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George Sand (1804-1877)


  

GeorgeSand
George Sand naquit à Paris en 1804. Arrière-petite-fille de Maurice de Saxe, elle eut pour père Maurice Dupin qui servit avec distinction sous la République et sous l'Empire, et qui mourut, en 1808, d'une chute de cheval ; sa mère avait mené une vie d'aventures avant que Maurice Dupin la connût en Italie et l'épousât malgré la vive opposition de Mme Dupin, qui ne pouvait se décider à accepter cette belle-fille de basse extraction et d'une moralité plus que douteuse.
 
La jeune Aurore, à peine âgée de quatre ans à la mort de son père, fut élevée d'abord à la campagne, au château de Nohant, dans le Berry, chez sa grand-mère, Mme Dupin de Francueil. Douée d'une indomptable vigueur, elle vécut dès l'enfance d'une vie de mouvement et de rêverie au sein de laquelle se développa librement son imagination.
Libre de toute contrainte et n'étant soumise à nulle surveillance, elle partageait son temps entre de longues courses dans les champs, vivant de la vie des petits pasteurs, partageant leurs jeux et leurs repas, et des lectures qu'elle choisissait de préférence dans les livres d'histoire et de littérature.
 
Quand elle eut atteint l'âge de treize ans, Mme Dupin de Francueil, effrayée de l'ignorance et des habitudes rustiques de sa petite-fille, la conduisit à Paris au couvent des Augustines anglaises où elle passa trois années. Le jour même de son entrée, Aurore s'enrôla dans la bande des pensionnaires qu'on appelait les diables, c'est-à-dire des élèves qui bravaient l'autorité des religieuses et se refusaient à tout travail. Cette première phase de paresse intellectuelle et de révolte insouciante dura plus d'une année, au bout de laquelle Aurore tomba dans un état de langueur, symptôme d'un grand changement moral. Elle s'ennuya de la diablerie et prit goût aux exercices de piété. Elle eut un moment l'idée de se faire religieuse ; mais bientôt, elle abandonna ce projet et retrouva le calme d'esprit qu'elle avait perdu.
 
Elle quitta le couvent en 1820 et retourna au château de Nohant, où elle reprit les habitudes vagabondes de son enfance. Seulement, au lieu de rechercher comme autrefois la société des petits pasteurs, elle préférait l'éloignement et la solitude. Elle était devenue passionnée pour l'équitation et, montée sur sa jument, elle avait pris l'habitude de faire tous les matins huit ou dix lieues en quatre heures, marchant à l'aventure et explorant le pays au hasard. Pour obéir aux conseils, un peu imprudents peut-être, de son directeur, elle se prit à lire les principaux ouvrages philosophiques qui lui tombèrent sous la main dans la bibliothèque de sa grand-mère : Mably, Locke, Condillac,Montesquieu, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, Montaigne, dont sa grand-mère lui avait marqué les feuillets et les chapitres à passer ; puis, La Bruyère, Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare, le tout sans ordre et sans méthode. Toutes ces lectures ne furent pas sans influence sur ses idées et sur ses sentiments.
 
En même temps que sa pensée s'émancipait, l'existence qu'elle menait, sans contrôle et sans conseil, devenait de plus en plus étrange. Ce fut à cette époque qu'elle commença à s'habiller en garçon avec un pantalon de toile et des guêtres en cuir pour pouvoir chasser plus commodément. Ses études prirent bientôt une tournure aussi masculine que ses divertissements. Elle se passionna d'abord pour la minéralogie et la botanique, puis pour l'anatomie. Un jeune étudiant en médecine lui fournit des bras, des têtes, des jambes. Un jour même, il lui apporta le squelette tout entier d'une petite fille, qu'elle garda longtemps dans sa chambre. Ses allures excentriques, ses études mystérieuses, ses relations enjouées et tranquilles avec des jeunes gens, fils d'anciens amis de son père, tout cela scandalisait fort les habitants de La Châtre et commença d'amasser ce formidable orage de calomnies ou de médisances qui devait fondre plus tard sur elle.
 
Un événement brusque, bien que depuis longtemps prévu, vint mettre fin à l'existence étrange qu'Aurore menait à Nohant. Sa grand-mère mourut presque subitement. Deux ou trois jours après, sa mère arrivait triomphante, et, après des débats pénibles, forte des droits que lui conférait la loi, elle arrachait sa fille au tuteur que Mme Dupin de Francueil lui avait désigné dans la famille de son mari ; Aurore dut quitter aussitôt ce lieu où s'étaient écoulées les belles et pures années de sa vie. À Paris, la jeune fille souffrait vivement de l’infériorité sociale et intellectuelle du milieu où sa mère la condamnait à vivre. Aussi rien d'étonnant qu'ayant rencontré chez des amis qui lui offraient de temps à autre l'hospitalité, « un jeune homme mince, assez élégant, d'une figure gaie et d'une allure militaire », fils naturel d'un ancien colonel du Premier Empire et héritier d'une assez jolie fortune, elle ait accepté l'offre de sa main et consenti à échanger son nom d'Aurore Dupin contre celui de la baronne Casimir Dudevant. Cette union ne fut pas heureuse ; il y avait entre les époux une trop grande incompatibilité d'humeur pour que la vie commune leur fût longtemps possible. Après six années d'une existence où rien ne lui fut épargné en fait de tracasseries, de difficultés et d'affronts, elle fit avec son mari un singulier arrangement : moyennant une subvention de 250 fr par mois, M. Dudevant l'autorisait à s'établir à Paris avec sa fille pendant six mois de l'année, et pendant six autres mois, il consentait à la recevoir à Nohant jusqu'à ce que leur fils, Maurice, entrât au collège. Aurore quitta donc Nohant et vint s'établir à Paris au commencement de l'année 1831, dans un appartement situé quai Saint-Michel.
 
