Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696)


Sévigné
Madame de Sévigné (1626-1694)


Mme de Sévigné devait faire oublier Balzac et Voiture, et devenir, en produisant des chefs-d'œuvre, l'écrivain modèle du genre épistolaire.

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, naquit à Paris, en 1626, d'une des plus anciennes familles de Bourgogne. Elle n'avait que cinq ans lorsqu'elle perdit son père, qui fut tué en défendant l’Île de Ré contre les Anglais. C'était un homme d'une bravoure qui n'était égalée que par sa fureur pour les duels. On raconte qu'un jour de Pâques, il quitta la Sainte Table, où il venait de communier avec sa famille, pour aller sur le terrain. Ayant appris que les Anglais devaient faire une descente pour secourir La Rochelle, assiégée par Richelieu, il courut offrir ses services au gouverneur de l'île de Ré, demanda le poste le plus périlleux et fut tué en faisant des prodiges de valeur. Sa femme ne lui survécut que peu de temps.

La jeune Marie, seule enfant issue de ce mariage, se trouva ainsi orpheline de bonne heure. Elle fut mise sous la tutelle de son oncle maternel, l'abbé de Coulanges, qui possédait une abbaye à quatre lieues de Paris. L'abbé de Coulanges ne négligea rien pour lui donner une solide éducation. Elle eut pour précepteurs Ménage et Chapelain, mauvais poètes, mais littérateurs érudits qui lui apprirent le latin, l'italien et l'espagnol.
Après avoir soigné l'enfance et la jeunesse de sa nièce, l'abbé de Coulanges la dirigea comme femme et lui laissa, en mourant, toute sa fortune. Marie de Rabutin fit le charme et le bonheur de cet excellent oncle qu'elle appelle, dans ses lettres, le « Bien bon ».

Elle parut très jeune à la cour où elle fut recherchée pour son esprit, sa fortune considérable et l'éclat d'une physionomie plus gracieuse que belle. De nombreux partis se présentèrent ; elle donna la préférence au jeune marquis Henri de Sévigné, fils d'une des premières familles de Bretagne,
parent du cardinal de Retz, et dont la mère était amie intime de l'abbé de Coulanges. Elle avait dix-huit ans. Son bonheur fut de courte durée ; le marquis de Sévigné avait de graves défauts ; il ruina sa femme, et, pour une querelle de jeu, il se battit en 1651 avec le chevalier d’Albret, qui le tua à l’âge de vingt-sept ans, après sept ans de mariage. De ce mariage étaient nés deux enfants : Françoise-Marguerite et Charles.
Mme de Sévigné, quoique jeune encore, ne songea pas à contracter une nouvelle union ; elle se retira du monde pour se consacrer tout entière à l'éducation de ses deux enfants et au soin de rétablir sa fortune, compromise par les folles dépenses de son mari.

Mme de Sévigné se retira pendant trois ans à la campagne, aux Rochers, près de Vitré en Bretagne. Elle remit de l’ordre dans sa fortune, grâce aux conseils du « Bien bon » ; elle reparut dans le monde et devint le plus bel ornement de l'hôtel de Rambouillet ; là, entourée d'adorateurs, objet des attentions de Turenne et de Condé, elle garda tout son amour pour sa jeune famille. Vivement touchée de la disgrâce de Fouquet, elle lui resta fidèle avec La Fontaine et Pellisson ; elle eut le courage de le plaindre et de l'admirer, quand les amis même de Fouquet osaient à peine le nommer et se souvenir de lui.

