunions du jeudi. Paris à conquérir, promenades. Les musées. Les divers logements… Les ateliers de Cézanne. »
L’organisation
• Comme un groupe de Raphaël… ou comme « Le déjeuner sur l’herbe », L’Œuvre est de composition pyramidale : montée, sommet et descente (comme de nombreux romans de Zola, en particulier L’Assommoir).
L’unité d’action tient dans la vie sexuelle et sentimentale d’une femme, Christine. « Pudique sensuelle » quand elle passe chez Claude une première nuit chaste due aux hasards des chemins de fer, « sensuelle publique » qui crie son désir à la fin, cette « grande amoureuse » accompagne son artiste de mari tout au long de sa grandiose et lamentable trajectoire.
L’action se déroule sur près d’une quinzaine d’années.
• Chap. l à V : juillet 1862 — mai 1863
Éclosion de l’amour et gestation du grand tableau « Plein Air », qui déclenchera une tempête de rires au Salon des Refusés tout en faisant de Claude l’initiateur d’une révolution picturale.
La douleur partagée jette dans les bras l’un de l’autre Christine et le jeune peintre (fin ch. V). Ils fuient Paris (VI).
Le chapitre II constitue un lointain retour en arrière sur l’époque de Plassans.
• Ch. VI : mai 1863 — novembre 1867
Les chapitres VI, VII et VIII occupent une longue durée, d’autres tiennent sur quelques mois.
Idylle champêtre à Bennecourt. Naissance du petit Jacques. Mais bientôt Paris et le milieu artistique récupèrent leur pouvoir sur Claude. Celui-ci amène sa compagne désespérée à l’idée d’un retour.
• Ch. VII à XII : novembre 1867 — novembre 1875
Descente aux enfers
- VII-VIII : la revanche impossible alors même que le « plein air » est devenu une mode. Mariage triste, qui solde la mort de l’amour.
- IX-X : « L’enfant mort ». Claude à présent dévoré par l’œuvre-somme qu’il ne parvient pas à achever, livre le cadavre de son enfant en pâture dérisoire au Salon de 1875.
- XI-XII : mort de la fraternité artistique. (XI) et suicide du peintre.
L’ouverture et le finale se répondent : du travail heureux et confiant de Claude au ch. I, à la rage désespérée du chapitre XII.
Quelques thèmes s’entrelacent : les visites de Sandoz à Claude (II et IX), les flâneries dans Paris ou à Bennecourt (III, VII, XI), les visites au Salon (V, X), les tête à tête de Claude et de Christine, de Claude et de Sandoz, les réunions de la bande entière.
Intertextes
Liens pour télécharger ces romans :
Balzac Le Chef-d’œuvre inconnu, texte intégral
Goncourt, Manette Salomon, texte intégral
Octave Mirbeau, Dans le ciel (après Zola) texte intégral
Pistes d’étude
Zola résume ainsi les pôles organisateurs de son récit « Lutte de la femme contre l’œuvre, l’enfantement de l’œuvre contre l’enfantement de la vraie chair. Tout un groupe d’artistes. » Peinture de l’amour, amour de la peinture, luttes artistiques…
Si le troisième centre d’intérêt peut être traité avec une relative indépendance, en revanche les deux premiers ne se conçoivent pas l’un sans l’autre, faisant de L’Œuvre le roman multiforme du regard.
1. L’œuvre, bilan romanesque d’un critique d’art « engagé »
Il est recommandé d’avoir, du courant impressionniste, une vision suffisante avant de s’intéresser au passage du matériau journalistique et polémique de départ à la fiction romanesque.
L’article de L’Événement de 1866 confronté au ch. XI fait ressortir l’invention satirique et anecdotique mise au service des deux griefs d' « indifférence » et de « camaraderie » adressés au jury.
