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Vie et œuvre d’Honoré de Balzac (1799-1850)


 
Honoré de Balzac, né à Tours le 20 mai 1799, se fit remarquer, dès l'âge le plus tendre, par sa nature rêveuse.
« A cinq ans, dit Vapereau, il lut les
Écritures et se perdit avec attrait dans leurs mystérieuses profondeurs. Tous les livres qui lui tombaient sous la main, il les dévorait en un clin d'œil. Souvent, dès l'aube du jour, il partait chargé de volumes, avec un morceau de pain dans sa poche et s'en allait au fond des bois où il lisait jusqu'à la nuit tombante. Il entra fort jeune au collège de Vendôme et continua à s'y livrer à sa passion pour la lecture ; il avait pour système de mériter le cachot et de s'y faire envoyer par ses professeurs, afin d'y lire plus à l'aise et sans dérangement. Doué d'une mémoire prodigieuse, il retenait tout, les lieux, les noms, les moindres choses, les figures. Bientôt Il en résulta pour cette jeune tête un phénomène inquiétant ; au milieu du chaos produit par une myriade d'idées, la raison parut tout à coup s'éclipser ; on dut suspendre pendant quelque temps ses études. »
 
Son père ayant obtenu un emploi lucratif à Paris, le jeune Honoré quitta la Touraine et entra dans un des pensionnats les plus en renom de la capitale, où il acheva ses études. A dix-huit ans, il avait déjà pris ses diplômes de bachelier et de licencié ès lettres et suivait simultanément les cours de l'école de droit, de la Sorbonne et du Collège de France. C'est dire qu'il n'avait pas encore de vocation déterminée. Son père aurait voulu en faire un notaire, mais il déclara net qu’il n’avait aucun goût pour la procédure et se prononça d'une manière catégorique pour les lettres : cette décision contraria vivement son père qui l’abandonna à ses propres ressources.
 
Jeté sans moyens d'existence sur le pavé de Paris, le jeune homme ne se laissa pas aller au découragement. Il s’installa dans une pauvre mansarde et se mit à écrire avec ardeur au milieu de privations de toutes sortes, Il s'essaya d'abord, mais sans succès, dans le genre dramatique. De 1820 à 1828, il publia quelques romans de médiocre valeur qui ne lui procurèrent pas même du pain. Une volonté moins robuste se fût découragée mille fois ; mais Balzac avait une confiance inébranlable dans son génie et il persévéra obstinément dans sa voie.
 
Par un suprême effort d'énergie, il résolut d'arriver à la fortune pour pouvoir attendre le succès. Il se lança dans des spéculations industrielles et se fit d'abord imprimeur. Il eut l'idée d'éditer en un seul volume les œuvres de Molière, puis celle de La Fontaine ; il comptait sur une vente rapide; malheureusement les libraires déprécièrent l'édition, qui tomba au rabais, et Balzac vit s'engloutir la somme qu'il avait empruntée à un ami pour commencer cette entreprise.
 
Déçu mais non découragé, l'écrivain reprit sa plume. Cette fois, il trouva son genre, et sa manière nouvelle le conduisit rapidement au succès.
Le dernier Chouan(1829), roman breton, fut remarqué, quoiqu'on y sentît encore l'imitation de Walter-Scott et de Cooper. Il devint surtout célèbre à partir de 1831 par la publication du roman intitulé la Peau de chagrin, œuvre qui classa l'auteur parmi les romanciers contemporains les plus en vogue.
 
Balzac était enfin arrivé à la gloire. Dès ce moment, il s'enferma dans sa chambre et passa les jours et nuits absorbé dans un labeur incessant. Vêtu d'une robe de dominicain, il avait la manie d'écrire même en plein jour, à la lueur d'une lampe. Il chassait le sommeil en buvant de l'essence de café. En moins de six années, il fit paraître plus de 60 volumes dont plusieurs sont des chefs-d'œuvre. Ce nombre paraît surtout extraordinaire quand on sait l'étrange manière de composer de Balzac. Lorsqu'il avait suffisamment médité un sujet, il traçait en quelques pages un canevas informe qu'il envoyait à l'imprimerie. Cette ébauche lui revenait sur des grandes feuilles dont il emplissait dans tous les sens les larges marges de corrections et d'additions. Les épreuves se multipliaient et le texte primitif ne tardait pas à disparaître sous les changements successifs. Les éditeurs refusaient de supporter les frais de ces interminables corrections qui naturellement ébréchaient les bénéfices de l'écrivain.
 
