La situation d'énonciation  
#1
Bonjour madame,
Depuis l'année dernière, nous voyons dans de nombreux manuels de français, des séquences attribuées à "la situation d'énonciation" ainsi qu'aux "types de discours".
Ma question est la suivante : n'est-il pas mensonger de faire croire aux enfants de cet âge que l'écriture d'un texte est le résultat d'une technique, avant de leur apprendre à en sentir l'émotion, l'inspiration, le choix du mot, le vertige de la lecture ...
Les programmes du Cned sont particulièrement pauvres en conjugaison, presque plus de grammaire, aucune analyse logique ...
Comment comprendre l'intimité d'une oeuvre avec si peu d'éléments proposés aux enfants ? A quoi servira cette étude de la situation d'énonciation en 6e et en 5e ? Pourquoi laisser croire que les auteurs sont des techniciens de l'écriture, alors qu'ils sont avant tout des artistes pétris de contradictions, souffrances, joies ...

Finalement, ma question en contient beaucoup d'autres, et je ne suis pas sûre d'être claire.
Je cherche à comprendre pourquoi les enfants de notre entourage ne savent pas ce qu'est l'imparfait à 12 ans (le plus-que-parfait n'y songeons même pas  ), pourquoi les manuels de français sont-ils de plus en plus beaux et séduisants, tandis que l'orthographe désastreuse des enfants empêche parfois la lecture ou la compréhension de leur production ?
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#2
Bonjour et bienvenue,

Merci de ce premier message, qui pose d'emblée la discussion à un très haut niveau.
Je ne puis vous répondre en quelques mots, je vais tâcher d'aller à l'essentiel.

1. Pendant des siècles, l'enseignement du français s'est fondé sur la littérature : les grands textes, les grands auteurs. Pour les comprendre, il fallait un enseignement solide de la langue et de toute sa complexité. Cet enseignement se faisait par "imprégnation", par fréquentation lente et répétée. La langue parlée dans le milieu familial aidait beaucoup...
Méthode très gourmande en temps, trop chère !

2. La rupture est à dater, selon moi, des années 60. On construisait à l'époque un collège par jour... L'enseignement est devenu un enseignement de masse : en 1977, tous les élèves entrent en 6e.
Pour continuer l'enseignement du français par imprégnation, il aurait fallu beaucoup, beaucoup d'argent ! En 6e, avant 1977, les élèves avaient 6H de cours hebdomadaires en français, dont 3 H par demi classe (cela faisait 9 H pour un professeur, qui pouvait n'avoir que 2 classes dans son service. Maintenant, le prof en a 4 ou 5, et l'élève reçoit 4H ou 4H 1/2 de cours par semaine, en classe entière). L'horaire consacré à l'enseignement du français à l'école primaire a été divisé par 3.

Les raisons profondes des réformes sont toujours économiques. Il ne faut pas l'oublier.
Bien sûr de nombreux autres facteurs ont joué (progrès de la linguistique générale, positions politiques - chacun sait que la grammaire est de droite et la linguistique de gauche) - mais l'essentiel est là.

Trop cher en temps et en argent, l'enseignement fondé sur l'imprégration et la fréquentation des grands auteurs. On l'a déclaré "trop élitiste", tiens.
On a donc décidé que la littérature, c'est de l'art, et que l'on allait enseigner à tous la langue "quotidienne".

3. L'idéologie a fonctionné à plein (et selon moi de façon révoltante) : le "peuple" ne pouvait pas comprendre les grands auteurs, il n'avait pas la culture : on allait donc lui apprendre le français à partir des notices des boîtes de médicaments (cela, c'était la pensée du Philippe Merieu de la grande époque).

4. Un grand courant social (1968) a remis en cause les "valeurs traditionnelles", les interdits, l'apprentissage par cœur, les méthodes impositives... C'était la fin de l'orthographe, de la conjugaison et de la grammaire.

