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Les idées religieuses de Ronsard

À partir des textes suivants :

Institution pour l’adolescence du Roi (1561)
Discours des misères de ce temps (1562)
Remontrance au peuple de France (1563)
Réponse aux injures et calomnies (1563)




L’humanisme renaissant et la Réforme partent du même principe de retour aux textes anciens directement connus et librement interprétés, et sont étroitement liés à la diffusion des livres permise par la découverte de l’imprimerie.

Mais les Renaissants se sont intéressés aux textes de l’antiquité gréco-latine, où ils ont trouvé l’exaltation de la vie terrestre, les Réformés à la Bible où ils n’ont vu qu’un moyen d’assurer leur salut éternel.


Les divergences devaient donc s’accentuer de plus en plus et aboutir à l’hostilité irréductible de Calvin à l’esprit de la Renaissance.


D’autre part l’esprit de libre examen, reposant sur le rejet du principe d’autorité, que les humanistes tendaient à porter dans tous les domaines, se voyait rapidement interdire, chez les Réformés, non seulement le domaine de la nouvelle doctrine religieuse, comme le montre, par exemple, l’action de Calvin contre Servet, mais même le domaine politique, comme le prouve l’abandon par Luther des Anabaptistes révoltés par le pouvoir civil. En France même au cours des guerres de religion les protestants ne se dressent contre le roi qu’après la Saint-Barthélémy, au moment où ils ont dû créer avec l’Union calviniste une sorte d’état dans l’état pour survivre, et c’est alors qu’ils utilisent la
Servitude volontaire de La Boétie.


Après la Révocation de l’Édit de Nantes, et jusqu’à la Révolution, leur engagement politique ne sera guidé que par leur opposition religieuse et n’aura pour but que d’organiser leur sauvegarde. La lutte pour la libération de l’homme dans tous les domaines devait être continuée par les successeurs des humanistes du XVIe siècle, les classiques du XVIIe siècle et les philosophes du Siècle des Lumières, qui devaient d’ailleurs, avec Voltaire, lutter pour les protestants.


Dans cet immense débat, la tentative individuelle de Ronsard pour essayer de concilier la recherche du bonheur terrestre que permet un humanisme païen et l’aspiration à la vie éternelle que lui laisse entrevoir une religion moins rigoriste que celle des Réformés, et qu’il pratique avec une foi qui n’a rien de mystique, prend sa juste et relative dimension.


On devine, au milieu du Chaos des événements, les motifs, le sens et la limite de l’action de Ronsard. Appartenant à la noblesse, page à la Cour, destiné à la diplomatie ou à la carrière des armes, puis empêché dans ces projets par l’accident de sa surdité, détourné vers la carrière ecclésiastique, carrière de repli, carrière des cadets de la noblesse, et par ce biais ramené à l’étude, et plus particulièrement à l’étude qui prime toutes les autres en cette époque de la Renaissance, c’est-à-dire à celle de l’antiquité gréco-latine, il se fait une âme païenne sans doute plus encore qu’il ne renforce ses connaissances religieuses, il se passionne pour la poésie et bientôt il écrit lui-même des poèmes où il chante l’amour, et non la vie éternelle, où il exprime la hantise de la mort que pour mieux conseiller de profiter du bonheur terrestre pendant le printemps de la vie.


Devenu célèbre, le voilà à nouveau à la Cour, poète officiel, cumulant, en plus de divers « bénéfices », les charges d’aumônier et de conseiller ordinaire du roi, remplissant donc des fonctions ecclésiastiques, et introduit au sein même des affaires qui décident du destin du royaume, et que jusqu’alors il n’a que devinées du fond de sa tour d’ivoire.


Inquiet pour son pays, qu’il aime tendrement et à la gloire duquel il a participé, pour son roi, auquel l’attachent sa noblesse et ses charges, pour sa situation aussi, qui dépend de l’Église menacée par la rébellion dans sa fortune et son existence même, il prend parti dans la lutte déjà sanglante qui commence, pour défendre le sort auquel il est attaché.


Poète militant, il attaque les ennemis de son Église, qui sont aussi les ennemis de son roi et de son pays, puisqu’ils déchaînent la guerre civile et ouvrent les portes à l’étranger.


Il se défend aussi, parce que ses attaques, parfois mal dirigées, déclenchent de venimeuses et cinglantes répliques.