Les débuts furent rudes, et la question de toilette devint tout de suite une grosse difficulté. Ayant de la peine à suffire à ses dépenses de vêtements féminins, elle se détermina à reprendre par économie le costume d'homme qu'elle avait porté dans sa première jeunesse. D'un autre côté, en voyant la vie libre et facile que menaient à Paris quelques-uns de ses compagnons berrichons, de Latouche, Félix Pyat, elle avait pensé que si elle pouvait revêtir leur costume et se faire passer pour un étudiant de première année, il lui serait aisé de goûter des mêmes plaisirs à aussi peu de frais. Grâce à ce déguisement, elle put en effet s'associer à l'existence un peu aventureuse de ses amis, se mêler à la foule qui se pressait aux premières représentations des drames romantiques et parcourir, le soir, en bande joyeuse, les rues du Quartier Latin. Elle avait à cette époque vingt-huit ans.
 
Quelle que fût l'économie de ce nouveau genre de vie, les 250 francs par mois n'y purent cependant pas suffire, et elle dut aviser aux moyens de suppléer à l'exiguïté de cette pension. Elle fit d'abord des traductions ; puis, les traductions ne suffisant pas, elle mit en œuvre son talent de peintre et exécuta avec quelque succès de menus travaux, des portraits au crayon et à l'aquarelle. Enfin elle aborda la littérature, mais elle reçut peu d'encouragements parmi les relations qu'elle avait nouées à Paris. Un vieux faiseur de romans auquel on l'avait adressée lui dit sèchement qu'une femme ne doit pas écrire. Balzac ne fit pas grande attention à ses projets littéraires. Cependant de Latouche crut ouvrir la voie à sa jeune compatriote en l'attachant à la rédaction du
Figaro qu'il venait d'acheter ; elle y travailla de son mieux, mais n'y réussit que médiocrement.
 
C'est alors qu'elle rencontra dans les bureaux du journal un jeune écrivain, Jules Sandeau, vers qui elle se sentit attirée. Ils formèrent le dessein d'associer leur inexpérience, et le premier fruit de cette collaboration fut une nouvelle, insérée, non sans peine, dans
la Revue de Paris, puis un roman en cinq volumes, intitulé Rose et Blanche. Le livre parut sous le pseudonyme de Jules Sand et eut assez de succès pour donner quelque retentissement à ce nom qui apparaissait pour la première fois dans le monde des lettres. Un éditeur intelligent, profitant de ce succès, demanda à Jules Sand un nouveau roman. Aurore lui présenta le manuscrit d'un roman qu'elle avait composé pendant les intervalles périodiques de ses séjours à Nohant, où elle continuait d'aller tous les six mois. L'œuvre était donc à elle, bien à elle, et son ancien collaborateur n'y pouvait et n'y voulait réclamer aucune part. Toutefois, le libraire tenait essentiellement au pseudonyme pour assurer le succès de ce livre. Latouche, choisi comme arbitre trancha habilement la difficulté; laissant à Sandeau le nom de Jules, il laissa à Aurore celui de Sand, avec la liberté d'y ajouter tel prénom qu'il lui conviendrait, et c'est ainsi que le roman d'Indiana fut publié sous le nom de George Sand.
 
Indiana parut en 1832 et eut un incontestable succès ; c'est une protestation passionnée contre l'institution du mariage dont l'auteur avait tant souffert. Mais, au lieu de s'en prendre à elle-même de tous ses malheurs, George Sand s'en prit aux hommes et à Dieu. La donnée de ce roman est donc immorale, comme celle de tous les romans de cette première période, mais le style en est correct, pur, élevé, et a suffi pour placer l'auteur du premier coup au rang de nos plus grands écrivains. La même année parut Valentine, où l'on rencontre des situations touchantes, des caractères finement tracés, de fraîches idylles, mais qui souleva des discussions passionnées, à cause de ses nouvelles attaques contre l'institution du mariage. À partir de ce moment, le pseudonyme de George Sand acquit une telle popularité qu'il devint le nom propre, le vrai nom de l'auteur.
 
