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Les idées religieuses et politiques d’Érasme
dans
L’Éloge de la Folie (1511)


Érasme, le premier en date, avait déjà dit tout ce que l’on pouvait dire sur ces sujets ; Rabelais a repris en partie les questions traitées par Érasmei. Mais ce dernier avait écrit en latin, et sur un ton sérieux (même quand il plaisantait) ; alors que Rabelais a écrit pour la vaste foule, en faisant rire ses lecteurs.
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La religion

Critique de la crédulité, de la superstition, des pratiques formalistes de tous ceux qui aiment les contes sur les miracles, les revenants :

« 
Plus le fait est invraisemblable, plus ils s’empressent d’y croire ».

  • - ceux qui croient que l’image de saint Christophe les empêche de mourir dans la journée, que sainte Barbe les fait revenir de la guerre, que saint Érasme (ou saint Elme) les aide à faire fortune (Érasme s’amuse à ce rappel !) ;

  • - ceux qui croient à saint Georges et à son dragon ;

  • - ceux qui « se flattent d’obtenir par des crimes des pardons imaginaires » ;

  • - ceux qui croient aux formules magiques « pour obtenir un siège au paradis auprès du Christ » ;

  • - ceux qui croient par quelques aumônes se faire pardonner leurs rapines ;

  • - ceux qui croient obtenir leur salut « en récitant quotidiennement sept petits versets du saint psautier » (et « ce ne sont pas seulement le vulgaire qui les approuve, ce sont aussi des professeurs de religion ») ;

  • - ceux qui croient à un saint particulier pour protéger leur pays, pour guérir du mal de dents, pour délivrer les femmes en couches, pour retrouver les objets volés, ou qui attribuent à la « Vierge » tous les pouvoirs, « presque plus qu’à son Fils » (EL, 40) ;

  • - ceux qui placent des ex-voto dans les églises (EL, 41) ;

  • - ceux qui rendent un culte « à quelque saint un peu fabuleux et poétique, comme saint Georges, sainte Barbe ou saint Christophe (redite), plutôt qu’à saint Pierre, saint Paul, ou même le Christ » (EL, 45) ;

  • - ceux qui « présentent à la Vierge, en plein jour, un petit cierge qui ne lui sert de rien » (EL, 47) ;

  • - ceux qui « pour aller à Jérusalem, Rome, ou bien chez saint Jacques [de Compostelle], où rien ne les appelle, plantent là maison, femme et enfants » (EL, 48) ;

  • - ceux qui croient que la seule pratique du jeûne suffit sans un « retranchement de passion » ;

  • - ceux qui ignorent que l’extérieur des cérémonies (la messe) ne vaut que si l’on y ajoute un élément spirituel.

Critique des théologiens vaniteux, dangereux, stupides et sacrilèges : « race étonnamment sourcilleuse et irritable… qui me dénonceraient sans délai comme hérétique »… « munis de tant de faux-fuyants… de distinctions… »

« 
Ils expliquent à leur manière les arcanes des mystères ; comment le monde a été créé et distribué, par quels canaux la tache du péché s’est répandue sur la postérité d’Adam, par quel moyen, dans quelle mesure et à quel instant le Christ a été achevé dans le sein de sa mère, de quelle façon, dans le sacrement, les accidents subsistent sans la matière,… si les hommes après la résurrection, pourront manger et boire,… innombrables sont leurs subtiles âneries ».

Et innombrables sont les écoles scolastiques, « 
réalistes, nominalistes, thomistes, albertistes, ocamistes, et tant d’écoles, dont je ne nomme que les principales… »

« 
Les réponses des apôtres eussent été beaucoup moins subtiles… ils adoraient certes, mais en esprit… Les apôtres nomment la Grâce, mais jamais ils ne distinguent la Grâce donnée gratuitement de la Grâce gratifiante… Les apôtres détestent le péché, mais ce que nous appelons le péché, que je meure s’ils ont su en donner une définition scientifique… »

« 
Les théologiens instruits aux bonnes lettres regardent comme exécrable et presque sacrilège, et d’une suprême impiété, de traiter si irrévérencieusement des choses saintes, qui appellent l’adoration plutôt que l’explication… »

Quant à eux « 
absorbés dans leurs aimables bouffonneries, ils n’ont même pas le temps de temps de feuilleter une fois l’Évangile ou les épîtres de saint Paul » (EL, 53)

« 
Ils détachent d’un contexte, ici et là, quelques petits mots, dont ils altèrent le sens pour l’accommoder à leurs raisonnements… Le Christ poursuit sans relâche les pharisiens, les scribes et les docteurs de la Loi ».

