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Le discours rapporté (2)
Le discours indirect libre
Le discours raconté
La citation



Observation

Soir de débauche

Chez les marchands de vin, des pochards s’installaient déjà, gueulant et gesticulant. Et un bruit du tonnerre de Dieu montait des voix glapissantes, des voix grasses, au milieu du continuel roulement des pieds sur le trottoir. « Dis donc ! viens-tu becqueter ?…. Arrive, clampin ! je paie un canon de la bouteille… Tiens ! v’la Pauline ! ah bien ! non, on va rien se tordre ! » Les portes battaient, lâchant des odeurs de vin et des bouffées de cornet à pistons. On faisait la queue devant l’Assommoir du père Colombe, allumé comme une cathédrale pour une grand-messe ; et, nom de Dieu ! on aurait dit une vraie cérémonie, car les bons zigs chantaient là-dedans avec des mines de chantres au lutrin, les joues enflées, le bedon arrondi. On célébrait la sainte-touche, quoi ! une sainte bien aimable, qui doit tenir la caisse au paradis. Seulement, à voir avec quel entrain ça débutait, les petits rentiers, promenant leurs épouses, répétaient en hochant la tête qu’il y aurait bigrement des hommes soûls dans Paris, cette nuit-là. Et la nuit était très sombre, morte et glacée, au-dessus de ce bousin, trouée uniquement par les lignes de feu des boulevards, aux quatre coins du ciel.
Plantée devant l’Assommoir, Gervaise songeait. Si elle avait eu deux sous, elle serait entrée boire la goutte. Peut-être qu’une goutte lui aurait coupé la faim. Ah ! elle en avait bu des gouttes ! Ça lui semblait bien bon tout de même. Et, de loin, elle contemplait la machine à soûler, en sentant que son malheur venait de là, et en faisant le rêve de s’achever avec de l’eau-de-vie, le jour où elle aurait de quoi. Mais un frisson lui passa dans les cheveux, elle vit que la nuit était noire. Allons, la bonne heure arrivait. C’était l’instant d’avoir du cœur et de se montrer gentille, si elle ne voulait pas crever au milieu de l’allégresse générale.

Émile Zola, L’Assommoir



Questions

1. Repérez les paroles citées directement. Qui les prononce ? Commentez le vocabulaire, la prononciation, le type des phrases employées.

2. Comment sont rapportées les paroles des petits rentiers ? Quel jugement traduisent-elles ?

3. Mettez les passages en
bleu au discours indirect en inventant une expression introductrice : qui parle ? Quels changements apportez-vous dans le vocabulaire ? Les phrases obtenues gardent-elles la spontanéité du texte original ?

4. Transposez les groupes en
rouge au discours direct en faisant parler le personnage, puis au discours indirect. laquelle des trois formules est la mieux adaptée pour restituer le rythme de la pensée de l’héroïne ?


Leçon

1. Le discours rapporté libre

• Définition

Dans un texte, des paroles peuvent être insérées sans marque explicite : il n’y a ni verbe introducteur, ni ponctuation particulière.
C’est au lecteur de repérer la trace de paroles prononcées et de les attribuer à tel ou tel personnage.

On appelle
discours rapporté libre cette manière d’insérer des paroles dans un texte sans marque explicite. Les paroles sont presque totalement intégrées au contexte narratif.

• Procédés grammaticaux

Les paroles transposées en discours indirect libre sont présentées dans une phrase juxtaposée à la phrase de récit qui la précède signalée entre […], sans marque de subordination, sans verbe déclaratif :
Ex. :
[On faisait la queue devant l’Assommoir du père Colombe, allumé comme une cathédrale pour une grand-messe] ; et, nom de Dieu ! on aurait dit une vraie cérémonie.

Les paroles citées contiennent souvent un vocabulaire propre au personnage et non au narrateur :
Ex. :
Si elle avait eu deux sous, elle serait entrée boire la goutte.

Les pronoms personnels, les possessifs et les marqueurs spatio-temporels appartiennent au système du récit dans le
discours indirect libre :
Ex. :
Les Grégoire chargeaient Cécile de leurs aumônes. Cela rentrait dans leur idée d’une belle éducation. Il fallait être charitable, ils disaient eux-mêmes que leur maison était la maison du Bon Dieu. Du reste, ils se flattaient de faire la charité avec intelligence, travaillés de la continuelle crainte d’être trompés et d’encourager le vice. Ainsi, ils ne donnaient jamais d’argent, jamais ! pas dix sous, pas deux sous, car c’était un fait connu, dès qu’un pauvre avait deux sous, il les buvait. Leurs aumônes étaient donc toujours en nature.

Émile Zola, Germinal.



Remarque

Quand les pronoms personnels et les autres marques d’énonciation appartiennent au système du discours, les paroles rapportées sont au
discours direct libre :

Ex. : À Champagne sur Seine, où il s’est arrêté pour embrasser les enfants, Alice l’attendait. Elle le trouve vif, alerte, s’en réjouit, le questionne, quel bon vent tamène mon amour. Je n’ai pas le temps, je descends à Lyon, j’ai du travail. À l’usine. Oui et non, je t’expliquerai plus tard, occupe-toi des enfants, profitez des vacances. Mais où vas-tu t’abriter, et les communistes ? Ne t’inquiète pas, tout s’arrangera bientôt. Il lui montre sa carte d’adhérent au PPF en riant, il exulte, il est heureux.

Marie Chaix, Les lauriers du lac de Constance, ©Seuil, 1974.



