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François-René de Chateaubriand (1768-1848)


Chateaubriand
Fr’ançois-René, vicomte de Chateaubriand naquit à Saint-Malo, le 4 septembre 1768, d’une très noble famille de Bretagne. Il souffrit dès son enfance du peu d'harmonie qui régnait dans sa famille. Son père, vieux soldat, était un homme dur et despotique, qui faisait plier femme et enfant sous son inflexible sévérité. Sa mère, au contraire, frêle et maladive, tremblant sous le joug de ce maître intraitable, ne trouvait un peu de bonheur que dans la religion et dans l'amour de ses enfants. François-René avait plusieurs frères et sœurs dont l'une, douce et mélancolique, Lucile, mourut jeune encore, sans avoir connu le bonheur. Chateaubriand, qui l'aimait avec tendresse, l'a immortalisée dans un de ses romans, René, sous le nom d'Amélie. Chateaubriand commença ses études au collège de Dol, où il se fit remarquer par sa précoce intelligence, et il les termina brillamment au collège de Rennes.
 
Ses parents le destinaient à l'Église, mais ne se sentant aucun goût pour l'état ecclésiastique, il embrassa la carrière des armes et s'engagea à dix-sept ans comme sous-lieutenant au régiment de Navarre. La noblesse de sa famille lui facilita l'entrée de la cour, où il fut présenté par son parent, Malesherbes, ministre de Louis XVI.
 
Une carrière brillante s'ouvrait devant lui. Malheureusement la Révolution vint renverser toutes ses espérances. La défection s'étant mise dans l'armée du roi, Chateaubriand, qui ne voulait pas suivre cet exemple, demanda et obtint une mission pour l'Amérique. Il avait conçu le projet aventureux de découvrir un passage pour aller aux Indes par la baie d'Hudson. Malesherbes lui donna plusieurs lettres de recommandation pour les principaux personnages du Nouveau-Monde, entre autres pour George Washington. Après une longue traversée, le vaisseau jeta l'ancre et le jeune émigré toucha le sol de l'Amérique. Ses premiers pas se dirigèrent vers la modeste demeure du Président des États-Unis. Celui-ci avait pour palais une petite maison construite à l'anglaise : point de gardes, point de serviteurs en livrée ; une humble servante l’introduisit auprès de Washington. Cette réception simple et cordiale et les bons conseils que le Président lui donna restèrent longtemps gravés dans la mémoire du jeune homme.
 
Après quelques tentatives peu sérieuses pour découvrir le passage aux Indes, le jeune voyageur s'enfonça dans les forêts et dans les solitudes du Nouveau-Monde. Il voyageait seul, portant son bagage sur le dos, couchant à la belle étoile, ou demandant l'hospitalité à la hutte des sauvages dont il étudiait les mœurs et le langage. C'est au milieu de ces immenses forêts, au bruit de cataractes, au sein de cette nature vierge et grandiose, qu'il sentit naître son génie ; c'est là qu'il recueillit les matériaux d'où devaient sortir
Atala, René, et les Natchez.
 
Un soir, dans une hutte de sauvages, où il avait demandé un abri, il lui tomba sous la main un fragment d'un journal anglais, qui lui apprit les malheurs de la France, la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes. Cet attentat devint pour lui la voix de l'honneur ; il abandonna aussitôt ses projets et ne songea plus qu'à revenir dans sa patrie, pour y combattre sous le drapeau des princes français.
Après deux ans de séjour au sein des forêts vierges et du Nouveau-Monde, Chateaubriand revint, en 1792, dans son pays natal qu'il retrouva couvert de sang et de ruines. À peine débarqué, il courut s'engager dans l'armée des émigrés qui le reçurent assez mal, lui reprochant son absence comme une faute. C'est l'épée à la main que le jeune chevalier dut revendiquer l'honneur de mourir pour la cause de son roi. Blessé d'un éclat d'obus au siège de Thionville, il fut relevé demi-mort sur la route par un soldat qui pansa ses blessures et l'emmena à Bruxelles. De là il s'embarqua pour l'île de Jersey, où une femme de pécheur lui prodigua des soins et lui sauva la vie par son dévouement.

