x
(null)

Giacomo Casanova (1725-1798) : biographie

casanova
Célèbre aventurier et écrivain politique, Casanova naquit à Venise, en 1725, et fit ses premières études à Padoue. Ses ancêtres se disaient originaires d’Espagne et de la maison Palafox. Mais, bien déchu de cette illustre origine, son père (Cajétan-Jean-Jacques) fut d’abord danseur, puis acteur, et il épousa la fille d’un cordonnier nommé Farusi. J.-J. Casanova, fut l’aîné de ses enfants. Ses progrès à l’université de Padoue furent assez rapides dans la langue latine ; il étudia aussi le droit, et, à l’âge de seize ans, il composa deux dissertations, l’une de Testamentis, l’autre Utrum Hebrœi possint construere novas synagogas ? Le patriarche de Venise auquel il fut présenté l’admit à la cléricature (1).

 
Les talents précoces de Casanova et les agréments de son esprit lui donnèrent accès dans les premières sociétés de Venise, où régnait alors un ton frivole et raffiné. Bientôt la vivacité de ses passions et la fougue de son caractère l’entraînèrent dans beaucoup d’aventures. Une suite de scandales et plusieurs intrigues amoureuses le firent chasser du séminaire, et il subit même un emprisonnement au fort Saint-André. Mais sa mère, alors actrice à Varsovie, au moyen de puissantes protections, finit par lui ouvrir la carrière des dignités ecclésiastiques.
 
Casanova, après un voyage dans les Abruzzes, trouva une place à Rome auprès du cardinal Acquaviva ; ce qui le mit en rapport avec le pape Benoît XIV et avec la société la plus brillante de Rome. La plus belle perspective s’ouvrait devant lui ; mais de nouvelles fredaines lui firent perdre son emploi. Il erra, attaché à une actrice ; et, l’Italie étant alors le théâtre de la guerre, il tomba dans un corps d’armée espagnol, puis dans un corps autrichien, et ne s’en tira qu’en entrant au service de Venise. Il se rendit d’abord comme officier d’infanterie en garnison à Corfou, et, à la faveur d’un congé, il fit le voyage de Constantinople ; là il se mit en rapport avec le fameux comte de Bonneval. Son congé expiré, il revient à Corfou, où après diverses aventures il retourna à Venise et quitta le service militaire.
 
À peine âgé de dix-huit ans, il avait vu Rome, Naples, Corfou, Constantinople ; et il avait déjà été tour à tour étudiant, docteur, publiciste, prédicateur, séminariste, abbé, diplomate, militaire et homme à bonnes fortunes. L’école du malheur ayant commencé de bonne heure pour Casanova, il se fit artiste dans sa détresse et s’attacha comme violon au théâtre de Venise. Ayant sauvé la vie par hasard du sénateur Bragadin, de la secte cabalistique, il devient son favori ; et, flattant sa manie, il feignit d’être initié dans les sciences occultes. Le sénateur l’adopta comme son fils et en fit son ami et son oracle ; mais, par suite de nouveaux écarts, Casanova fut encore forcé de quitter Venise, et, à travers de nouvelles aventures, il se rendit à Milan, à Mantoue, à Césène, à Parme et à Genève. Rentré à Venise, sous la protecteur du sénateur Bragadin, qui le regardait comme un élu du ciel, il y passa son temps dans les plaisirs et au jeu qui lui offrait des ressources.
 