Si le succès lui donna la gloire, il fut loin de lui procurer la fortune ou de rembourser ses dettes faramineuses. Délaissant de nouveau la littérature, Balzac se creusa encore l'imagination pour découvrir une industrie capable de l'enrichir. Ayant lu dans Tacite que les Romains avaient exploité jadis en Sardaigne, des mines d'argent, il emprunta cinq cents francs et partit pour découvrir et continuer l'exploitation. Pendant la traversée, il communiqua son idée au capitaine du vaisseau, qui la trouva excellente, et lorsque, revenu à Paris avec du minerai contenant beaucoup d'argent, il demanda au gouvernement sarde l'autorisation d'exploiter, les mines de la Sardaigne, il apprit que le capitaine l’avait devancé et supplanté. Il fallut chercher un autre moyen de faire fortune. Il eut l’idée de cultiver des ananas. Le romancier oubliait seulement que ces fruits exotiques ne peuvent venir à maturité sous notre climat. Sa dernière fantaisie fut d'aller en Corse cultiver l'opium.
 
Après ces diverses tentatives infructueuses, Balzac revint à la littérature et se remit au travail avec une nouvelle énergie. Grâce à un riche mariage, il était enfin arrivé à la fortune, objet de tous ses rêves, lorsque la mort l'enleva prématurément aux lettres, en 1850, à l'âge de quarante-neuf ans.
 
Le but de Balzac, dans tous ses romans, a été de peindre la société, et il a donné à l'ensemble de ses récits le nom de
Comédie humaine. La société n'est en effet, à ses yeux, qu'un immense théâtre où chacun joue son rôle. Doué d'une grande finesse d'observation et d'un talent descriptif remarquable, il s'attache trop souvent aux plus petits détails, soit qu'il ait à décrire le monde extérieur, soit qu'il ait à peindre la vie de l'âme et le mouvement des passions. Il ne recule devant aucun tableau ; il se plaît dans la peinture du sensualisme le plus grossier. La passion de l'argent anime tous ses héros comme elle le dominait lui-même : acquérir, posséder pour jouir, tel est l'idéal qu'il place devant ses lecteurs : maxime fausse et immorale, mais qui devait singulièrement plaire à une société travaillée par la soif du bien-être et qui explique le succès du romancier auprès des masses.
 
La Comédie humaine
 
La Comédie humaine composée entre 1829 et 1850, est subdivisée en Scènes de la vie privée, Scènes de la vie de province, Scènes de la vie parisienne, Études philosophiques, etc.
Bien que ces romans ne soient pas les épisodes d'une seule histoire, Balzac y fait cependant revenir souvent les mêmes personnages. Parmi ses plus belles créations, il faut citer Grandet, l'avare ; le cousin Pons, le collectionneur fanatique ; Goriot, type renouvelé du père faible qui s'est dépouillé de tout pour ses enfants, et qui meurt sur un grabat ; César Birotteau, parfumeur, type du grand négociant de 1840 ; l'illustre Gaudissart, le commis voyageur ; Balthazar Claës, l'inventeur ; Mme de Mortsauf, la femme héroïque ; Mme de Nucingen, la grande dame vaniteuse et dépensière..., etc.
Tous ces personnages, Balzac semble les avoir vus, dans leur milieu propre, hôtel princier ou bouge infect, boulevard mondain ou ruelle sinistre, avec leur costume, leurs gestes ; ce n'est même pas du portrait, c'est de la photographie animée et colorée.
Il les a entendus parler, chacun avec son style, ce style, qui est « de l'homme même », ses locutions et images caractéristiques, son accent provincial ou étranger. Il nous reste, de la lecture de ses romans, le souvenir précis et comme l'obsession d'un certain nombre d'individus avec lesquels nous avons vécu ; et nous ne les oublierons pas.
Quand Balzac décrit, analyse, ou fait parler, il est excellent écrivain : on voit, on entend, ce n'est pas du Balzac, c'est la vie. Où il est moins bon, c'est lorsqu'il développe ses idées sociales, morales, littéraires, en son propre nom. Alors il s'embarrasse, il reste pris dans ses phrases, il fait de l'esprit ou de l'éloquence.
 