Mais c'est par sa correspondance avec sa fille que Mme de Sévigné s'est surtout fait un nom immortel. Après l'avoir vue quelques années briller dans le monde, elle la maria au comte de Grignan, deux fois veuf, chef d'une des premières familles de Provence. Elle se réjouissait de ce mariage, qui lui faisait attendre pour sa fille une haute fortune et lui faisait espérer de la garder près d'elle.
Mais quinze ou seize mois après, M. de Grignan fut nommé lieutenant-général de Provence, et sa femme dut le rejoindre ; cette séparation fut un coup terrible pour Madame de Sévigné, qui aimait sa fille avec idolâtrie.
Elle chercha un dédommagement à son absence dans une active correspondance, et écrivit ces lettres si pleines de sensibilité et d'enjouement, justement admirées comme le modèle du genre.
Cette séparation fut douloureuse. Et nous devons à cette circonstance et à ce sentiment un peu outré la plus grande et la plus vivante partie des lettres de la marquise. D’ailleurs, elle n’aimait pas moins son fils, Charles de Sévigné, doué d’un cœur plus ouvert et d’un tempérament plus expansif que Mme de Grignan. Charles fut brave soldat, prit part à plusieurs campagnes, et finit par se retirer en Bretagne. Mme de Grignan eut trois enfants : Marie-Blanche, que Mme de Sévigné appelle « ses petites entrailles », et qu’elle garda chez elle, à Paris, pendant trois ans ; on la sacrifia aux intérêts des deux autres enfants, en la mettant, dès l’âge de six ans, au couvent de la Visitation d’Aix, d’où elle ne sortit plus ; Pauline, dont il est si souvent question dans les Lettres, et qui devint Mme de Simiane ; et Louis-Provence, le petit marquis, qui fut bon officier, et à qui sa mère fit épouser, en 1694, la fille d’un fermier général… « Il faut bien fumer ses terres. »

C'est donc pour distraire sa fille, qui s'ennuyait au milieu des fêtes et des tracasseries de la société provençale que Mme de Sévigné entreprend de transposer Paris et Versailles à Aix. Elle lui écrit tous les jours pour la tenir au courant de tout ce qui pouvait l'intéresser ; mais surtout elle lui parlait de ses sentiments : l'amour maternel, avec toutes ses nuances, tantôt exalté, tantôt inquiet, tantôt désolé, tantôt joyeux.
Mais ces lettres constituent également un témoignage de premier ordre sur les temps de Mme de Sévigné, la société et la cour de Louis XIV.

« 
Ah ! mon enfant, lui disait-elle, je voudrais bien vous voir un peu, vous entendre, vous embrasser, vous voir passer, si c'est trop demander que le reste ! Cette séparation me fait une douleur au cœur et à l'âme que je sens comme un mal du corps. J'ai beau tourner, j'ai beau chercher, cette chère enfant que j'aime avec tant de passion est à deux cents lieues de moi : je ne l'ai plus ; sur cela je pleure sans pouvoir m'en empêcher… Je vous prie de ne point parler de mes faiblesses ; mais vous devez les aimer et respecter mes larmes, puisqu'elles viennent d'un cœur tout à vous. »

Quelques critiques ont pensé que la passion de Mme de Sévigné pour sa fille était imaginaire et comme un moyen de remplir ses lettres ; mais il est impossible qu'une telle affection ait pu être jouée pendant vingt ans et exprimée avec des sentiments si naturels. Il faut cependant avouer que cet amour dépassait les bornes et qu'il était poussé jusqu'à l'égoïsme. Mme de Grignan était loin d'avoir tous les mérites que lui reconnaissait sa mère. C'était une femme d'une belle intelligence, qui avait étudié Descartes, mais précieuse et maniérée ; ses lettres sont bien écrites, toutefois on n’y trouve pas l'abandon qui fait le charme de celles de sa mère.
Mme de Sévigné eut le bonheur de revoir plusieurs fois sa fille chérie, soit à Paris, soit en Provence. C'est pendant une visite chez Mme de Grignan qu'elle fut tout à coup atteinte de la petite vérole. Dès les premiers jours, elle comprit la gravité de son état et se prépara à la mort ; elle expira le 10 avril 1696, à l'âge de soixante-dix ans.

Les Lettres de Mme de Sévigné ne furent publiées que plusieurs années après sa mort, censurées par sa petite-fille Mme de Simiane. Rien de plus naturel et de plus simple que cette correspondance remplie d'anecdotes intéressantes ; Mme de Sévigné y reproduit la société qu'elle fréquentait, où l'on trouvait de la grâce décente, un peu de méchanceté, de l'esprit critique et assez de petitesse. Son imagination active et mobile lui faisait trouver des traits de la plus grande éloquence. Rien n'est égal à la naïveté de ses tournures, au bonheur de ses expressions ; elle peint comme elle voit, et l'on croit voir ce qu'elle peint.

 

d’après Charles-Marc Des Granges, Les Grands écrivains français des origines à nos jours, Librairie Hatier, 1900 et d’autres sources.