La situation d'énonciation  
#2
Bonjour et bienvenue,

Merci de ce premier message, qui pose d'emblée la discussion à un très haut niveau.
Je ne puis vous répondre en quelques mots, je vais tâcher d'aller à l'essentiel.

1. Pendant des siècles, l'enseignement du français s'est fondé sur la littérature : les grands textes, les grands auteurs. Pour les comprendre, il fallait un enseignement solide de la langue et de toute sa complexité. Cet enseignement se faisait par "imprégnation", par fréquentation lente et répétée. La langue parlée dans le milieu familial aidait beaucoup...
Méthode très gourmande en temps, trop chère !

2. La rupture est à dater, selon moi, des années 60. On construisait à l'époque un collège par jour... L'enseignement est devenu un enseignement de masse : en 1977, tous les élèves entrent en 6e.
Pour continuer l'enseignement du français par imprégnation, il aurait fallu beaucoup, beaucoup d'argent ! En 6e, avant 1977, les élèves avaient 6H de cours hebdomadaires en français, dont 3 H par demi classe (cela faisait 9 H pour un professeur, qui pouvait n'avoir que 2 classes dans son service. Maintenant, le prof en a 4 ou 5, et l'élève reçoit 4H ou 4H 1/2 de cours par semaine, en classe entière). L'horaire consacré à l'enseignement du français à l'école primaire a été divisé par 3.

Les raisons profondes des réformes sont toujours économiques. Il ne faut pas l'oublier.
Bien sûr de nombreux autres facteurs ont joué (progrès de la linguistique générale, positions politiques - chacun sait que la grammaire est de droite et la linguistique de gauche) - mais l'essentiel est là.

Trop cher en temps et en argent, l'enseignement fondé sur l'imprégration et la fréquentation des grands auteurs. On l'a déclaré "trop élitiste", tiens.
On a donc décidé que la littérature, c'est de l'art, et que l'on allait enseigner à tous la langue "quotidienne".

3. L'idéologie a fonctionné à plein (et selon moi de façon révoltante) : le "peuple" ne pouvait pas comprendre les grands auteurs, il n'avait pas la culture : on allait donc lui apprendre le français à partir des notices des boîtes de médicaments (cela, c'était la pensée du Philippe Merieu de la grande époque).

4. Un grand courant social (1968) a remis en cause les "valeurs traditionnelles", les interdits, l'apprentissage par cœur, les méthodes impositives... C'était la fin de l'orthographe, de la conjugaison et de la grammaire.

5. Le structuralisme avait bien déblayé le terrain dans le domaine universitaire... La "déconstruction" de la notion d'auteur, d'œuvre... tout cela a constitué un grand flot irrépressible. C'était la fin de la littérature.

6. En ce qui concerne la linguistique de l'énonciation, que vous évoquez dans le titre de votre message, oui, elle a servi (entre autres) d'alibi à l'entrée d'un technicisme ahurissant dans l'enseignement du français, certes.
Mais elle n'est pas en cause en elle-même, pas plus que la narratologie, qui n'en peut mais.
Ce sont, là encore, des raisons économiques qui ont prévalu : au lieu d'enseigner à faire un meuble, puis un autre, puis un autre, on s'est dit qu'il était plus rapide et moins cher d'apprendre les différentes parties de la gouge et du marteau.

C'est à peu près cela. Bien sûr que non, les grands écrivains ne sont pas des techniciens, mais ces "outils" permettent tellement de survoler (et d'écraser !) : J. J. Rousseau et les mémoires de Zidane : même sit' com' ! On ne va pas plus loin. Quel temps gagné...

Une petite erreur dans la première partie de votre message : la "situation d'énonciation" a été au programme du collège de 1996 à 2008. Actuellement, les nouveaux programmes l'ont exclue, au bénéfice d'un retour à l'enseignement de la langue plus traditionnel (grammaire de phrase). Mais c'est compter sans la longévité des manuels scolaires, qui ne seront pas remplacés, et le fait que les méthodes impositives ne sont pas en odeur de sainteté... Il faut aussi incriminer le défaut de formation continue des professeurs.

Pardonnez-moi d'avoir été trop longue ! je suis à votre disposition pour continuer la discussion...

Bien cordialement
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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Messages dans ce sujet
La situation d'énonciation   - par Milena - 20/01/2015, 22:32
RE: La situation d'énonciation   - par Annasoror - 20/01/2015, 22:36
RE: La situation d'énonciation   - par Milena - 20/01/2015, 22:40
RE: La situation d'énonciation   - par Milena - 20/01/2015, 22:45

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