Sans projet arrêté, il fit son premier voyage à Paris, où il séjourna d’abord quelque temps. Il a tracé de la société de cette ville, à cette époque, une peinture très animée et très curieuse dans ses
Mémoires dont nous aurons occasion de parler. De retour à Venise, il y reprit son train de vie ; mais, dénoncé secrètement, il fut enfermé en 1755 dans la fameuse prison des Plombs, d’où, après une détention remplie d’incidents, il s’échappa avec une hardiesse et une présence d’esprit admirables. Ici commence une nouvelle période de sa vie. En 1757, il se rend de nouveau à Paris et y est aussitôt en relation avec le cardinal de Bernis qu’il avait connu à Venise, et avec Favart, Jean-Jacques Rousseau, l’abbé de Boulogne (2), etc. Il fréquentait aussi la haute société, et il entra dans les affaires politiques, ce qui le mit en rapport avec le duc de Choiseul. Après un assez long séjour en France, il vint par Stuttgart à Zurich, Soleure, Berne, Lausanne. Là il fit connaissance avec Voltaire et avec le célèbre Haller. De la Suisse, traversant la Savoie, il se rendit par Grenoble à Avignon, Marseille, Toulon et Nice, et revint ensuite à Paris par Florence, Bologne et Turin. C’est à Florence qu’il rencontra Suwarow, dont la renommée n’était encore qu’en germe ; ses rapports avec ce guerrier fameux ne sont pas sans intérêt. Casanova ne pouvait se fixer nulle part ; il vivait tantôt à Paris, tantôt dans le midi de la France et de l’Allemagne, puis en Suisse et en Lombardie, jusqu’à ce qu’il parût vouloir adopter le séjour de Londres, où il commença une carrière brillante, mais qui finit d’une manière déplorable.
 
Il choisit d’abord pour nouvel asile le nord de l’Allemagne qui devint aussi le théâtre de ses aventures. Ses liaisons en Prusse avec le comte de Schwerin lui donnèrent occasion de se faire présenter au grand Frédéric. À Berlin, il eut des rapports d’intimité avec Calsiabigi, le même qui établit des loteries eu Prusse. Au moment où il était question de le faire instituteur de la maison des cadets, il quitta brusquement Berlin, se rendit à Riga et à Saint-Pétersbourg. Là il eut plusieurs audiences de l’impératrice Catherine. Il vint à Varsovie avec de grandes espérances pour son avenir ; mais sa fortune en Pologne s’évanouit à la suite de son fameux duel avec le noble polonais Branicki. De Varsovie il arriva à Dresde, et de là, par Prague, à Vienne ; mais on lui en interdit le séjour. Il se dirigea alors sur Munich et sur Augsbourg, puis sur Aix-la-Chapelle ; il se rendit ensuite aux eaux de Spa, où se réunissait la plus haute société de l’Europe. De Spa il vint encore à Paris, mais une lettre de cachet le força de quitter subitement cette capitale. Madrid devint alors le but de ses voyages ; il s’y trouva dans des rapports très curieux avec Mengs, le comte d’Aranda, le duc de Médina-Cœli et Olavidé ; mais toujours la même légèreté, la même inconséquence le forcèrent de quitter l’Espagne. Rentrant en France par Barcelone et Montpellier, il fit quelque séjour à Aix-en-Provence ; c’est là qu’il connut particulièrement le marquis d’Argens et le fameux Cagliostro, homme de la même trempe que lui. Casanova quitta Aix pour retourner à Rome et a Naples ; ses aventures amoureuses habituelles lui rendirent le séjour de ces deux villes plein d’agrément jusqu’à son départ pour Venise, sa ville natale.
 
Pour rentrer dans les bonnes grâces du gouvernement vénitien, il écrivit la réfutation de l’ouvrage d’Amelot de la Houssaye sur la constitution de Venise ; et en effet, il fut en quelque sorte réhabilité dans sa patrie en 1774, après avoir passé dix-huit ans à voyager. Il prétend avoir rendu depuis des services importants à la république de Venise ; ce furent incontestablement des services secrets. Après un séjour peu prolongé à Venise, il se rendit de nouveau à Paris en 1782, et c’est avec la relation de ce dernier séjour en France que finit le manuscrit de ses
Mémoires.
 
Un jour dînant à Paris chez l’ambassadeur de Venise, il y rencontra le comte Waldstein, seigneur de Bohême, descendant du célèbre Waldstein, l’un des héros de la guerre de Trente Ans. On parla de sciences occultes et de l’alchimie que Casanova connaissait à fond ; le comte Waldstein fut étonné de ses connaissances profondes, qui n’appartenaient qu’aux plus initiés. Il fit sur-le-champ à Casanova la proposition de venir habiter ses terres en Bohême, pour y travailler en commun. Casanova qui ne désirait plus que du repos et de la tranquillité accepta, vint en Bohême, y prit la direction de la bibliothèque du comte Waldstein au château de Dux, et se vouant à la littérature il entreprit la rédaction de ses
Mémoires.
 