Méthode de Balzac
 
Il commençait à la façon non des artistes, mais des savants. Au lieu de peindre, il disséquait. Il n'entrait point du premier saut, et violemment, comme Shakespeare ou Saint-Simon, dans l'âme de ses personnages il tournait autour d'eux, patiemment, pesamment, en anatomiste, levant un muscle, puis un os, puis une veine, puis un nerf, n'arrivant au cerveau et au cœur qu'après avoir parcouru le cercle entier des organes et des fonctions.
Il décrivait la ville, ensuite la rue et la maison. Il expliquait la devanture, les trous de la pierre, la structure et les matériaux de la porte, la saillie des plinthes, la couleur des mousses, la rouille des barreaux, les cassures des vitres. Il disait la distribution des appartements, la forme des cheminées, la date des tentures, l'espèce et la place des meubles, puis il s'étendait sur les vêtements. Arrivé au personnage, il montrait la structure des mains, la cambrure de l'échine, la courbure du nez, l'épaisseur des os, la longueur du menton, la largeur des lèvres. Il comptait ses gestes, ses clignements d'yeux, ses verrues. Il savait ses origines, son éducation, son histoire, combien il avait en terres et en rentes, à quel cercle il allait, quels gens il voyait, ce qu'il dépensait, quels mets il mangeait, de quel cru étaient ses vins, qui avait formé sa cuisinière, bref, la multitude innombrable de toutes les circonstances infiniment ramifiées et entrecroisées qui viennent façonner et nuancer la surface et le fond de la nature et de la vie humaine. Il y avait en lui un archéologue, un architecte, un tapissier, un tailleur, une marchande à la toilette, un commissaire-priseur, un physiologiste et un notaire ces gens arrivaient tour à tour, chacun lisant son rapport, le plus détaillé du monde et le plus exact; l'artiste écoutait scrupuleusement, laborieusement, et son imagination ne prenait feu que lorsqu'il avait amoncelé en façon de foyer cet échafaudage infini de paperasses. Il le savait et le voulait. « Je suis, disait-il, un docteur des sciences sociales. » Il annonçait le projet d'écrire une histoire naturelle de l'homme; on a composé le catalogue des animaux il voulait faire l'inventaire des mœurs. Il l'a fait; l'histoire de l'art n'a point encore offert une idée aussi étrangère à l'art, ni une œuvre d'art aussi grande ; il a presque égalé l'immensité de son sujet par l'immensité de son érudition.
 
Chaque roman tient aux autres, les mêmes personnages reparaissent ; tout s'enchaîne ; c'est un drame à cent tableaux, chacun d'eux rappelle le reste. A chaque page vous embrassez toute la comédie humaine. C'est un paysage disposé de manière à être aperçu entier à chaque détour. Les personnages se lèvent dans votre imagination avec le cortège innombrable des circonstances où vous les avez connus ; vous revoyez d'un coup d'œil leur parenté, leur pays, les origines de leur caractère et de leur fortune. Jamais artiste n'a concentré tant de lumière sur le visage qu'il voulait peindre; jamais artiste n'a mieux paré à l'imperfection originelle de son art. Car le drame ou le roman isolé, ne comprenant qu'une histoire isolée, exprime mal la nature. Il ne découpe qu'un événement dans le vaste tissu des choses et supprime ainsi les attaches et les prolongements par lesquels cet événement se continue dans ses voisins parce qu'il choisit, il mutile, et il altère son modèle en le réduisant. C'est donc être exact que d'être grand : Balzac a saisi la vérité parce qu'il a saisi les ensembles sa puissance systématique a donné à ses peintures l'unité avec la force, avec l'intérêt la fidélité.
 
d’après D. Bonnefon,
Les écrivains modernes de la France, 1880 ;
Ch.-M. Des Granges,
Les grands écrivains français des origines à nos jours, 1861 ;
H. Taine,
Nouveaux essais de critiques et d’histoire, 1866.