Idem l’extrait « Les rires du public », rapproché d’une étude de la structure du ch. V permet de dégager tout le travail de composition dramatique fourni par le roman. « Le bilan de trente années » reprend, lui, « en aval » de L’Œuvre, le principe d’antithèse qui fait la charpente du roman : (en particulier l’opposition des deux Salons, celui de 1863 et celui de 1875).
2. Un roman du regard
2.1. Le regard comme point de vue
La subjectivité de la perception visuelle est à la fois thème et technique romanesque. L’incipit du roman, enchaînant les visions de Paris à la faveur d’éclairs — esquisses, introduit la focalisation interne comme principe esthétique… auquel répond l’ultime « nuit hallucinée » de la fin du ch. XI. D’où l’émergence de « la question fondamentale : que voit le public d’un tableau » ? Autant d’observateurs, autant d’œuvres ; le vérifier, ou encore dans les réactions de Dubuche, de Christine (IV, XII) de Sandoz.
2.2. Le regard comme transfiguration
Très vite on touche aux cas extrêmes, quand le génie ne se distingue plus très bien de la folie : En comparant un extrait du Chef-d’Œuvre inconnu de Balzac et un extrait de Manette Salomon des frères Goncourt avec le ch XI, on étudiera le lexique de la vision et de l’illumination, ainsi que la position du narrateur.
En l’occurrence, L’Œuvre présente une ambiguïté très zolienne : une morale patente construit le récit (à savoir qu’on se perd si l’on inverse les règnes, si l’on confond réel et imaginaire au point de laisser l’art dévorer la vie), mais la vision romanesque se nourrit, précisément, du dérèglement de l’artiste.
De sorte que le fantastique affleure souvent, ne serait-ce que dans le thème envahissant de la peinture rivale qui rend la femme ennemie de son double (9 passages à relever). (noter la très étonnante page de « la bonne femme à Mahoudeau », véritable Vénus d’Ille).
2.3. Regarder, acte charnel
L’extrait de Manette Salomon montre que seule la puissance de l’institution académique permet de sublimer dans l’art l’observation d’une femme nue. Pour Christine, qui pose par « amitié », et le tout jeune Claude, la frontière est beaucoup plus ténue : d’où une superbe page érotique, à laquelle feront cruellement écho les épisodes sado-masochistes du « ménage à trois ». avec « l’autre »
Manette était nue
La Nature est une grande artiste inégale. Il y a des milliers, des millions de corps qu’elle semble à peine dégrossir, qu’elle jette à la vie à demi façonnés, et qui paraissent porter la marque de la vulgarité, de la hâte, de la négligence d’une création productive et d’une fabrication banale. De la pâte humaine, on dirait qu’elle tire, comme un ouvrier écrasé de travail, des peuples de laideur, des multitudes de vivants ébauchés, manqués, des espèces d’images à la grosse de l’homme et de la femme. Puis de temps en temps, au milieu de toute cette pacotille d’humanité, elle choisit un être au hasard, comme pour empêcher de mourir l’exemple du Beau. Elle prend un corps qu’elle polit et finit avec amour, avec orgueil. Et c’est alors un véritable et divin être d’art qui sort des mains artistes de la Nature.
Le corps de Manette était un de ces corps-là : dans l’atelier, sa nudité avait mis tout à coup le rayonnement d’un chef-d’œuvre. Sa main droite, posée sur sa tête à demi tournée et un peu penchée, retombait en grappe sur ses cheveux ; sa main gauche, repliée sur son bras droit, un peu au-dessus du poignet, laissait glisser contre lui trois de ses doigts fléchis. Une de ses jambes, croisée par-devant, ne posait que sur le bout d’un pied à demi levé, le talon en l’air ; l’autre jambe, droite, et le pied à plat, portait l’équilibre de toute l’attitude. Ainsi dressée et appuyée sur elle-même, elle montrait ces belles lignes étirées et remontantes de la femme qui se couronne de ses bras. Et l’on eût cru voir de la lumière la caresser de la tête aux pieds : l’invisible vibration de la vie des contours semblait faire frémir tout le dessin de la femme, répandre, tout autour d’elle, un peu du bord et du jour de son corps.