Critique des moines, fort attachés au monde pour des solitaires (« Personne ne circule davantage que ces prétendus solitaires universellement exécrés »), ignorants de la religion (« Ils chantent des psaumes sans les comprendre… ils introduisent dans leurs sermons des plaisanteries inférieures à celle de charlatans de la foire ».), divisés en ordres multiples (« comme s’il ne suffisait pas de se nommer chrétiens »), plus respectueux de la discipline extérieure de ces ordres que « de la loi de charité du Christ », et enfin dangereux « parce qu’ils détiennent les secrets de tous par ce qu’ils appellent les confessions » (EL, 54).

Critique des papes, des cardinaux et des évêques, qui ont oublié la doctrine du Christ : pauvreté, amour du prochain, mépris de la vie pour rechercher l’argent, les honneurs, les plaisirs :

« 
Celui qui emploie toutes ses ressources à acheter cette dignité (la papauté) ne doit-il pas la défendre ensuite par le fer, le poison, la violence ? »

« 
Tant de richesses, d’honneurs, de trophées, d’offices, dispenses, impôts, indulgences, tant de chevaux, de mules, de gardes, et tant de plaisirs »… à la place des « veilles, jeûnes, larmes, oraisons, sermons, étude, pénitence, et mille incommodités fâcheuses… ».

« 
Tant de sculpteurs, de copistes, de notaires, d’avocats, de promoteurs, de secrétaires, de muletiers, de palefreniers, de maîtres d’hôtel, d’entremetteurs… qui seraient, si on revenait aux principes du Christ, ramenés au bâton et à la besace… ».

« 
Les Souverains pontifes abandonnent la partie laborieuse de leurs fonctions à saint Pierre ou à saint Paul, qui ont des loisirs »…

« 
Ils croient donner assez au Christ, s’ils se montrent dans leur pompe rituelle et presque théâtrale… ».

« 
Faire des miracles est un vieil usage désuet…, enseigner les peuples est fatigant, l’interprétation de l’Écriture sainte appartient aux écoles, prier est oiseux, vivre pauvrement fait mépriser, subir la défaite est une honte indigne de celui qui admet à peine les plus grands rois à baiser ses pieds, mourir enfin est une chose dure, et, sur la croix, ce serait infamant… ».

« 
Ils sont fort enclins à prodiguer les interdits, suspensions, aggravations, anathèmes, peintures vengeresses, et cette foudre terrible qui leur fait d’un seul geste précipiter les âmes au-dessous même du Tartare… Ils ne frappent jamais si fort que sur ceux qui, à l’instigation du diable, tentent d’amoindrir le patrimoine de saint Pierre… ».

« 
Comme si les plus pernicieux ennemis de l’Église n’étaient pas les pontifes impies, qui font oublier le Christ par leur silence, l’enchaînent dans les lois de trafic, dénaturent son enseignement par des interprétations forcées et l’assassinent par leur conduite scandaleuse… ».

« La guerre est une impiété qui n’a rien de commun avec le Christ… Les papes négligent tout pour en faire leur occupation principale » (EL, 59).

« 
Ont-ils donné l’exemple, ou suivi ceux des évêques d’Allemagne … ceux qui font les satrapes ? »

« 
Le commun des prêtres … combattent en véritables soldats pour la défense de leurs dîmes… »

« 
Les papes, si diligents moissonneurs d’argent, renvoient les travaux apostoliques aux évêques, ceux-ci aux curés, ceux-là aux vicaires ; les vicaires aux frères mendiants, et ces derniers s’en débarrassent sur ceux qui savent tondre la laine des brebis » (EL, 60).