La lutte traînant sans aboutir au triomphe éclatant du camp qu’il a choisi, surpris, sans doute, des virevoltes de la Cour, troublé de constater que les fautes sont encore plus égales dans les deux camps qu’il ne l’avait admis dès le début, accablé par les dévastations et les carnages de guerres constamment renaissantes, il finit par se taire au milieu des combats et par se remettre aux seules « occupations des Muses », fidèle à une conception de la poésie et à un art de vivre qu’il avait su concilier avec ses préoccupations religieuses, et qu’il n’avait d’ailleurs jamais reniés au moment même où il s’était cru obligé d’emboucher la trompette guerrière.

Le roi ne doit pas se conduire en tyran, et il doit éviter les guerres de conquête :

Aussi, pour estre roi, vous ne devez penser
Vouloir come un tyran vos sujets offenser.
Des petits et des grands la fortune se joue…
Ne prenez sans raison ni guerres ni batailles…
Car pour vivre content vous en avez assez…

Institution du roi



L’Église catholique souffre de vieux et graves défauts. Les Princes notamment ont eu tort de vendre les offices, d’accorder des bénéfices aux premiers venus, de nommer des enfants abbés, évêques ou cardinaux :

Vous Princes et vous Rois la faute avez commise
Pour laquelle aujourd’hui souffre toute l’Église…
Votre facilité qui vendait les offices,
Qui donnait aux premiers les vacants bénéfices,
Qui l’Église de Dieu d’ignorants farcissait,
Qui de larrons privés les palais remplissait,
Est cause de ce mal ; il ne faut qu’un jeune homme
Soit évêque ou abbé ou cardinal de Rome…
Prêtre veut dire vieil…
On ne doit dans l’Église évêque recevoir
S’il n’est vieil, s’il ne prêche et s’il n’est de savoir…
Madame, il faut chasser ces gourmandes harpies,
Je dis ces importuns dont les griffes remplies
De cent mille morceaux tendent toujours la main…
Éponges de la Cour qui sucent et qui tirent,
Plus ils crèvent de faim et plus ils en désirent



Les prélats, en proie à tous les péchés capitaux, ont négligé le soin de leurs fidèles, les laissant exposés aux attaques des Réformés :


Ôtez l’ambition, la richesse excessive,
Arrachez de vos cœurs la jeunesse lascive,
Soyez sobres de table, et sobres de propos,
De vos troupeaux commis cherchez-moi le repos,
Non le vôtre, Prélats…
Vos grandeurs, vos honneurs, vos gloires dépouillez,
Soyez-moi de vertu, non de soie habillés,
Ayez chaste le corps, simple la conscience,
Soit de jour, soit de nuit apprenez la science…
Fuyez la Cour des Rois…
Allez faire la cour à vos pauvres ouailles…
Tenez-vous près du parc et ne laissez entrer
Les loups en votre clos, faute de vous montrer…

Remontrance au peuple de France



En dénonçant ainsi les défauts de son Église, Ronsard ne fait pas preuve d’indépendance : il redit exactement ce que disent à la même époque (1563) les
Décrets de réformation du Concile de Trente. Il n’attaque pas le pape, l’abusive autorité de ses décisions qui font oublier les textes sacrés, la confusion de son pouvoir spirituel et de son pouvoir temporel, sa participation aux guerres, les indulgences, les bénéfices et toutes les contributions financières qui affluent au Vatican, au détriment des princes et des peuples.


Ronsard aurait suivi les Réformés s’ils n’avaient parlé que d’amender l’Église, mais ils ont ensanglanté la France :

Mais voyant vos couteaux, vos soldats, vos gens d’armes…
J’ai pensé que Satan…
… était votre chef d’entreprise…

Remontrance au peuple de France


Mais l’hérésie a dressé les Français les uns contre les autres :

Ce monstre arme le fils contre son propre père,
Et le frère factieux s’arme contre son frère,
La sœur contre la sœur…
L’oncle hait son neveu, le serviteur son maître,
La femme ne veut plus son mari reconnaître.
Les enfants sans raison disputent de la foi,
Et tout à l’abandon va sans ordre et sans loi.
L’artisan par ce monstre a laissé sa boutique,
Le pasteur ses brebis, l’avocat sa pratique,
Sa nef le marinier, sa foire le marchand,
Et par lui le prud’homme est devenu méchant.
L’écolier se débauche, et de sa faux tortue
Le laboureur façonne une dague pointue…
Le désir, l’avarice et l’erreur insensée…
Ont fait des lieux sacrés une horrible voirie,
Un assassinement et une pillerie :

Si bien que Dieu n’est sûr en sa propre maison.
Au ciel est revolée, et Justice, et Raison,
Et, en leur place, hélas ! règne le brigandage,
La force, le harnais, le sang et le carnage…
Mars…
… agite notre France,

Qui farouche à son prince, opiniâtre suit
L’erreur d’un étranger, et folle la conduit.