Coriolis n’avait pas encore vu des formes si jeunes et si pleines, une pareille élégance élancée et serpentine, une si fine délicatesse de race gardant aux attaches de la femme, à ses poignets, à ses chevilles, la fragilité et la minceur des attaches de l’enfant. Un moment, il s’oublia à s’éblouir de cette femme, de cette chair, une chair de brune, mate et absorbant la clarté, blanche de cette chaude blancheur du Midi qui efface les blancheurs nacrées de l’Occident, une de ces chairs de soleil, dont la lumière meurt dans des demi-teintes de rose thé et des ombres d’ambre.
Ses yeux se perdaient sur cette coloration si riche et si fine, ces passages de ton si doux, si variés, si nuancés, que tant de peintres expriment et croient idéaliser avec un rose banal et plat ; ils embrassaient ces fugitives transparences, ces tendresses et ces tiédeurs de couleurs qui ne sont plus qu’à peine des couleurs, ces imperceptibles apparences d’un bleu, d’un vert presque insensible, ombrant d’une adorable pâleur les diaphanéités laiteuses de la chair, tout ce délicieux je-ne-sais quoi de l’épiderme de la femme, qu’on dirait fait avec le dessous de l’aile des colombes, l’intérieur des roses blanches, la glauque transparence de l’eau baignant un corps. Lentement, l’artiste étudiait ces bras ronds, aux coudes rougissants, qui, levés, blanchissaient sur ces cheveux bruns, ces bras au bas desquels la lumière, entrant dans l’ombre de l’aisselle, montrait des fils d’or frisant dans du jour ; puis le plan ferme de la poitrine blanche et azurée de veinules ; puis cette gorge plus rosée que la gorge des blondes, et où le bout du sein était de la nuance naissante de l’hortensia.
Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Chapitre L
Trois pistes d’étude
1. Paris et le milieu des rapins sous le Second Empire
Occasion d’exposés :
traditionnels, sur les grands peintres impressionnistes, leurs devanciers,
ou plus novateurs, sur l’ethnographie naturaliste à l’œuvre là comme ailleurs (par ex. l’atelier d’école),
La peinture de Paris (voir le 2e tome de la biographie de Zola par H. Mitterand p. 818-820) peut faire l’objet d’investigations de niveaux différents, :
sociologie des quartiers,
repérage des itinéraires de Claude et de sa « bande » (ch. III puis VII), de Claude et de Christine (VIII),
des différents ateliers du peintre (en souligner l’assombrissement progressif) ;
le rôle de la Ville dans le drame humain (tour à tour complice et hostile à l’amour, offerte et refusée, la conquête, ville-catin et ville-déesse, etc.) ;
plus difficile est l’éternelle question d’esthétique posée par la description, surtout quand elle mime la peinture : comment avec des mots faire image, exprimer syntagmatiquement ce que l’image donne globalement mais cette saisie « globale » de l’image n’est-elle elle-même fictive, notre regard ne suit-il pas aussi des chemins préétablis, et dans ce cas lesquels ?
On trouve les principaux tableaux de Paris du roman, pp. 21-23 259-263,283-285, 408-410.
2. Le réalisme en peinture
« Sont-ils bêtes d’avoir refusé ça !… Mais pourquoi, je vous le demande ? Parce que c’est réaliste ! répondit Fagerolles ».
Le caractère subversif du réalisme ne nous apparaît plus aussi clairement qu’en 1860.
Pour le faire mesurer à des élèves, on se reportera aux lettres de. Van Gogh à son frère Théo où on lit notamment : « Quand je peins des paysannes, je veux que ce soient des paysannes, quand ce sont, des putains, je veux que ce soit une expression de putain. […] Manet l’a fait et Courbet eh bien, sacrebleu, j’ai la même ambition, parce qu’en plus j’ai trop senti jusqu’à la moelle l’infinie beauté des analyses féminines, des grands maîtres de la littérature. Zola, Daudet, De Goncourt, Balzac » (Anvers, 1885-1886).