En somme, dans cette critique, faite par un prêtre, de la crédulité, de la superstition, du formalisme, de la théologie abusive, intolérante et sacrilège, des mœurs du clergé, moines, curés, évêques, cardinaux ou papes, toutes les attaques que les protestants formuleront plus tard contre le catholicisme (voir le tableau chronologique), et plus tard Pascal contre les Jésuites, et les philosophes du XVIIIe siècle contre la religion.


La politique


Critique des princes qui ne remplissent pas leurs devoirs difficiles :

« 
Personne ne voudrait payer la couronne au prix d’un parjure ou d’un parricide, si l’on réfléchissait au poids du fardeau que s’impose celui qui veut vraiment gouverner. Dès qu’il a pris le pouvoir, il ne doit plus penser qu’aux affaires publiques et non aux siennes, ne viser qu’au bien général, ne pas s’écarter d’un pouce de l’observation des lois…, exiger l’intégrité de chacun dans l’administration et les magistratures… Ses moindres défaillances répandent le mauvais exemple universel.

Favorisé par la fortune, il est entouré de toutes les séductions ; parmi les plaisirs, l’indépendance, l’adulation, le luxe, il a bien des efforts à faire pour ne pas se tromper sur son devoir… ».

« 
Les princes laissent aux dieux l’arrangement des affaires, mènent une vie de mollesse et ne veulent écouter que ceux qui savent leur parler agréablement… Ils croient remplir pleinement la fonction royale, s’ils vont assidûment à la chasse, entretiennent de beaux chevaux, trafiquent à leur gré des magistratures et des commandements, inventent chaque jour de nouvelles manières de faire absorber par le fisc la fortune des citoyens, découvrant des prétextes habiles qui couvriront d’un semblant de justice la pire iniquité. Ils y joignent, pour se les attacher, quelques flatteries aux masses populaires… ».

« 
Le prince, tel qu’il est fréquemment, ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n’envisage que le sien ; il s’adonne aux plaisirs, hait le savoir, l’indépendance et la vérité … »(EL, 55)


Critique des gens de cour, serviles, débauchés et vains :

« Il n’y a rien de plus rampant, de plus servile, de plus sot, de plus vil… et ils n’en prétendent pas moins au premier rang partout… Ils sont satisfaits de mettre sur leur corne l’or, les pierreries, la pourpre et les divers emblèmes des vertus et de la sagesse… Tout leur bonheur est d’avoir le droit d’appeler le roi Sire… »

« 
Ils dorment jusqu’à midi. Un petit prêtre à leurs gages leur expédie une messe hâtive… Sitôt le déjeuner fini, le dîner les appelle. Puis ce sont les dés, les échecs, les devins, les bouffons, les filles, les amusements et les bavardages… Les grands jouent des coudes à l’envi, pour se faire voir plus rapprochés de Jupiter, n’aspirant qu’à balancer à leur cou une chaîne plus lourde » (EL, 6).

Critique sans réserve de la guerre, plus particulièrement blâmable quand les princes de l’Église la font pour défendre leur pouvoir temporel, et le commun des prêtres pour la défense de leurs dîmes :

« 
Ils [les papes] érigent en patrimoine des terres, des villes, des tributs, des péages, tout un royaume. Pour conserver tout cela… ils combattent par le fer et par le feu, et font couler des flots de sang chrétien… »

« 
La guerre est chose si féroce qu’elle est faite pour les bêtes et non pour les hommes ; c’est une démence envoyée par les Furies…, une peste qui détruit les mœurs partout où elle passe, une injustice, puisque les pires bandits sont d’habitude les meilleurs guerriers, une impiété qui n’a rien de commun avec le Christ. Les papes cependant négligent tout pour faire leur occupation principale. On voit parmi eux des vieillards décrépits y porter l’ardeur de la jeunesse, jeter l’argent, braver la fatigue, ne reculer devant rien pour mettre sens dessus dessous les lois, la religion, la paix, l’humanité tout entière… » (EL, 59).