Les temps de conjugaison suivent la concordance des temps (voir leçon 9). Le mode indicatif, qui ne peut être maintenu, se transpose au subjonctif présent :
Ex. :
Il se pencha vers moi. Avais-je une cartouche de stylo de rechange ? Que je la lui passe.

• Contenu des paroles rapportées

Le discours indirect libre offre des possibilités d’expression plus riches que le discours indirect.

Il peut comporter tous les éléments qui caractérisent le discours direct :
— des apostrophes :
Ex. :
Elle la prit sur ses genoux. Mademoiselle n’était pas sage, quoi qu’elle eût sept ans bientôt.

Gustave Flaubert, L’Education sentimentale.


— des exclamations, des interrogations :
Ex. :
Peut-être qu’une goutte lui aurait coupé la faim ? Ah ! elle en avait bu des gouttes !

— des expressions familières, de l’argot, des mots étrangers, des marques d’accent, de patois :
Ex. :
Ainsi, lui se faisait fort, s’il s’en occupait, d’amener la Compagnie à des conditions meilleures : au lieu que, va te faire fiche ! on y crèverait tous, en s’obstinant.

Émile Zola, Germinal.



• Effets de style

* Le discours indirect libre existe depuis le Moyen-Âge. Il est fréquemment présent dans les Fables de La Fontaine, et a été plus systématiquement utilisé dans la littérature romanesque du XIXe siècle. Il se rencontre également à l’oral.

C’est une forme très souple qui supprime les marques de subordination du discours indirect en évitant la répétition de
que en cascade.

* Le discours indirect libre restitue la spontanéité du discours direct en permettant de reproduire différents registres de langue et toutes les formes de subjectivité, en atténuant la brutalité des paroles directes.

Il permet de reproduire les pensées d’un personnage par un monologue intérieur inséré dans le récit :
Ex.:
Elle abandonna la musique. Pourquoi jouer ? Qui l’entendrait ? Puisqu’elle ne pourrait jamais, en robe de velours à manches courtes, sur un piano d’Erard, […] sentir, comme une brise, circuler autour d’elle un murmure d’extase, ce n’était point la peine de s’ennuyer à étudier.

Gustave Flaubert, Madame Bovary.



* Dans la presse écrite contemporaine, le discours indirect libre est fréquemment employé dans les faits divers. Il permet d’insérer la voix des acteurs ou des témoins dans le récit du journaliste :
Ex.:
Interpellé, M. nie avoir agressé le chauffeur du bus. A l’heure de l’agression, il regardait la télévision chez ses voisins.


2. Le discours raconté

Le récit peut parfois rapporter des paroles échangées sans en donner le contenu exact, en les résumant. L’essentiel est traduit par un verbe qui implique une trace de parole, ou par un nom qui offre les mêmes caractéristiques :
Ex. :
Le Président s’excusa, demanda pardon. L’homme nie. Il a fait une longue déclaration.

Cette forme est un
discours raconté. Le narrateur ne garde que l’essentiel du message et l’intègre totalement dans le récit.

3. La citation

Certains textes portent la marque d’un mot ou d’une expression que l’émetteur ne veut pas reprendre à son compte, et dont il laisse la responsabilité à un autre émetteur, généralement désigné dans le texte :
Ex. :
Aussitôt qu’elle fut reconnue, des chuchotements coururent parmi les femmes honnêtes, et les mots de « prostituée », de « honte publique » furent chuchotés si haut qu’elle leva la tête.
Maupassant, Boule de suif

L’émetteur signale qu’il parle avec les mots d’un autre. C’est l’effet-guillemets, fréquent chez les journalistes, ou dans les rédactions de jeunes élèves qui veulent insérer un mot familier en prévenant que le lecteur ne doit pas le leur imputer.

Tableaux récapitulatifs





Pour l’expression écrite


La polyphonie

Le discours indirect libre permet des effets très subtils.

Dans le passage cité, Zola fait entendre trois voix de personnages : celle des ouvriers et celle de l’héroïne, marquées par l’emploi du vocabulaire populaire, est rapportée par le discours direct et le discours indirect libre. Leur vision de l’alcoolisme est (faussement) positive ; la voix des petits rentiers, rapportée au discours indirect, désapprouve, au contraire, la débauche.

Enfin, la voix du narrateur se mêle à celle des personnages dans les passages de récit. C’est lui qui compare l’Assommoir à une église : « allumé comme une cathédrale pour une grand-messe ». Le narrateur semble avoir ici une certaine sympathie pour Gervaise et les ouvriers.

Mais il emploie également, pour les désigner, un vocabulaire péjoratif : « des pochards, gueulant et gesticulant ». Dans ce dernier cas, la voix du narrateur se rapproche de celle des bourgeois qui critiquent les ouvriers. Les différents discours marquent l’ambivalence du narrateur par rapport à ses personnages.


Résumé

Le discours rapporté libre permet d’insérer des paroles dans un texte sans marque explicite : ni verbe introducteur, ni ponctuation particulière. Les marques de temps et de personnes sont unifiées sur celles du texte de base, comme dans le discours indirect.
Le discours indirect libre peut contenir des éléments subjectifs : des interjections, des apostrophes, des phrases interrogatives ou exclamatives, des expressions familières, comme le discours direct.
Le discours raconté réduit les paroles rapportées à leur contenu afin de les intégrer totalement au récit.
La citation entre guillemets permet à l’émetteur de prendre distance avec un mot ou une expression dont il laisse la responsabilité à quelqu’un d’autre.


Leçon publiée dans Grammaire et expression 3e Nathan