En 1833, George Sand écrivit
Lélia dans une de ces heures de découragement qui tournent nos tristesses à l'exaltation et à l'amertume. Liée d'une étroite amitié avec Alfred de Musset, elle avait visité l'Italie avec ce poète, devenu son enthousiaste admirateur. Malheureusement, ils se brouillèrent à Venise et se séparèrent. Cette rupture plongea Musset dans une amère tristesse qui a assombri toute sa vie et inspiré ses plus beaux vers. Sand fit connaître ses impressions de voyage dans les Lettres d'un Voyageur (1834) qui produisirent une très vive sensation. La même année, elle publia Jacques, qui est une apologie du suicide. Après Jacques, parurent André, Leone Leoni, le Secrétaire intime, Lavinia, Mauprat, les Maîtres mosaïstes, etc.
 
Tous ces romans appartiennent à la première manière de George Sand, celle de la passion dans son premier élan. La seconde phase de son talent et de ses idées date de 1838, époque à laquelle elle se lia avec des hommes éminents dont elle sut parer les idées sociales et religieuses de la merveilleuse puissance de son imagination et de l'éloquence de son style. Voici dans quelles circonstances elle devint à son tour philosophe et socialiste. Ses démêlés judiciaires avec son mari l'avaient mise de bonne heure en relation avec Michel de Bourges. Le célèbre avocat prit rapidement une grande influence sur son esprit et lui communiqua quelque chose de la haine qu'il éprouvait contre la société. Par son intermédiaire elle entra en relation avec les chefs du parti républicain. Néanmoins ce ne fut que quelques années plus tard et sous l'influence de Lamennais et de Pierre Leroux, qu'elle mit sa plume au service des idées socialistes et publia
le Meunier d'Angibault, le Compagnon du tour de France, le Péché de M. Antoine.
 
Dans cette disposition d'esprit, George Sand salua la Révolution de 1848 avec enthousiasme. L'établissement du suffrage universel était un des remèdes sur lesquels elle comptait pour terminer les luttes sociales et politiques. Elle accourut de Nohant à Paris et vint trouver Ledru-Rollin pour mettre à sa disposition son dévouement et sa plume. Pendant toute la durée du gouvernement provisoire, elle vécut au ministère de l'Intérieur, en proie à une sorte d'ivresse révolutionnaire. Les journées de juin lui ouvrirent les yeux. À quoi avaient abouti ses rêves de fraternité, d'amour, d'abolition de la souffrance ? À une émeute féroce, suivie d'une répression sanglante. George Sand, troublée et navrée au fond de l'âme, s'enfuit à Nohant dans l'espérance d'y trouver un peu de calme.
 
C'est au lendemain de la période la plus agitée de sa vie, de 1846 à 1850, qu'elle a écrit ces œuvres si paisibles,
la Mare au Diable, François le Champi, la Petite Fadette, qui forment la troisième phase de son talent. Dans ces romans champêtres, on respire comme un enivrement de la vie rustique. Il y a au début de la Mare au Diable une scène de labourage par une journée d'automne, qui atteint presque à la simple beauté de l'antique.
 
L'illusion socialiste du romancier après les journées de juin fut suivie d'alternatives de découragement et d'espérance ; mais l'espérance en s'affaiblissant avait changé de nature. Ce ne fut plus dans le peuple lui-même qu'elle eut foi pour réaliser ses rêves de progrès, mais en Louis-Napoléon que le peuple avait, par une sorte d'acclamation, appelé à sa tête. Elle s'attendait toujours à ce que l'auteur des
Idées napoléoniennes tentât quelque vigoureux effort en faveur de la société. Le coup d'État ne suffit pas à la détromper. Tout en désapprouvant le régime impérial et ses procédés, elle conservait une certaine sympathie pour l'homme qui en était la personnification. Cette sympathie subsista même après les désastres de la guerre de 1870 qui lui firent éprouver toutes les angoisses qui ont fait palpiter le sein de la France. Retirée à Nohant après, ces malheurs, elle s'y consacra tout entière à l'amour de ses enfants. Le spectacle d'une union heureuse, se développant paisiblement sous ses yeux, lui fit enfin comprendre la sainteté des lois contre lesquelles elle s'était autrefois élevée ; en même temps son cœur s'élargissait pour faire place à des êtres nouveaux qui venaient solliciter sa tendresse.
 
Après avoir été une mère tendre, elle a été une grand-mère passionnée. Cette expérience nouvelle lui a fait apercevoir la vie sous un jour plus riant, et quelques-unes des œuvres de la seconde moitié de sa vie semblent jaillir d'une source fraîche et purifiée (
l'Homme de neiqe, Valvèdre, Jean de la Roche, le marquis de Villemer). Qui eut dit que l'auteur de Valentine achèverait sa vie dans le château de ses pères en écrivant des contes pour ses petits-enfants ?
 
 
d’après Daniel Bonnefon, 
Les écrivains modernes de la France, 1880.