« 
Le commun des prêtres… combattent en véritables soldats pour la défense de leurs dîmes : épées, javelots, frondes, toute espèce d’armes leur convient… » (EL, 60).

En somme, Érasme, qui a approché les princes, non seulement les papes, mais les rois (il a été précepteur d’un des fils du roi d’Écosse Jacques IV et il écrira plus tard
L’Institution d’un prince pour Charles-Quint, dont il sera un conseiller) ; il condamne sans réserve la guerre, la plus importante occupation des rois, flétrit les courtisans, et en dressant le portrait antithétique du bon et du mauvais prince, est à l’avance un anti-Machiavel.

La société



Nous avons vu qu’Érasme ne parlait guère des nobles et des membres du clergé que pour souligner la
recherche des vains honneurs chez les uns et le goût de l’argent chez les autres. Il ne parle du peuple que pour souligner sa crédulité :

« 
Plus le fait est invraisemblable, plus il s’empresse d’y croire » (EL, 40), ou la vanité de sa vie :

« 
une foule de moucherons, qui se battent, luttent, se volent, jouent, naissent, tombent et meurent » (EL, 48).

Il parle plus longuement des métiers :

  • - des marchands qui « mentent à qui mieux mieux, volent, fraudent, se parjurent » et qui sont admirés par les « moinillons » qui espèrent s’approprier une part de leur argent mal acquis, affirmation qu’il répète par deux fois (EL, 48, 54) ;

  • - des médecins qui réussissent d’autant mieux qu’ils sont ignorants et flatteurs (EL, 33) ;

  • - des hommes de loi, qui engagent les plaideurs dans des procès sans fin, et qui « amoncellent des textes de loi sur des sujets auxquels elles n’ont que faire » (EL, 48, 51) ;

  • - des hommes de lettres, des poètes appliqués à « séduire l’oreille des fous par des choses de rien et des fables parfaitement ridicules », des écrivains « qui griffonnent sur le papier de pures balivernes…, ajoutent, retranchent, changent, abandonnent, reforgent, consultent sur leur travail, le gardent neuf ans et ne s’en satisfont jamais…, que peu de gens dans l’univers sont capables de comprendre…, qui recueillent d’autant plus d’applaudissements que leurs futilités sont plus futiles… » et qui enfin n’hésitent pas à tirer profit de leurs plagiats ;

  • - des rhéteurs, dont Érasme ne semble d’ailleurs pas comprendre qu’ils n’ont plus de rôle à jouer sous des régimes absolutistes, mais dont il tourne en dérision les vaines occupations comme « d’écrire avec sérieux sur l’art de plaisanter » (EL, 50) ;

  • - des philosophes, « respectables par la barbe et le marteau … qui se déclarent les seuls sages…, édifient des mondes innombrables… qui ne savent rien et prétendent tout savoir » (EL, 52) ;

  • - des professeurs enfin, c’est-à-dire des grammairiens « race calamiteuse, famélique, sordide… vieillissant dans le surmenage, assourdis de cris… ayant l’illusion de se croire les premiers des hommes, lorsqu’ils terrifient du regard et de la voix une classe tremblante et s’abandonnent à toutes les formes de la colère avec la férule, les verges et le fouet…, orgueilleux de leur savoir…, fiers de quelques parchemins pourris… ou d’un fragment d’inscription… ils distribuent entre eux les admirations et les louanges… et quelle tragédie pour un lapsus… Incapables de définir les huit parties du discours… Il y a autant de grammaires que de grammairiens… » (EL, 49).