Ne voulant pas rentrer en France, où la Révolution était toute puissante, et peu encouragé à rejoindre les émigrés qui continuaient à le regarder d'un mauvais œil, Chateaubriand se rendit à Londres, en 1795, et y souffrit toutes les privations de la pauvreté et même de l'indigence. Relégué dans un grenier, sans feu l'hiver et quelquefois sans pain, il écrivait dans quelques journaux pour se procurer de quoi vivre. C'est là, qu'au sein de la misère, il composa son premier ouvrage
Essai sur les Révolutions (1797), œuvre de jeune homme, mais qui trahit déjà un écrivain de génie. Cet ouvrage était écrit sous l'inspiration des idées de Jean-Jacques Rousseau, dont l'auteur partageait à cette époque le scepticisme en politique et en religion.
 
L’
Essai venait à peine de paraître, quand la mère de Chateaubriand, après avoir beaucoup souffert de la Révolution et langui dans les cachots, mourut dans la pauvreté en exprimant sa douleur de voir son fils parmi les ennemis de sa religion. Elle chargea en mourant une de ses filles de lui écrire pour le ramener aux croyances de sa jeunesse. Mais, lorsque la lettre parvint à Chateaubriand, sa sœur même n'existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Cette double épreuve fit sur le cœur du jeune homme une profonde impression et, à partir de ce jour, il se déclara pour le christianisme qu'il avait méconnu : « Ces deux voix, sorties du tombeau, m'ont frappé ; je suis devenu chrétien ; je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie du cœur ; j'ai pleuré et j'ai cru.» C'est sans doute déjà à cette époque qu'il conçut l'idée de son grand ouvrage, le Génie du Christianisme.
 
Sur ces entrefaites, Chateaubriand ayant appris que les
émigrés l'avaient banni de leurs rangs, n'hésita plus à rentrer dans sa patrie. Il y apportait avec lui deux épisodes, Atala et René tirés du Génie du Christianisme qu'il avait déjà publié en partie à Londres. La France se relevait peu à peu de ses ruines sous l'énergique main de Bonaparte. Les églises étaient rendues au culte, Chateaubriand voulut seconder l'œuvre glorieuse du premier Consul et essaya, de son côté, de ramener les esprits au christianisme en s'attachant à en faire ressortir la beauté et la poésie. Il publia d'abord Atala (1801). « Mon sort se décide demain, disait-il à ses amis la veille de la publication de ce livre ; demain je suis un pauvre diable ou je vais aux nues. » L'ouvrage excita une admiration universelle et commença la réputation littéraire du jeune écrivain. Il s'y montrait le digne émule de Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre. Comme eux, il avait un vif sentiment de la nature, et il les dépassait par la splendeur de ses descriptions. D'innombrables éditions, des traductions dans toutes les langues, popularisèrent en quelques mois le nom de Chateaubriand. Encouragé par ce succès, il publia le second épisode, René (1802). Dans l'histoire de ce jeune homme mélancolique et désabusé, qui cherche vainement partout la paix et le bonheur, il est facile de voir non seulement l'image de l'auteur, mais aussi celle de sa génération, tourmentée par les révolutions, avide de repos, de calme et de sécurité.
 
L'épisode d'
Atala avait préparé admirablement les esprits à recevoir le Génie du Christianisme, qui parut en 1802. Jamais ouvrage ne vint plus à propos. On était encore sous le coup des excès de la Révolution qui avait balayé, en même temps que l'ancien ordre social, toutes les croyances ; chacun soupirait après quelque chose de meilleur, les regards et les mains s'élevaient vers le ciel. Ce livre fut comme une réponse à ces vœux universels. Quand cette apologie poétique et éloquente de la religion chrétienne parut, elle produisit dans les esprits un grand soulagement. Napoléon, au moment de négocier le concordat avec Pie VII fut heureux de rencontrer un homme qui, en relevant le sentiment religieux, secondait indirectement ses desseins. Il apprécia le talent et le génie de l'illustre écrivain et se l'attacha en le nommant secrétaire d'ambassade : Chateaubriand suivit à Rome le cardinal Fesch, après la signature du Concordat.
 
Mais bientôt, lorsqu'il vit se dérouler tous les projets d'une politique tortueuse, il refusa d'en être le servile instrument, et, abandonnant, un emploi qui n'était pas compatible avec ses principes, il revint à Paris. Napoléon, qui connaissait son esprit aussi ambitieux qu'indépendant, parvint facilement à lui faire accepter les fonctions de ministre plénipotentiaire en République du Valais. À peine Chateaubriand était-il arrivé à son poste, qu'il apprit avec stupéfaction l'exécution du duc d'Enghien. Indigné, il donna sa démission. Cette fois, sa rupture avec l'empire fut complète. Vainement, à l'époque de son couronnement, l'Empereur essaya-t-il de gagner encore une fois l'auteur du
Génie du Christianisme, celui-ci repoussa toutes les avances. Ce refus persistant ne tarda pas à lui attirer d'incessantes persécutions.
 