5. Le structuralisme avait bien déblayé le terrain dans le domaine universitaire... La "déconstruction" de la notion d'auteur, d'œuvre... tout cela a constitué un grand flot irrépressible. C'était la fin de la littérature.

6. En ce qui concerne la linguistique de l'énonciation, que vous évoquez dans le titre de votre message, oui, elle a servi (entre autres) d'alibi à l'entrée d'un technicisme ahurissant dans l'enseignement du français, certes.
Mais elle n'est pas en cause en elle-même, pas plus que la narratologie, qui n'en peut mais.
Ce sont, là encore, des raisons économiques qui ont prévalu : au lieu d'enseigner à faire un meuble, puis un autre, puis un autre, on s'est dit qu'il était plus rapide et moins cher d'apprendre les différentes parties de la gouge et du marteau.

C'est à peu près cela. Bien sûr que non, les grands écrivains ne sont pas des techniciens, mais ces "outils" permettent tellement de survoler (et d'écraser !) : J. J. Rousseau et les mémoires de Zidane : même sit' com' ! On ne va pas plus loin. Quel temps gagné...

Une petite erreur dans la première partie de votre message : la "situation d'énonciation" a été au programme du collège de 1996 à 2008. Actuellement, les nouveaux programmes l'ont exclue, au bénéfice d'un retour à l'enseignement de la langue plus traditionnel (grammaire de phrase). Mais c'est compter sans la longévité des manuels scolaires, qui ne seront pas remplacés, et le fait que les méthodes impositives ne sont pas en odeur de sainteté... Il faut aussi incriminer le défaut de formation continue des professeurs.

Pardonnez-moi d'avoir été trop longue ! je suis à votre disposition pour continuer la discussion...

Bien cordialement
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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#3
Je suis si soulagée de vous lire ! Vous ne saurez jamais à quel point je me sens entendue dans ce que je ne parvenais pas à dire clairement.
Et d'apprendre que les nouveaux programmes ont exclu la situation d'énonciation au collège est une excellente nouvelle ; reste maintenant à (re)trouver des supports d'apprentissage qui proposent un niveau de français conforme à l'idée que je m'en fais ... 
Je cherche partout, depuis longtemps ... Nous fonctionnons encore avec nos Lagarde & Michard, malgré l'iconographie un peu triste ...
Nos enfants sont scolarisés hors de l'école jusqu'à leur entrée en seconde ; lorsque de nouvelles rencontres génèrent des questions, on nous demande toujours : "Mais alors, comment sont-ils socialisés ?"
Constat terrible : on ne considère l'école aujourd'hui que comme un lieu de vie, mais jamais comme un lieu de transmission et d'apprentissage.
Personne, depuis tant d'années, ne nous a jamais demandé "Mais comment faite-vous pour qu'ils apprennent les maths, la grammaire ou les sciences ?"
Une fois quelques explications fournies sur les motivations d'une déscolarisation, le soin apporté aux contacts avec ses pairs, les activités sportives, artistiques, les sorties et la joie d'apprendre ou de ne rien faire du tout, vautré dans un canapé en pyjama, arrive le temps de l'agressivité.
L'agressivité des parents qui, conscients du bonheur que nos résolutions engendrent et du bon niveau intellectuel de nos mioches, perçoivent nos choix comme un désaveu, une condamnation des leurs.
On perd un temps fou à expliquer que l'école n'est pas obligatoire, et que les murs d'un établissement scolaire ne sont pas forcément une garantie de qualité d'enseignement.

Je suis auteure littéraire.
Depuis quelques années, on me demande de changer des mots dans mes textes, afin de les remplacer par d'autres, qui ne nécessiteront pas l'usage d'un dictionnaire ! 
En résumé, pour gagner ma vie, plaire à mes lecteurs et satisfaire mon éditeur, je devrais niveler le vocabulaire de mes écrits à celui d'un berger allemand bien dressé.
Mais je résiste !
Par le biais de récit historiques, l'argument de mots nouveaux qui enrichissent un ouvrage et illustrent avec exactitude une pensée ou un contexte, je maintiens mes mots et m'agrippe à mes convictions.