Dans une société ainsi desséchée, le tableau des mœurs manque quelque peu d’ampleur et de précision. Toutefois, comme la Folie donne aux passions le pas sur la raison (« 
La sagesse consiste à se faire guider par la raison, la folie à suivre la mobilité des passions… La raison est reléguée dans un coin étroit de la tête, les passions occupent le corps tout entier… l’empire de la concupiscence s’étend jusqu’au bas-ventre… » (EL, 16) ; et qu’il juge la femme « un animal délicieux, fol et déraisonnable» … capable par sa beauté de « tyranniser les tyrans », il se laisse aller à parler de la procréation en termes pré-rabelaisiens :

« 
Avec quoi engendre-t-on les dieux et les hommes . Est-ce avec la tête ? … Ce qui propage la race humaine, c’est une autre partie du corps, si folle, si ridicule qu’on ne peut la nommer sans rire … D’un jeu risible entre gens ivres proviennent les philosophes sourcilleux… les moines, les rois couverts de pourpre, les prêtres pieux et les trois fois saints pontifes ».

Et il dénonce pêle-mêle les coureurs de dot, les maquereaux, les gloutons,les paresseux, les aventuriers, les guerriers, les captateurs de testament, les avares :

« 
L’un épouse une femme sans dot, l’autre prostitue sa femme… Un homme fera passer dans son ventre tout son gain, au risque d’être affamé bientôt, un autre mettra son bonheur à dormir et à ne rien faire… Celui-là, pour un profit maigre et douteux, court à travers les mers, cet autre préfère chercher fortune à la guerre que de se reposer en sécurité dans sa maison. Il en est qui courtisent les vieillards sans enfants, d’autres font le même manège auprès des vieilles femmes fortunées… Quelques-uns, satisfaits de paraître fortunés hors de chez eux, à la maison meurent consciencieusement de faim… ; celui-là thésaurise sans scrupule… » (EL, 48).

Et en définitive, c’est l’argent, dont nous avons déjà vu que le clergé était si avide, qui est le but essentiel des hommes :

« 
De quelque côté qu’on regarde, pontifes, princes, juges, magistrats, les amis, les ennemis, les grands et les petits, tous ne cherchent que l’argent ». (EL, 61)

En somme, une société dont les vices généraux sont connus, mais sont étudiés d’un point de vue plus moral que social, comme il est naturel de la part d’un homme d’église plongé dans ses études, et dégagé des soucis de la vie du monde, dont il ne voit pas bien les profondes modifications matérielles, plus familier en tout cas de la vie des grands que de celle du peuple.

La conception de l’Homme. Le but poursuivi


À une époque où la nouvelle conception de l’univers et la découverte du Nouveau Monde bouleversent des habitudes millénaires, où la liberté de pensée retrouve vie avec la renaissance de l’antiquité païenne et découvre, avec l’invention de l’imprimerie, des moyens de diffusion inouïs, une tentative pour concilier la raison et la foi, ou pour trouver un équilibre entre elles.

Une
critique des idées et des mœurs du temps, qui ne veut ni blesser, ni nommer personne, qui tend par conséquent à améliorer et non à détruire et à changer (« Critiquer les mœurs des hommes sans attaquer personne nominativement, est-ce vraiment mordre ? N’est-ce pas plutôt instruire et conseiller ? » Préface), mais où toutefois beaucoup pouvaient se reconnaître, à commencer par le pape Jules II.

Une œuvre par conséquent
un peu trouble, où la Folie, jouant le rôle du « bouffon du roi » (EL, 36) , dit la vérité en lui donnant une forme ridicule, où il suffit de prendre à contre-pied ce qu’elle dit pour connaître le sens de la satire, mais où subsiste une certaine ambiguïté, à laquelle se prête l’ironie, quand on la voit déclarer que « garder la seule raison c’est mutiler l’homme »  (EL, 30) ou, dans un sens contraire, quand elle prend à son compte les manifestations de la foi (EL, 64-68) .

Un dessein qui reste une tentative, une interrogation qui subsiste sur le destin de l’homme écartelé entre sa nature humaine, faite de raison et de passion, et son aspiration à la vie éternelle. Mais les critiques restent.

Vingt ans avant Rabelais, c’est la même hardiesse de pensée, mais sans la truculence de la forme, d’un lettré qui s’adresse à ses pairs et, écrivant en latin, s’est coupé d’une large audience populaire.

Cinquante ans après, Du Bellay prouvera que, malgré ces critiques, il n’y a eu aucune amélioration.