Discours des misères de ce temps, à la reine mère du roi (1562)



Les Réformés, qui ont pillé et assassiné la France, vivent impunis et se réclament de Dieu :


Mais ces nouveaux Chrétiens qui la France ont pillée,
Volée, assassinée, à force dépouillée…
Vivent sans châtiment, et à les ouïr dire,
C’est Dieu qui les conduit…
En la dextre ont le glaive, et en l’autre le feu,
Et comme furieux qui frappent et enragent,
Volent les temples saints et les villes saccagent.
Et quoi ! Brûler maisons, piller et brigander,
Tuer, assassiner, par force commander,
N’obéir plus aux Rois, amasser des armées,
Appelez-vous cela Églises réformées ?


Continuation du Discours des misères de ce temps, 1562



Jésus, les apôtres, les martyrs n’agissaient pas comme eux :
Jésus, que seulement vous confessez ici
De bouche et non de cœur, ne faisait pas ainsi,
Et saint Paul en prêchant n’avait pour toutes armes
Sinon l’humilité, les jeûnes et les larmes ;
Et les Pères Martyrs, aux plus dures saisons
Des tyrans ne s’armaient sinon que d’oraisons…

Continuation du Discours des misères de ce temps, 1562



Au contraire des Apôtres, ils se divisent en sectes rivales :


Les Apôtres jadis prêchaient tous d'un accord ;
Entre vous aujourd'hui ne règne que discord :
Les uns sont Zwingliens, les autres Luthéristes,
Les autres Puritains, Quintins, Anabaptistes,
Les autres de Calvin vont adorant les pas,
L'un est prédestiné, et l'autre ne l'est pas,
Et l'autre enrage après l'erreur Muncérienne,
Et bientôt s'ouvrira l'école Bézienne.
Si bien que ce Luther, lequel était premier,
Chassé par les nouveaux est presque le dernier,
Et sa secte, qui fut de tant d'hommes garnie,
Est la moindre de neuf qui sont en Germanie.
Vous devriez pour le moins, pour nous faire trembler,
Être ensemble d'accord sans vous désassembler ;
Car Christ n'est pas un dieu de noise ni discorde !
Christ n'est que charité, qu'amour et que concorde,
Et montrez clairement par la division

Que Dieu n'est point auteur de votre opinion.

Remontrances


Il n’y a point de salut que dans l’Église catholique, héritière des apôtres, au sein de laquelle Jésus-Christ est toujours présent :

Quand vainqueur de la mort dans le Ciel se haussa,
Pour gouverner les siens une Église laissa,
À qui donna pouvoir de lier et dissoudre,
D’accuser, de juger, de damner et d’absoudre,
Promettant que toujours avec elle serait
Et comme son Époux ne la délaisserait.


Cette Église première en Jésus-Christ fondée,
Pleine du Saint Esprit, s’apparut en Judée ;
Puis saint Paul, le vaisseau de grâce et de savoir,
La fit ardentement en Grèce recevoir ;
Puis elle vint à Rome, et de là fut portée
Bien loin aux quatre parts de la terre habitée.


Cette Église nous est par la tradition
De père en fils laissée en toute nation
Pour bonne et légitime, et venant des Apôtres ;
Seule la confessons sans en recevoir d’autres…
Aussi l’homme ne peut en terre être sauvé
S’il n’est dedans le sein de l’Église trouvé…



Il faut donc s’efforcer de corriger cette Église de ses défauts et non l’abandonner :


Il est vrai que le temps, qui tout change et détruit,
À mille et mille abus en l’Église introduit...
Je sais que nos Pasteurs ont désiré la peau
Plus qu’ils n’ont la santé de leur pauvre troupeau ;
Je sais que des Abbés la cuisine trop riche
A laissé du Seigneur tomber la vigne en friche ;
Je vois bien que l’ivraie étouffe le bon blé,
Et si n’ai pas l’esprit si gros ni si troublé,
Que je ne sente bien que l’Église première
Par le temps a perdu beaucoup de sa lumière.
Tant s’en faut que je veuille aux abus demeurer,
Que je me veux du tout des abus séparer,
Des abus que je hais, que j’abhorre et méprise :
Je ne me veux pourtant séparer de l’Église,
Ni ne ferai jamais ; plutôt par mille efforts
Je voudrais endurer l’horreur de mille morts.
Comme un bon laboureur, qui par sa diligence
Sépare les chardons de la bonne semence,
Ainsi qui voudra bien l’Évangile avancer,
Il faut chasser l’abus et l’Église embrasser,
Et ne s’en séparer, mais fermement la suivre
Et dedans son giron toujours mourir et vivre...