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Voltaire, Sur les Pensées de Monsieur Pascal


Dossier sur Pascal ici


1. Contexte historique des Lettres philosophiques


En 1726, Voltaire « séjourne » à la Bastille, puis vit un exil de trois ans en Angleterre.
Il y découvre certains milieux, certaines sectes religieuses.
Entre 1728 et 1730, il écrit les « 
Lettres philosophiques », qui connaissent une édition clandestine.
Il se décide à y ajouter des
Notes sur les Pensées de Pascal.
Le livre est condamné, et mis à l’Index. Voltaire s’enfuit.


En réalité, les
Remarques sur les Pensées sont antérieures aux Lettres philosophiques (1728-1729). Voltaire a le projet de lutter contre Pascal, adversaire très important pour lui, bien antérieurement à sa découverte de l’Angleterre.


Voltaire s’affirme comme un « anti-Pascal », car il assimile religion et fanatisme.

Le lien entre les
Lettres philosophiques et la 25e Lettre, Contre Pascal, s’explique dans une perspective générale de lutte contre le fanatisme.


2. Pourquoi Voltaire a-t-il écrit la 25e Lettre?


Résumons la conception religieuse de Voltaire
:

a. Dieu s’impose par la raison.
b. Cette croyance favorise l’ordre social.
c. Les religions, fabrication de l’Homme, sont une entrave au bonheur.


Voltaire lutte contre le fanatisme
: contre le fanatisme intellectuel (représenté pour lui par Pascal), contre le fanatisme social, Voltaire prêche la tolérance.


En 1732, il écrit cette
épître dans laquelle il commence à attaquer Pascal: « ce dévot satirique », « qui enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes ».

Il considère Pascal comme un
génie, mais un génie qui hait l’Homme.


Voltaire veut « 
prendre le parti de l’humanité contre ce misanthrope sublime ». Il se veut, apparemment, objectif et sincère.
Pascal présente, selon lui, un danger contre la tolérance.

Entre les « sybarites » (jouisseurs) et les « fanatiques », la position de l’homme sage (Voltaire…) est intermédiaire, mais Voltaire se rapproche bien plus des Sybarites (voir son poème
Le Mondain).


3. Commentaire de quelques Pensées

Remarque N°6 de Voltaire
:

Pourquoi Pascal est-il si pessimiste
? L’Homme est-il si malheureux?
« 
Pourquoi nous faire horreur de notre être? » Le vocabulaire est très fort.
Voltaire se place du côté de l’homme sage.


(
voir davantage de détails plus bas)


Remarque N°23 de Voltaire
:

Pour Pascal, l’homme sans Dieu est malheureux. Le but de l’Homme est la contemplation de Dieu.
Voltaire trouve que l’homme qui se contemple doit se décider à l’action, qu’il est fait pour l’action.


Voltaire fausse le sens des
Pensées en les détachant de leur contexte.


4. Est-ce que Pascal est vraiment un pessimiste, un esprit chagrin?


Pascal est marqué par le Jansénisme. Il a voulu montrer la misère de l’Homme sans Dieu. Il a humilié l’Homme pour détruite l’orgueil des libertins (c’est-à-dire des athées).
La « misère de l’Homme sans Dieu » n’est qu’un tremplin vers la béatitude avec Dieu.
Pascal se place au plan métaphysique
: son but est le bonheur métaphysique.
Voltaire se place au plan de la raison
: son but est le bonheur matériel.


Voltaire croit en un Dieu transcendant donné par la Raison. Pour lui, le souverain bien est le
Progrès.
Pascal croit en un Dieu immanent, donné par la Foi seule. Pour lui, le souverain bien, c’est la
Grâce.


5. En résumé:

A. Voltaire fausse le sens de l’œuvre de Pascal avec mauvaise foi, détachant les
Pensées de leur contexte.


B. Il élimine de la pensée de Pascal tous les aspects qui pourraient le gêner. Il ne retient que l’aspect le plus pessimiste, le plus noir de Pascal.
Voltaire feint d’ignorer que la misère de l’Homme sans Dieu, chez Pascal, prépare la joie surnaturelle avec Dieu
: optimisme extraordinaire de Pascal!


C. Voltaire ne se place pas sur le même plan que Pascal
: Pascal pense métaphysique, Voltaire pense morale.
Pascal voit la destinée de l’Homme dans une perspective surnaturelle.
Voltaire cherche le bonheur de l’Homme sur la Terre.


Il est impossible de trancher entre les deux.
Les habiletés de Voltaire ne peuvent suffire à attaquer une philosophie aussi cohérente que celle de Pascal.


C’est le dialogue de deux esprits qui ne peuvent pas se rencontrer, comme Pascal et Montaigne. Un dialogue de sourds.
Leur conciliation est impossible.