Abandonnant la politique, Chateaubriand reprit ses travaux littéraires. C'est alors qu'il conçut le projet d'une épopée chrétienne où il voulait représenter le paganisme expirant aux prises avec la religion naissante. Il partit en 1806 pour visiter les lieux qui devaient être le théâtre de l'action, et parcourut la Grèce, l'Asie-Mineure, la Palestine, puis il revint en France par l'Afrique et l'Espagne. De retour, après un an d'absence, l'illustre voyageur alla s'enfermer dans une modeste retraite et composa
Les Martyrs (1809). Ce beau poème, incontestablement son chef-d'œuvre, est la peinture de l'Église chrétienne sous la persécution de Dioclétien.
Deux ans après
Les Martyrs, Chateaubriand publia Le Génie du Christianisme (1811), description de son voyage en Palestine. Cet ouvrage, un des plus remarquables de notre langue, brille autant par l'éclat du style que par l'intérêt du récit. L'auteur y raconte jour par jour ce qui lui est arrivé pendant son voyage et fait une description poétique des lieux qu'il a visités et des émotions qu'il a éprouvées.
Sa visite en Espagne et à l'Alhambra, lui inspira
Le Dernier des Abencérages (1826). Citons encore parmi les ouvrages de Chateaubriand, le livre les Natchez (1826) qui, malgré la date de sa publication, appartient à la jeunesse de l'auteur.

Tant de chefs-d'œuvre appelaient Chateaubriand à la première place vacante à l'Académie. Quoique Napoléon se rappelât encore sa conduite après l'exécution du duc d'Enghien, il le fit nommer néanmoins en remplacement de Marie-Joseph Chénier (1811). D'après les usages de l'Académie, le récipiendaire devait prononcer l'éloge de son prédécesseur. Or, il était à craindre que le discours du nouvel académicien ne fût, au lieu d'un éloge, une diatribe contre la Révolution en général, et, en particulier, contre Chénier qui avait voté la mort de Louis XVI. Ces craintes ne furent que trop réalisées : le discours, communiqué d'avance à une commission, fut jugé inadmissible. L'Empereur, qui en prit confidentiellement connaissance, en fut très irrité et il exila le nouvel académicien, dont le siège resta vacant pendant vingt-quatre ans.
 
Quand les revers fondirent sur l'empire, le poète devint un des ennemis les plus redoutables de Napoléon. Il rentra dans l'arène politique et mit sa plume et ses talents au service de la cause royale. Louis XVIII reconnaissait que son pamphlet
Bonaparte et les Bourbons (1814) lui avait valu une armée. Pendant les Cent jours, le pamphlétaire accompagna le roi dans sa fuite à Gand. Après Waterloo, Louis XVIII récompensa ses services en l'élevant à la dignité de ministre et de pair de France.
 
Mais son esprit indépendant et trop libéral l'éloigna bientôt du pouvoir Chateaubriand passa alors dans les rangs de l'opposition. Nous ne suivrons pas l'homme d'État dans sa carrière politique. Il nous suffit de savoir qu'il rentra au ministère et remplit les hautes fonctions d'ambassadeur de France, en Angleterre. Sous Charles X, il se rejeta dans l'opposition. Après la révolution de 1830, il aurait pu jouer un rôle important sous la Monarchie de juillet. Mais l'ancien serviteur de la branche aînée ne voulut jamais prêter serment à Louis-Philippe.
 
Retiré des affaires, il passa les dernières années de sa vie dans une profonde retraite auprès de son amie, Mme Récamier.
Parmi les derniers ouvrages de Chateaubriand, citons les
Études historiques, écrites dans les dix-huit mois qui suivirent la Révolution de 1830, la traduction à peu près littérale du Paradis perdu de Milton (1836) et la Vie de Rancé, le célèbre abbé de la Trappe.
 