On varie sur la date de la mort de Casanova ; les uns le font décéder en Bohême en 1799, d’autres assurent qu’il finit ses jours à Vienne en 1803. Nous adoptons cette dernière version. Mais comment se fait-il que cet homme très remarquable du XVIIIe siècle, dont la vie agitée embrassa la dernière moitié de ce même siècle, et qui, par divers ouvrages qui ne sont pas dépourvus de mérite, aurait dû figurer plutôt dans la république des lettres, comment se fait-il qu’il ait échappé inaperçu à nos biographies les plus récentes, et qu’en France, où son frère Casanova, peintre de batailles estimé, jouissait d’une grande réputation, il ne soit réellement connu lui-même que depuis 1825, époque où parut à Paris une traduction française des
Extraits des Mémoires de Casanova, publiés peu de temps auparavant en Allemagne, par M. G. de Schutz ? Et pourtant, dix-huit ans avant la publication de ces Extraits, le fameux prince de Ligne avait commencé la célébrité de Casanova. Excellent juge en matière d’esprit et de talent, il en parle en plusieurs endroits de ses écrits (3).
 
« Casanova, dit-il dans son
Mémoire sur le comte de Bonneval, était un homme de beaucoup d’esprit et d’une érudition profonde, connu par son fameux duel avec Branicki, grand général de Pologne, sa fuite des Plombs de Venise, et quantité d’ouvrages et d’aventures. » Et en note il ajoute : « Homme célèbre par et son esprit gai, prompt et subtil, ses ouvrages, l’érudition la plus profonde, et l’amitié de tous ceux ce qui le connaissent, etc. » Dans ses Mémoires sur les nouveaux Grecs, le prince cite sur Casanova le trait suivant : « Je n’estime pas ceux qui achètent la noblesse, dit un jour Joseph II à M. Casanova. » Et celui-ci, dont chaque mot est un trait et chaque pensée un livre, ajouta : « Et ceux qui la vendent, sire ? »
 