Hier, j'ai lu dans le petit magazine "La classe" un article de l'affligeant Henri Philibert, osant dire que "L'orthographe est une exigence des parents d'élèves, alors qu'elle représente la partie la moins importante dans une production d'écrit". 

Concernant Philippe Mérieu, dont vous citez la pensée, je m'étais déjà révoltée de lire, dans les manuels du Cned classe de CM1 des pages entières de délires sur les affiches publicitaires, les recettes de cuisine et les modes d'emploi d'appareils ménagers, alors utilisés comme supports de lecture (sans parler des fautes de type "malgré que" relevées dans les consignes destinées à l'élève !)
J'ai tout fichu aux ordures, et nous avons alors commencé à travailler selon quelques vieilles méthodes ... qui n'ont pas fait de nous des individus étanches à la pensée d'autrui ni à la grammaire qui permet de la faire rayonner.

Internet fait également beaucoup de mal aux enfants ; peut-être devrais-je dire qu'internet est une richesse, mais les parents, première génération confrontée à cette marée de connaissances, ne savent pas organiser ni régenter son usage. Mes neveux, entrés dans de grandes écoles, sont 6 heures par jour devant un écran, alors qu'ils sont totalement incapables d'écrire une phrase en accordant ses verbes autrement qu'en phonétique.
Je n'aime pas parler ainsi, on dirait une vieille râleuse.
Mais j'ai peur pour eux.
Les employeurs de demain, tiendront-ils compte du fait que toute une génération ignore l'usage correct du français ?

Enfin, pour moi, la meilleure nouvelle du jour, demeure l'abandon des programmes stupides ; au CRDP, je pense que les manuels de français contenant ces aberrations sont encore en rayon pour longtemps.
Je pensais me procurer le vieux manuel de grammaire et analyse de A. Hammon.
Nous avons bien travaillé l'année de la 6e, avec les textes de "Littérature de l'Europe médiévale" de Michèle Gally.
Qu'en pensez-vous ?
Ma petite dernière entre "en 5ème" cette année.
Une 5ème à ma sauce. Détail du programme des années passées à votre disposition, si cela vous intéresse.
Je cherche à présent les ouvrages qui l'accompagneront dans son étude de la fin du Moyen Age et le début de la Renaissance ...

Elle lit la nuit en cachette, sous sa couette ; j'ai trouvé sous son lit la lampe frontale du cellier et un livre : Antigone (celle d'Anouilh) ainsi qu'une liste de questions "à poser à maman".
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#4
Bonjour,

