Biographie de Pierre de Ronsard
Quand Ronsard fut devenu un poète célèbre, ses admirateurs ne manquèrent pas de donner à ces incidents une importance prophétique. « C’était, dit un de ses biographes, un présage des bonnes odeurs dont il devait remplir toute la France, des fleurs de ses écrits. »
À neuf ans, il entra au collège de Navarre à Paris, mais il n'y resta que six mois, trouvant la discipline trop rigoureuse. À quatorze ans, il fut nommé page du duc d'Orléans, fils de François 1er, et se fit remarquer à la cour par ses manières gracieuses et son esprit précoce. Il passa ensuite à la cour de Jacques V, roi d’Écosse ; mais il revint bientôt en France, où le duc d'Orléans le reprit à son service et l'employa à plusieurs missions diplomatiques. Malheureusement, il rapporta de ses voyages une grave infirmité : une surdité presque complète.
Forcé de renoncer à la carrière des faveurs, Ronsard se livra alors tout entier à l'étude. À l’insu de son père, il s'échappait de son hôtel pour aller prendre des leçons de Jean Dorat, qui enseignait le grec à son jeune ami Antoine de Baïf.
« Il étudiait jusqu'à deux heures après minuit, et, se couchant, il réveillait Baïf, qui se levait et prenait la chandelle et ne laissait refroidir la place ».
Après sept ans d'un travail opiniâtre, Ronsard mit en pratique les préceptes de Du Bellay, et fonda l'école nouvelle qui devait régénérer la langue et la poésie. Il commença par la traduction en vers d'une comédie d'Aristophane. Encouragé par le succès, il voulut faire passer dans notre langue les odes de Pindare et d'Horace et les chants légers d'Anacréon. Après l'ode, il essaya de ressusciter le poème épique et fit la Franciade, poème froid, qui n'est qu'une mauvaise copie de l'Énéide. À côté de lui et sous son influence, Baïf et
Jodelle s'essayaient dans la tragédie et la comédie : tous les genres dans lesquels avaient brillé les Anciens furent tentés par la nouvelle école.
Le plus immense succès couronna d'abord les travaux de Ronsard. L'Académie des Jeux floraux lui décerna le prix de la poésie, et les capitouls de Toulouse,
au lieu de la simple fleur d'argent traditionnelle, lui firent présent d'une Minerve d'argent massif et le proclamèrent le poète français par excellence. Les savants de son temps le comparaient à Homère, à Pindare, à Virgile. Quatre rois — Henri II, François II, Charles IX et Henri III — le comblèrent de faveurs, de distinctions et de récompenses. Charles IX, en particulier, le reçut dans son intimité et lui adressa les vers suivants :
Tous deux également nous portons des couronnes ;
Mais, roi, je les reçois ; poète, tu les donnes.
Marie Stuart se consolait, dans sa prison, par la lecture des vers de Ronsard, et l'en remerciait par le don d'un rocher d'argent massif, représentant la montagne et la source du Permesse, avec cette flatteuse inscription : À Ronsard, l'Apollon de la source des Muses.
Outre la poésie amoureuse, Ronsard publie les recueils des Hymnes (1555 et 1556), où il fait l’éloge de ses protecteurs, ainsi que des oeuvres à caractères philosophique et des divertissements de circonstance; il occupe à la Cour des fonctions officielles et s’engage aux côtés des catholiques dans les guerres de Religion, comme en témoignent les Discours des Misères (1562 et 1563) et la Réponse aux injures et calomnies (1563)
Lorsque son rôle officiel commence à décliner après l’échec de la Franciade en 1572, il se consacre à la poésie : les sonnets Sur la mort de Marie et Pour Hélène (1578), et les Derniers vers, posthumes, sont marqués par l’évocation de la vieillesse et de la mort. Il retouche aussi les éditions de son oeuvre.
À sa mort, le 27 décembre 1589, on lui fit de magnifiques funérailles : le roi envoya la musique de sa propre chapelle ; le Parlement de Paris se fit représenter par une députation, et la foule était si considérable dans l'église, que l'évêque qui devait prononcer l'oraison funèbre, ne put parvenir jusqu'à la chaire.
Il est enterré au Prieuré Saint Cosme, près de Tours.
Vingt ans après, toute cette gloire était tombée, et ceux qui avaient le plus admiré Ronsard, furent les premiers à s'en moquer. Comment expliquer cette chute soudaine ? Ronsard eut le tort de pousser à l'excès les principes de Du Bellay. Après avoir pris aux poètes grecs et latins l'ordonnance de leurs pièces, il voulut calquer notre langue sur les langues anciennes ; il introduisit des mots composés à la manière de la langue grecque ; c'est ainsi qu'il appelle les géants des Serpents-pieds, les centaures des Domptés-poulains, les poètes des Mâche-lauriers, la toux Ronge-poumons, etc.
Boileau eut donc raison de dire de lui :
Ronsard…. par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode.
Et toutefois, longtemps eut un heureux destin ;
Mais sa muse, en français parlant grec et latin,
Vit dans l'âge suivant, par un retour grotesque.
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Si Ronsard tombe dans l'affectation et le pédantisme lorsqu'il veut, à l'exemple de Pindare, emboucher la trompette épique, il se montre par contre un vrai poète dans ses sonnets, ses chansons ou ses élégies, lorsque l'inspiration personnelle vient animer d'un souffle puissant ou teinter d'une exquise mélancolie ses réminiscences de l'antiquité. Il serait difficile de trouver rien de plus gracieux que ces stances qu'il adresse un soir à Cassandre, la dame de ses pensées :
Mignonne, allons voir si la rose,
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
À point perdu, ceste vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! las ! voyez comme en peu d'espace.
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! las ! ses beautés laissé cheoir !
O vrayment marastre nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir.
Donc, si vous me croyez, mignonne.
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse
Comme à ceste fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Il faut tenir encore parmi ses plus belles pièces :
Quand vous serez bien vieille et L’élégie contre les bûcherons de la forêt de Gastine.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle
Assise auprès du feu devisant et filant
Direz chantant mes vers et vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle
Desjà sous le labeur à demi sommeillant
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre et fantosme sans os
Par les ombres myrteux je prendray du repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain.
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Je n’ai plus que les os…
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé;
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé;
Adieu, plaisant soleil ! Mon oeil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami, me voyant en ce point dépouillé,
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons ! Adieu, mes chers amis !
Je m’en vais le premier vous préparer la place.
Lecture audio du poème Je n’ai plus que les os, de Pierre de Ronsard
D’après Daniel Bonnefon, Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l'origine de la langue jusqu'au XIXe siècle (7e éd.), 1895, Paris, Librairie Fischbacher.