DEISME ET THEISME
#1
Quelqu’un peut-il me préciser la différence entre théisme et déisme au XVIII° ? En préparant une séquence sur les Lumières, je suis tombée sur l’article « théisme »  de l’Encyclopédie, signé par Voltaire.  Or,  J’ai toujours cru qu’il était plutôt déiste (croyance « raisonnable ») et Rousseau plutôt théiste (croyance plus « affective »). Je ne comprends plus…
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#2
Bonsoir,
Dans le dictionnaire "Vocabulaire technique et critique de la philosophie" de André Lalande paru aux Puf, on trouve que le mot déisme  prend des sens variables selon les époques mais qu'il a été créé au 16° siècle pour se distinguer de athéisme
Pascal oppose le mot à la fois au christianisme et à l'athéisme et conclut que ce "sont
deux choses (déisme et athéisme) que la religion chrétienne abbhore également". Généralement on l'applique à toutes les conceptions philosophiques de Dieu quelles qu'elles soient. 
Kant fait la distinction subtile entre "le déiste qui accorde que nous pouvons acquérir par la raison seule la connaissance de l'existence d'un être primitif, mais que le concept que nous en avons reste simplement transcendental c'est-à-dire est celui d'un être qui a toute réalité mais qu'on ne peut pas déterminer plus étroitement...et le théiste qui prétend que la raison est capable de déterminer plus étroitement cet objet de pensée par analogie avec la nature, c'est à dire de le concevoir comme un être qui contient en soi, par son entendement et sa liberté, le principe premier de toutes choses". 
Théisme est d'origine grecque bien sûr mais revenu dans la langue française par l'anglais (Dictionnaire de Pierre Bayle : " Je me sers de ce mot à l'imitation des anglais pour signifier en général la foi à l'existence divine".
Personnellement si un élève pose la question, je me contente de rappeler les étymologies grecque et latine et je préfère orienter le propos vers la question de la lutte des Lumières en France contre les formes établies de religion et contre le déisme qui pour un Diderot n'est
rien d'autre qu'une résurgence du fanatisme religieux.
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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#3
Moi, je croyais que Voltaire était théiste car il croyait personnellement en l'existence d'un dieu (un grand horloger) à l'origine du monde plutôt que  déiste car il ne reconnaissait pas le fondement de l'Eglise et ne professait donc pas pour la religion...
Dans sa propriété de Fernay, il a fait construire une chapelle qui porte au-dessus de l'entrée l'inscription : "Voltaire erexit Deo"...ce qui prouve sa croyance toute personnelle, puisqu'il se nomme en premier!
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#4
Ces concepts en effet, comme beaucoup de concepts philosophiques sont à considérer en regard de l'époque, ici XVIIIe siècle. En ce sens,  il me semble qu'à cette époque :
le déisme : admet l’existence d’un dieu, mais sans accepter de religion révélée (pas de Dieu personnel) ni de dogme. Il s'agit d'une conception plus rationnelle: puisqu'il y a un monde, il doit bien y avoir un créateur (puisqu'il y a une horloge, il doit bien y avoir un horloger). Il s'agit donc bien du modèle  rationnel "minimal" des philosophes de ce siècle.  


Le théisme (mono, poly):  admet, lui  un (ou des) Dieu(x)  personnel(s), distinct(s) du monde, maiscontinuant à exercer une action sur celui-ci. (NB : au XVIIIe s., il est peu question de "polythéisme")
Ce Dieu "personnel"  à un moment de l'Histoire, s'est adressé à l'homme (par les prophètes, les messies), on peut continuer à entretenir un dialogue avec lui par la religion, la prière, des offrandes, etc…. C'est en son nom aussi que sont organisées des guerres de religion.
Le rationalisme philosophique favorise le déisme et exclut tout fanatisme et toute intolérance religieuse.
Le déisme est à mettre en parallèle avec le développement de la physique et la découverte des lois scientifiques qui organisent harmonieusement l'univers. La beauté des lois de la nature favorise la croyance en un Dieu créateur.
Favoriser le déisme  n'empêche pas Voltaire, Diderot d'avoir un sentiment religieux.
En résumé, je dirais que le déisme est une croyance "philosophique" en l'existence d'un grand horloger, et que le théisme implique davantage de religiosité, tout en restant indépendant de toute religion "positive" ou révélée. C'est la distinction kantienne rappelée plus haut. 
Cela dit je pense qu'avant Kant les choses n'étaient pas aussi claires et que les deux mots étaient souvent employés l'un pour l'autre. Voltaire en réalité n'avait que faire de telles subtilités, tout occupé qu'il était à pourfendre les fanatiques. Ainsi il se définit souvent lui-même comme "théiste" (voir par exemple l'article "Théiste" du Dictionnaire philosophique, texte facile à lire) alors qu'il était plutôt "déiste" au sens que l'on donne aujourd'hui à ce mot. Ainsi René Pomeau, grand spécialiste de Voltaire s'il en est, intitule-t-il l'un des volumes de sa biographie de Voltaire (que je ne saurais trop vous recommander) : "L'Apôtre du Déisme".

Quant à Diderot, jusqu'à preuve du contraire, il était bel et bien athée...
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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