Commentaire de la remarque 6


Texte intégral: ici


J’ai choisi avec discrétion quelques pensées de Pascal: j’ai mis les réponses au bas. Au reste, on ne peut trop répéter ici combien il serait absurde et cruel de faire une affaire de parti de cet examen des Pensées de Pascal: je n’ai de parti que la vérité; je pense qu’il est très vrai que ce n’est pas à la métaphysique de prouver la religion chrétienne, et que la raison est autant au-dessous de la foi que le fini est au-dessous de l’infini. Il ne s’agit ici que de raison, et c’est si peu de chose chez les hommes que cela ne vaut pas la peine de se fâcher. […]


VI.
En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature (10), et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il est venu y faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi, comme un homme (11) qu’on aurait emporté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir; et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état.


En lisant cette réflexion je reçois une lettre d’un de mes amis (1), qui demeure dans un pays fort éloigné.

Voici ses paroles
: « Je suis ici comme vous m’y avez laissé; ni plus gai, ni plus triste, ni plus riche, ni plus pauvre; jouissant d’une santé parfaite, ayant tout ce qui rend la vie agréable; sans amour, sans avarice, sans ambition, et sans envie; et tant que tout cela durera, je m’appellerai hardiment un homme très heureux. »

Il y a beaucoup d’hommes aussi heureux que lui. Il en est des hommes comme des animaux
: tel chien couche et mange avec sa maîtresse; tel autre tourne la broche, et est tout aussi content; tel autre devient enragé, et on le tue.

Pour moi, quand je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour entrer dans ce désespoir dont parle M. Pascal
; je vois une ville qui ne ressemble en rien à une île déserte, mais peuplée, opulente, policée, et où les hommes sont heureux autant que la nature humaine le comporte. Quel est l’homme sage qui sera plein de désespoir parce qu’il ne sait pas la nature de sa pensée, parce qu’il ne connaît que quelques attributs de la matière, parce que Dieu ne lui a pas révélé ses secrets? Il faudrait autant se désespérer de n’avoir pas quatre pieds et deux ailes. Pourquoi nous faire horreur de notre être? Notre existence n’est point si malheureuse qu’on veut nous le faire accroire. Regarder l’univers comme un cachot, et tous les hommes comme des criminels qu’on va exécuter, est l’idée d’un fanatique. Croire que le monde est un lieu de délices où l’on ne doit avoir que du plaisir, c’est la rêverie d’un sybarite. Penser que la terre, les hommes et les animaux, sont ce qu’ils doivent être dans l’ordre de la Providence, est, je crois, d’un homme sage.

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV.



Commentaire


(1) lettre réelle envoyée à Voltaire par le marchand Falkener.


- Réponse d’un homme à un auteur
: je prends le parti de l’humanité.

Le bonheur est fait de l’absence de malheur
: ataraxie.

Réponse très indirecte à Pascal
: Voltaire n’a pas saisi le sens de l’immense angoisse métaphysique de Pascal, ou alors il n’a pas voulu la comprendre.

- condition humaine comparée à la condition animale
: c’est une perfidie. L’ironie de Voltaire est très efficace: c’est une attaque profonde contre le Péché originel.

- conception plus positive du bonheur selon Voltaire
: fondée sur le progrès matériel.


Il faut souligner le côté étroit, terre-à-terre, de cette conception du bonheur, un côté assez intéressé
: n’y a-t-il pas des miséreux à Paris et à Londres? Cette conception du bonheur est assez étriquée, et fort égoïste.


- le style de Voltaire philosophe apparaît ici dès 1730, avec sa fameuse ironie
: « Il faudrait autant se désespérer de n’avoir pas quatre pieds et deux ailes. ».

phrases courtes, appel au concret, aux images volontiers humoristiques.

Voltaire sait prendre par mimétisme l’accent, la tournure de style de Pascal.


- assimilation contestable entre fanatisme et religion.

Il est à noter que Pascal a une plus grande descendance moderne que Voltaire. C’est lui qui continue à nous émouvoir, à exprimer nos angoisses, même si nous vivons plus ou moins selon l’idéal de Voltaire.


Ce texte est révélateur d’un moment de l’évolution de Voltaire (l’enthousiasme des années anglaises), et d’une constante voltairienne
: aucun effroi, aucune angoisse métaphysique dans ces idées claires.

Dès que l’on dépasse le stade d’un déisme intellectuel, Voltaire refuse de discuter.

Paul Valéry (plus voltairien que pascalien) écrit dans
Variété 1, p. 468 (Pléiade):

« 
Pascal a tourmenté Voltaire comme Montaigne a tourmenté Pascal »: le mot est fort, mais l’opposition est juste.


Tout au long de sa vie, Voltaire a considéré cette énigme insoluble que lui pose Pascal: un savant chrétien.