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Bonsoir,
Est-il légitime, selon vous, de placer Edgar Poe dans la filiation du romantisme, notamment du romantisme noir ?
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Bonsoir,
Bien sûr ! c'est absolument évident.
Les études sur Poe (dont peu de gens semblent avoir lu l'oeuvre intégrale) se divisent principalement en deux voies : le mythe du poète maudit et celui du malade mental.
C'est Marie Bonaparte qui a réduit Poe à sa folie, en éliminant de l'étude qu'elle lui a consacré (et sur laquelle Freud lui-même a émis des réserves) toute l'histoire de la formation de l'homme et tout ce qui concerne les théories littéraires du poète (alors que Mallarmé et surtout Valéry saluaient en lui un "poète de la connaissance").
Dans le domaine français, c'est la minutieuse biographie de Georges Walter (Flammarion, 1991) qui, après une enquête à l'américaine, a mis en évidence les années de formation et les principes conscients de création de Poe.
Poe a passé un an à l'université de Virginie (Charlottesville), de 17 à 18 ans, et à ce moment, il était fasciné par Byron, mort deux ans avant dans les circonstances que l'on sait. Ensuite il prend ses distances et, à vingt ans, ses maîtres sont Thomas Moore, Coleridge, Milton. Mais il lit aussi le Coran, les philosophes grecs, les mystiques espagnols...
À Baltimore, vers 1830-1831, son projet devient clair : écrire des contes pour récolter renommée et lecteurs. Une étude quasi statistique lui a permis d'observer le succès du roman gothique anglais, du fantastique germanique : les Contes d'Hoffmann, Le Château d'Otrante d'Horace Walpole. Il lit de nombreux journaux anglo-saxons à la bibliothèque de Baltimore et connaît bien toutes les histoires de fantômes débitées à la louche dans ces journaux.
Merzengerstein est maintenant lu comme un pur pastiche de roman gothique - alors que Marie Bonaparte voit, dans ce cheval qui sort de sa tapisserie, "l'union incestueuse de la mère et du fils".
Mais bon, il ne faut pas, quand même, réduire les contes de Poe à de purs pastiches, écrits volontairement pour essayer de gagner de l'argent ; ce ne sont pas non plus une autobiographie permanente, comme a feint de le croire un moment le cher Baudelaire, et cette pauvre Marie Bonaparte.
Je n'ai malheureusement pas le temps de m'étendre davantage sur la question, mais, pour résumer trop vite, votre piste me paraît absolument "incontournable" comme on dit maintenant.
Cordialement.
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)