Nous emprunterons au même prince de Ligne quelques détails sur les dernières années de cet homme extraordinaire et bizarre, qui trouva le moyen de se faire valoir partout, et ne sut établir des relations solides nulle part. Voici comment le prince rend compte de sa liaison avec le comte Waldstein :
« Je crois que c’est alors (1781) qu’il vint à Paris pour la dernière fois. Mon neveu Waldstein prit du goût pour lui chez l’ambassadeur de Venise, où ils dînaient souvent ensemble, et lui proposa de l’accompagner en Bohème. Casanova, à bout d’argent, de voyages et d’aventures, y consent ; le voilà bibliothécaire d’un descendant du grand Waldstein. Il a passé en cette qualité les quatorze dernières années de sa vie au château de Dux, près de Tœplitz. J’eus occasion de l’y voir pendant six étés consécutifs, et il me rendit véritablement heureux par la vivacité de son imagination, qui était encore celle et d’un homme de vingt ans, et par sa profonde érudition. Qu’on ne croie pas cependant que, dans ce port de tranquillité que la bienfaisance du comte de Waldstein lui avait ouvert pour le préserver contre les tempêtes, il n’en ait pas cherché. Il n’y a pas de jour que, pour son café au lait ou son plat de macaroni, il n’ait eu quelque dispute dans la maison. Tantôt le cuisinier lui avait manqué la polenta, tantôt l’écuyer lui avait donné une mauvaise voiture pour venir me voir ; des chiens avaient aboyé pendant la nuit et troublé son sommeil ; le curé l’avait ennuyé en s’avisant de le vouloir convertir ; le comte ne lui avait pas dit bonjour le premier ; on lui avait par malice servi la soupe trop chaude ; il n’avait point été présenté à un homme de considération qui était venu voir la lance qui avait percé le grand Waldstein ; le comte avait prêté un livre de sa bibliothèque sans l’en prévenir ; un palefrenier ne lui avait pas ôté son chapeau en passant devant lui ; il avait parlé allemand, et on ne l’avait pas compris ; il avait montré de ses vers français, et on en avait fi ; il avait gesticulé en déclamant de ses vers italiens, et on en avait ri ; il avait mis son grand plumet blanc, son droguet de soie doré, sa veste de velours noir et ses jarretières à boucles de strass sur ses bas de soie à rouleau, et on en avait ri ; il avait fait la révérence en entrant dans le salon, comme Marcel, le fameux maître de danse, le lui avait appris quarante ans auparavant, et on en avait encore ri… Le moyen de résister à tant de persécutions ! Dieu lui ordonna un beau matin de quitter Dux. Sans y croire autant qu’à sa mort dont il ne doutait plus, il prétendait que chaque chose qu’il avait faite l’avait été par ordre de Dieu, et il ne démordait pas de cette idée. Dieu lui ordonne donc de me demander des lettres de recommandation pour le duc de Saxe-Weimar qui m’aime beaucoup, pour la duchesse de Saxe-Gotha qui ne me connaît pas, et pour les Juifs de Berlin. Il part en cachette, il laisse à Waldstein une lettre d’adieu tendre, fière, noble, mais irritée. Waldstein en rit et assure qu’il reviendra. On le fait attendre dans les antichambres ; on ne peut lui donner ni place de gouverneur ou de bibliothécaire, ni clé de chambellan. Il dit alors à tous ceux qui veulent l’entendre que les Allemands sont de brutes bêtes. L’excellent et très aimable duc de Saxe-Weimar le reçoit à merveille ; mais il ne tarde pas à devenir jaloux de Goethe et de Wieland, et à déclamer contre eux et la littérature du pays. Il en fait autant à Berlin contre l’ignorance, la superstition et la friponnerie des Hébreux auxquels je l’avais adressé, mais tire néanmoins, pour l’argent qu’ils lui prêtent, des lettres de change sur Waldstein qui ne fait qu’en rire, paie, et l’embrasse lorsqu’il revient à Dux. Alors Casanova lui dit en riant et en pleurant que c’est Dieu qui lui avait ordonné de faire ce voyage de six semaines, de partir sans l’en prévenir, et de revenir ensuite dans sa chambre de Dux. Enchanté de nous revoir, il nous raconte plaisamment toutes les contrariétés qu’il a éprouvées, et auxquelles sa susceptibilité donnait le nom d’humiliations. «Je suis fier, disait-il, parce que je ne suis rien.» Mais huit jours après son retour, que de nouveaux malheurs et de nouvelles tribulations !… Il passa ainsi cinq ans à s’agiter, se désoler, gémir, surtout de la conquête de son ingrate patrie par les Français ; à nous parler de la ligue de Cambrai, et de la gloire de son antique et superbe Venise qui avait résisté à l’Europe et à l’Asie. Son appétit diminuant tous les jours, il regretta la vie ; mais il finit noblement vis-à-vis de Dieu et des hommes. Il reçut avec recueillement les sacrements et dit : «Grand Dieu, et vous, témoins de ma mort, j’ai vécu en philosophe, mais je meurs en chrétien.» Que de choses dans ce peu de mots !… »
 
Grâce au prince de Ligne, on sait d’une manière positive que Casanova écrivit lui-même ses
Mémoires dans un âge avancé, à Dux en Bohême, chez le même comte de Waldstein, dans le château duquel il avait trouvé une douce retraite ; mais il est vrai aussi qu’il s’abstenait d’en parler, et qu’il gardait le plus profond secret sur leur contenu. Seulement, comme il avait beaucoup voyagé et vu le grand monde, il aimait à raconter, dans les cercles instruits et éclairés où il se trouvait, une partie de ses aventures, et il les racontait avec le charme d’une narration vive et piquante. Il paraît qu’ayant confié son manuscrit au comte de Waldstein, ce seigneur en fit un jour lecture dans la société du prince de Ligne, son oncle, qui en conserva une impression très vive et si durable qu’elle lui inspira un Fragment sur Casanova, qui figure dans le XVe volume de ses œuvres mêlées, imprimées à Vienne, fragment qui ne contient cependant que fort peu de passages des Mémoires, manuscrits qu’on désespérait de voir jamais mis au jour. Plusieurs seigneurs et des hommes de lettres distingués avaient fait de vains efforts pour en amener la publication. Le comte Marcolini, ministre d’État à Dresde, mort depuis dans cette capitale, offrit même une somme considérable aux héritiers de l’auteur, pour les engager à livrer ses Mémoires à l’impression. Tout fut alors inutile, et le prince de Ligne assure n’avoir publié son Fragment qu’afin d’arracher à l’oubli des souvenirs curieux et pleins d’intérêt, qu’on regardait comme perdus pour la postérité.
 