C’est donc une première clé de lecture pour « Le déjeuner sur l’herbe » ; « l’effet de réel » en est analysé, qu’on pourra comparer au « Concert champêtre » de Giorgione, de même qu’Olympia est à rapprocher, par. exemple, des Vénus et des Danaé du Titien.
L’autre « clé », fournie par la précédente, est bien sûr la lumière : étudier le leitmotiv du grand « coup de lumière » tant dans le roman que dans la critique zolienne, à une époque où transporter son chevalet dans la nature passait encore pour bizarrerie, sinon pour hérésie. « Le bilan de trente années » évoque également le combat pour « la théorie des reflets », « la tache », autrement dit pour une libération et un pouvoir accru de la couleur.
On l’illustrera par une étude de la gamme chromatique de l’« Olympia », et des « Toits rouges » de Pissarro.
Voir aussi l’importance et le traitement des surfaces blanches.
Cependant, Zola s’insurge contre la couleur arbitraire, il y a une limite qu’il ne franchit pas. Lui qui déplore que le public, en tombant dans le piège de l’illusion réaliste, ne voie dans une toile que son référent, reste cependant attaché au contrat figuratif. Au même moment, son ami Cézanne le fait voler en éclats.
3. Cézanne
« Évolution et révolution en art ont un seul but : parvenir à l’assemblage des signes au lieu de répéter la nature. On peut citer les travaux de Cézanne comme un mouvement éclatant » (Kazimir Severinovitch Malévitch, Écrits sur l’art, tome I : De Cézanne au suprématisme, L’Âge d’homme, 1993). On peut se faire une idée de cette révolution (où se reconnaîtra d’abord le cubisme), en deux étapes.
3.1. Comparaison des tableaux de Corot et de Courbet.
Si la gamme. colorée est proche, les lois classiques du clair-obscur observées (à merveille) par les deux premiers sont librement réinterprétées par Cézanne : la silhouette blanche de Zola, rendue en « négatif » par l’encadrement des autres surfaces ; la touche, affichée au lieu d’être dissimulée, s’affirmant comme principe de composition.
Cézanne
Selon Henri Mitterand :
Il faut se garder d'«identifier en tous points Claude Lantier à un quelconque artiste réel ».
Les modèles sont légion : Manet, Puvis de Chavannes, Monet, qui a tenté de suicider, André Gill, saisi d’une crise de folie, Jules Holtzapfel, qui s’est tué d’un coup de revolver en 1866, Duranty, dont les obsèques serviront de modèle pour l’enterrement de Claude au dernier chapitre, le peintre Pellerin de L’Éducation sentimentale qui expose un portrait d’enfant mort.
Certes, Claude Lantier ressemble physiquement à Cézanne, il a eu une enfance aixoise. « Mais ses échecs, sa misère, son néant final viennent d’ailleurs. » […]
« En dépit de l’abondance des souvenirs et du vécu, L’Œuvre n’est pas un roman à clés.
On saisit bien ici la nullité du sophisme répandu par certains commentateurs de L’Œuvre :"Cézanne est un peintre de génie. Or Claude Lantier est conçu à l’image de Cézanne et c’est un impuissant, un raté, un demi-fou. Donc Zola n’a rien compris à Cézanne, ni à sa peinture, ni, du reste, à quelque peinture que ce soit". Qu’on lise les notes de travail du printemps de 1885, et cette malignité s’effondre. »
Henri Mitterand, Zola, tome II, p. 798, Fayard, 2001.
Lorsque Cézanne, au début de 1902, apprendra la mort de Zola, il s’enfermera toute une journée, pleurant et gémissant. Ces deux immenses créateurs, amis d’enfance, étaient-ils vraiment fâchés ? Il faut se garder des légendes… Claude Lantier est avant tout victime de la terrible hérédité des Rougon-Macquart.
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Filmographie
Zola au cinéma