Mais la principale occupation des loisirs de Chateaubriand, pendant plus de trente années, fut la composition de ses
Mémoires d’Outre-tombe, écrits entre 1811 et 1833, soigneusement revus depuis, et destinés à ne paraître qu'au bout d'un temps assez long pour éteindre ou affaiblir les intérêts et les passions qu'ils devaient nécessairement heurter. Pressé par des nécessités d'argent contre lesquelles l'écrivain grand seigneur n'avait jamais su se garantir, il s'était vu forcé, comme il dit «d'hypothéquer sa tombe» et, cédant à ses créanciers pour une somme importante assortie d’une rente viagère la propriété de son œuvre, il en laissait la publication posthume à leur discrétion, lui qui, toute sa vie, avait tant soigné sa gloire et choisi l'heure opportune pour chacun de ses écrits. Les Mémoire d'Outre-tombe, mis en commandite, parurent au pire moment et dans les conditions les plus défavorables. L'auteur était mort le 4 juillet 1848, au lendemain des journées de juin 1848, et ses restes étaient à peine transportés à Saint-Malo et déposés dans l'austère et solennelle sépulture qu'il s'était lui-même préparée, sur le rocher du Grand Bé, au milieu de l'océan, que la publication commençait dans le journal la Presse, découpée et éparpillée en feuilletons, avant d'être réunie en volumes (1849-1850). L'effet ne répondit pas à l'attente. On fut étonné de l'incohérence des idées et des sentiments, des contradictions des jugements, de l'absence ou de l'incertitude des principes, des inexactitudes involontaires ou calculées, des passions et des ressentiments survivant à la lutte. On fut, ou l'on feignit d'être surtout choqué de l'amour-propre excessif qui s'étalait à chaque page et semblait avoir étouffé tout autre sentiment. «Je lis les Mémoires d'Outre-tombe, dit George Sand dans une lettre citée par Sainte-Beuve, et je m'impatiente de tant de grandes poses et de draperies. L'âme y manque, et moi, qui ai tant aimé l'auteur, je me désole de ne pouvoir aimer l'homme. On ne sait pas s'il a jamais aimé quelque chose ou quelqu'un, tant son âme se fait vide d'affection.»
Malgré les sévérités des contemporains pour les prétentions et les injustices de Chateaubriand, la postérité qui en a pardonné bien d'autres, de Saint-Simon, à Jean-Jacques Rousseau, n'en verra pas moins, dans les
Mémoires d'Outre-tombe, une des sources les plus importantes de renseignements et d'appréciations sur les événements et les hommes d'une époque où l'auteur a tenu une si grande place. Ils achèvent de faire la lumière sur l'écrivain et son œuvre, ils nous laissent entrevoir ses relations avec Mmes de Staël, de Beaumont, de Duras et Récamier, avec Fontanes, Joubert, Ballanche, Carrel, Béranger, Lamennais, ils nous le montrent lui-même avec son génie composé des deux facultés les plus mobiles, l'imagination et la sensibilité, se prêtant à des influences contraires au milieu de la diversité des intérêts et des situations, suivant, au lieu de le diriger, le mouvement de transition morale et politique du siècle, imitant plus qu'il ne crée, et néanmoins résumant en lui, pour la France, la révolution littéraire du romantisme.
 
Enfin, du point de vue du style, Chateaubriand procède à la fois des grands écrivains classiques, comme Pascal, Bossuet et Voltaire, et des précurseurs du romantisme, Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. Mais il n’a rien d’un imitateur. Il faut distinguer en lui le peintre, qui a le don d’évoquer dans notre imagination les paysages les plus divers, le poète, qui note avec délicatesse et avec profondeur les mouvements et les élans du cœur, l’orateur, qui développe des idées générales au moyen de comparaisons et de métaphores, en d’amples périodes. Mais on oublie trop souvent un Chateaubriand vif et spirituel, au style énergique et concis, qui excelle à tracer des portraits. Aussi, bien que la manière de Chateaubriand sente un peu l’effort, bien qu’il abuse souvent de sa splendide imagination et de sa facilité oratoire, on peut dire qu’il n’existe pas de style plus grand ni plus varié dans la prose du XIXe siècle. Il a servi de modèle à tous : poètes qui n’ont eu qu’à rythmer et à rimer une prose déjà si musicale, historiens qui lui ont emprunté sa pittoresque précision, critiques, orateurs, romanciers. Il est leur initiateur et leur maître.
 
d’après Daniel Bonnefon, 
Les écrivains modernes de la France, 1880 ;
Gustave Vaperau,
Dictionnaire universel des littératures, 1876 ;
Charles-Marc Des Granges, 
Les Grands écrivains français des origines à nos jours, Librairie Hatier, 1900.