Casanova donna successivement deux titres à ses
Mémoires ; il les avait d’abord intitulés : Histoire de ma vie jusqu’en 1797, avec cette épigraphe : « Nequicquam sapit, qui sibi non sapit. » L’autre titre que voici était plus détaillé : Mémoires de Jean-Jacques Casanova de Seingalt, contenant ses voyages et ses aventures galantes et politiques en Italie, en France, en Espagne, en Angleterre, en Russie, en Pologne et en Allemagne. Ce dernier titre passe sous silence la Grèce, la Turquie et l’Archipel, pays que Casanova visita dans sa première jeunesse, et qui lui ont fourni une suite de narrations épisodiques aussi curieuses que piquantes. On en infère qu’il n’eut d’abord l’intention que de publier les épisodes de sa vie auxquels se rattachait un intérêt historique, et qu’il n’était pas encore décidé, quand la mort vint le surprendre, sur le choix de l’un des deux titres qui se trouvaient en tête de son manuscrit. Ce n’est que plus de vingt ans après sa mort que ses Mémoires ont été publiées en Allemagne par M. G. de Schutz, mais par fragments, par morceaux détachés, sous le titre de Mémoires du Vénitien Jean Casanova de Seingalt, extraits de ses manuscrits originaux. C’est sur cette publication allemande qu’a été donnée à Paris la traduction française de 1825 ;  mais ayant été faite sur un manuscrit tronqué et mutilé, elle manque de liaison, et ôte par conséquent aux Mémoires de Casanova leur plus grand mérite, l’unité d’action qui en fait une sorte d’Odyssée. D’un autre côté, cette édition, qui n’est littéralement qu’une traduction de l’édition allemande, contient de si nombreuses suppressions de l’original qu’on ne peut la considérer autrement que comme un recueil de fragments qui omettent les situations les plus intéressantes de la vie singulière du héros de ces Mémoires.
 
Le manuscrit original et autographe qui est écrit en langue française était bien plus étendu : il se compose de six cents feuilles, divisées soigneusement en dix volumes, et ceux-ci en chapitres ; le tout comprenant environ quarante années de la vie de l’auteur, depuis sa tendre jeunesse jusqu’au-delà de son âge mûr. C’est sur le texte même du manuscrit, connu enfin en Allemagne, qu’a été commencée en 1830 la nouvelle édition française qui forme aujourd’hui 8 v. in-8°. Il en existe une édition en 14 vol. in-12. La seule chose que se soient permise les nouveaux éditeurs, c’est la révision sévère du manuscrit sous un double point de vue. D’abord Casanova a écrit dans une langue qui n’était pas la sienne, et il a écrit comme il a senti, sans circonlocution, sans périphrases ; l’original par conséquent, tel que l’auteur l’a laissé, fourmille de fautes de grammaire, d’italianismes et de latinismes. Les nouveaux éditeurs ont fait disparaître toutes ces taches sans rien altérer de l’originalité du plan et de la contexture du livre. D’un autre côté, il leur a fallu se mettre en garde contre le cynisme quelquefois effronté de l’écrivain, et par conséquent élaguer les expressions, les images de mauvais goût, mais sans ôter aux situations et aux tableaux rien autre chose que leur peinture trop libre, sans rien dérober au piquant de la narration, car on peut dire que Casanova a peint avec autant d’énergie que de vérité l’état des mœurs de la société dans tous les pays qu’il a parcourus. Ce qu’il raconte il l’a presque toujours vu de ses propres yeux ; et c’est ainsi qu’il donne sur une époque, riche en personnages remarquables, une foule de traits caractéristiques et individuels pris dans toutes les classes de la société contemporaine.
 
 Notes :
(1) Il ne paraît pas qu’il ait été prêtre : on voit même plus bas qu’il fut chassé du séminaire.
(2) Ce n’est pas de l’évêque de Troyes qu’il s’agit ici, puisqu’il était à peine né, mais probablement de l’abbé de Voisenon, que ses amis appelaient quelquefois en plaisantant
« évêque du bois de Boulogne ».
(3) Œuvres mêlées en prose et en vers, édition de Vienne, 1807.
 

Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne
: Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, Supplément de 1836, tome 60.