Lecture silencieuse 
#1
Bonsoir,
Je suis à la recherche de toutes sortes d'informations sur la lecture, et en particulier sur le passage de la lecture à voix haute à la lecture silencieuse.
Merci.
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#2
Bonsoir,

Vieux souvenir. Saint Augustin, sans doute dans La Cité de Dieu, parle de saint Ambroise comme de celui qui fut parmi les premiers à lire bouche fermée. 



Confessions, lib. VI, cap.3, 3

cum legebat [Ambrosius], oculi ducebantur per paginas et cor intellectum rimabatur, vox autem et lingua quiescebant. saepe, cum adessemus - non enim vetabatur quisquam ingredi aut ei venientem nuntiari mos erat -- sic eum legentem vidimus tacite et aliter numquam, sedentesque in diuturno silentio - quis enim tam intento esse oneri auderet? - discedebamus; et coniectabamus eum parvo ipso tempore, quod reparandae menti suae nanciscebatur, feriatum ab strepitu causarum alienarum, nolle in aliud avocari; et cavere fortasse, ne auditore suspenso et intento, si qua obscurius posuisset ille quem legeret, etiam exponere esset necesse aut de aliquibus difficilioribus dissertare quaestionibus; atque huic operi temporibus impensis minus quam vellet voluminum evolveret: quamquam et causa servandae vocis, quae illi facillime obtundebatur, poterat esse iustior tacite legendi.



Quand il lisait, ses yeux couraient les pages dont son esprit perçait le sens; sa voix et sa langue se reposaient. Souvent en franchissant le seuil de sa porte, dont l’accès n’était jamais défendu, où l’on entrait sans être annoncé, je le trouvais lisant tout bas et jamais autrement. Je m’asseyais, et après être demeuré dans un long silence (qui eût osé troubler une attention si profonde ?) je me retirais, présumant qu’il lui serait importun d’être interrompu dans ces rapides instants, permis au délassement de son esprit fatigué du tumulte de tant d’affaires. Peut-être évitait-il une lecture à haute voix, de peur d’être surpris par un auditeur attentif en quelque passage obscur ou difficile, qui le contraignit à dépenser en éclaircissement ou en dispute, le temps destiné aux ouvrages dont il s’était proposé l’examen; et puis, la nécessité de ménager sa voix qui se brisait aisément, pouvait être encore une juste raison de lecture muette. 

Enfin, quelle que fût l’intention de cette habitude, elle ne pouvait être que bonne en un tel homme.

www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/confessions/livre6.htm#_Toc509573888



Fil de discussion en anglais avec beaucoup de réferences sur le sujet :

lists.village.virginia.edu/lists_archive/Humanist/v03/1098.html



Ce passage a été souvent remarqué, puisqu'il semble montrer qu'Ambroise est le véritable inventeur de la lecture silencieuse, mais on a montré depuis que cette pratique était connue bien avant dans l'antiquité (Cicéron, Tusc. 5.40.116, décrit le plaisir que les sourds peuvent tirer de la lecture de la poésie sans l'entendre).


Le passage de Cicéron :



In surditate vero quidnam est mali? Erat surdaster M. Crassus, sed aliud molestius, quod male audiebat, etiamsi, ut mihi videbatur, iniuria. [Epicurei] Nostri Graece fere nesciunt nec Graeci Latine. Ergo hi in illorum et illi in horum sermone surdi, omnesque nos in eis linguis quas non intellegimus, quae sunt innumerabiles, surdi profecto sumus. 'At vocem citharoedi non audiunt'. Ne stridorem quidem serrae, tum cum acuitur, aut grunditum cum iugulatur suis nec, cum quiescere volunt, fremitum murmurantis maris; et si cantus eos forte delectant, primum cogitare debent, ante quam hi sint inventi, multos beate vixisse sapientis, deinde multo maiorem percipi posse legendis iis quam audiendis voluptatem.



traduction :



Au vrai, dans la surdité, où donc est le mal ? Marcus Crassus était dur d'oreille mais il y avait une autre chose plus fâcheuse, c'est qu'il avait mauvaise réputation, même si à mon sens il ne la méritait pas. Nos gens [Epicuriens] ignorent quasi le grec et les Grecs le latin. Ils sont donc

sourds dans leurs langues respectives, et nous tous, dans les langues que nous ne comprenons pas, qui sont innombrables, nous sommes sourds assurément. "Mais ils n'enrtendent pas la voix du chanteur". Pas davantage que le grincement de la scie qu'on aiguise ou le hurlement du porc qu'on égorge, ni, quand ils veulent se reposer, le vacarme de la mer qui gronde ; et si d'aventure ils aiment la poésie, il leur faut penser d'abord qu'avant son invention beaucoup de sages ont vécu heureux, et ensuite que l'on peut prendre à la lire un plaisir bien plus grand qu'à l'entendre.


Voilà !
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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