Pourquoi le titre "Alcools" ?
#1
Pourquoi Apollinaire a-t-il choisi le titre « Alcools » pour son recueil ?
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#2
Bonsoir, 
Grande question de génétique des textes !
Voici quelques titres auxquels Apollinaire a d'abord pensé : 1903 "Vent du Rhin" (l'inspiration germanique), puis "Olive" (réminiscence littéraire de Du Bellay) , puis "Violon" (Verlaine , De la musique avant toute chose ?), puis quand le recueil s'étoffe et devient plus complet : "Eau de vie", ce qui est très connu, et très proche du titre définitif, enfin Alcools , en référence aux vers de Zone :
"Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau de vie"

Le titre Alcools a remplacé celui d'Eau-de-vie sur épreuves (octobre 1912)

Les deux termes renvoient à l'ivresse (poétique notamment) et au feu : l'alcool réchauffe, mais il brûle aussi. 


Pourquoi le pluriel ?  on peut penser à Baudelaire "Les paradis artificiels" (variété des moyens)

Ici, le titre allie amours et alcools (thème du bar, du vin fréquent dans Alcools ), les différentes formes d'ivresse ( cf encore Baudelaire "enivrez-vous...") transposition de la vie, sortilèges maléfiques ( on pense au thème des sorcières et nixes).
La symbolique :

Le symbole du poète qui doit s’imbiber de toute la réalité qui l’entoure = l’exaltation, l’inspiration poétique, toutes les ivresses possibles :

Vendémiaire « je suis ivre d’avoir bu tout l’univers »

Brûlure et feu purificateur qui lui permet d’atteindre la poésie.

En même temps l'idée de brûlure s'allie au thème de la souffrance.

Plusieurs expériences difficiles : amours déçues, prison : une « eau de vie », une quintessence de son expérience de poète.

Le pluriel du titre évoque justement cette variété d’expériences et rappelle le cubisme : une diversité d’approches et d'angles divers.


On pourrait s’interroger sur ce changement et se demander ce qu’apporte ce pluriel.

Ce qui est intéressant dans ce choix, c’est qu’il ôte la possibilité du jeu de mots avec «eau de vie» (alcool / eau de la vie / qui donne la vie etc.) et met l’accent sur le seul thème de l’ivresse (des ivresses, en fait).

L’ivresse est donc un thème majeur dans l’œuvre. Il y a bien sûr ces personnages pittoresques (cf. « Schinderhannes ») mais dans le dernier poème « Vendémiaire » (saison des vendanges), il me semble que la référence à l’alcool tient autant à la chimie (le sucre devient alcool) qu’à l’alchimie (le processus de transformation, et en l’occurrence de transformation poétique ou par la poésie). 



On le sait, ce dernier texte tient lieu de manifeste poétique et il n’est pas tout à fait le pendant de « Zone », il marque l’aboutissement d’un itinéraire, la fin d’un processus de fermentation, la transformation du sucre en alcool, du monde en poésie. 



«Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers» écrit Apollinaire à la fin du recueil et il ajoute «Et je boirai encore s’il me plaît l’univers / Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie».
La fin est résolument optimiste, comme une promesse de renouveau : « Les étoiles mouraient et le jour naissait à peine ».

Bon travail.
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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