Je suis très intéressée par votre démarche d'instruire vos enfants à domicile. Mais assez dubitative sur le recours aux cours du CNED, dont le niveau me paraît très moyen : s'agit-il simplement d'un repère par rapport aux contenus des programmes officiels ?
Par ailleurs, si je puis me permettre un avis sur le choix d'un manuel de grammaire, je pencherai davantage pour les manuels de Galichet (6e/5e d'une part et 4e/3e d'autre part), infiniment plus fournis que la grammaire Hamon.
Bien à vous.
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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#5
Merci pour la référence de grammaire Galichet ! Je vais me procurer le manuel.
Quant à l'instruction à domicile, nous allons attaquer notre 6e année avec bonheur.
Les cours du Cned ne sont pas du tout utilisés chez nous ; ils ont été posés sur mon bureau, l'année du CE1 de ma fille. Je les ai lus, et là, horreur : un vide abyssal côté conjugaison, des formules ampoulées, des modes d'emplois d'appareils ménager en guise de lecture  .
Les manuels ont fini dans la poubelle et nous n'avons jamais utilisé ces programmes qui, selon moi, préparent les enfants à devenir de bons petits citoyens prêts à foncer dans tout ce qui ne leur ressemble pas, analphabétisme en prime.
Nous repérons les programmes officiels en les consultant sur internet ou dans les ouvrages prévus à cet effet.
L'instruction en famille permet d'aborder beaucoup plus de notions que celles prévues par les programmes officiels ; notre fille J. fait du latin depuis le CE2 sans que cela ne lui semble jamais pénible, au contraire, elle adore les personnages de sa méthode (Vibrissa et Minimus).
Depuis 5 ans, j'ai toujours établi les "feuilles de route" de J. à ma propre sauce et avec son accord.
Je vous livre ici le contenu de sa dernière feuille de route, suivie en juin dernier, pour achever son année :
- dictées : participes passés (dictée sans préparation)
- lectures : continuité de tes livres choisis (elle terminait le journal d'Elisabeth d'Autriche)
- orthographe : l'accent circonflexe sur les E en souvenir d'un S disparu
- rédaction : raconte notre trekking à dos d'éléphant, à la première personne du singulier, pour faire rêver Tatie Roxanne.
Poésie : finir d'apprendre "La complainte amoureuse"
- Maths : on termine ensemble les axes de symétrie et on révise les pourcentages (demander à maman les factures EDF)
- Histoire : Moyen Age en Asie (nous étudions l'Histoire du monde et non pas celle excusivement de la France ; cela consiste à étudier toutes les civilisations dans l'ordre chronologique)
- Anglais : faire les exercices prévus et apprendre les mots de vocabulaire (conjuguer to can et to must dans l'usage des phrases quotidiennes)
- Latin, continuité habituelle du programme
- Svt : le manuel contient des éléments qu'elle connaît déjà, donc elle se contente de lire et d'observer tout ce qui lui chante, au microscope.
- Physique : cours de belgique (actuellement, l'oeil et l'appareil photo)
- géographie : nous rentrons d'Asie, elle a beaucoup appris sur place.
- Dessin : reproduction quadrillée d'une estampe japonaise (issue de la collection de Monet dont la vie l'intéresse)
- Lapbook : les koalas (livre + activités en anglais ; nous avons toujours un lapbook en chantier)
- E. Civique : rendez-vous avec l'huissier du TGI qui doit nous expliquer où siègent les représentants de la justice, et nous assisterons à plusieurs audiences pénales.

Le programme "scolaire" s'arrête là.
J. est violoniste et fait partie d'un orchestre qu'elle adore rejoindre chaque mercredi. Le lundi, elle étudie la technique d'écriture musicale et prend des leçons d'instrument avec son professeur ; le mercredi, orchestre + ce qu'elle veut.

Que diable viendrait faire le Cned dans notre mode de vie ? :>
Les inspections à domicile s'effectuent chaque année ; les inspecteurs sont venus à 3 dernièrement.
J. accepte de remplir les évaluations qu'on lui propose, parce qu'elle n'est pas stressée et sait qu'il est impossible de la remettre à l'école de force. la loi prévoit qu'il est interdit d'évaluer notre fille avec des supports d'évaluations de l'école publique ; il est obligatoire de n'utiliser que nos propres supports pédagogiques ; ce décret est rarement respecté, mais notre fille trouve les évaluations drôles et "trop fastoches". Les rapports d'inspection sont élogieux à son sujet, bien que toujours opposés à l'instruction en famille. Mais cela n'a aucune importance.

Mais alors, quid de la socialisation, demande-t-on partout ...
L'orchestre fonctionne comme n'importe quelle classe d'école : on apprend à se bousculer, à copier sur son voisin, à se moquer d'autrui, à désacorder un violon en cachette, à faire des fausses notes volontaires ou non, à poireauter des heures pour attendre les retardataires, écouter puis oublier les consignes du prof, railler le chef d'orchestre et ses manies, on apprend à se produire en public, à gérer ses émotions, on apprend à trouver sa récompense dans l'effort et non pas seulement dans le résultat, on apprend à frissoner d'émotion pour une oeuvre, ou à s'ennuyer ferme en déchiffrant du Boulez ...

Le Cned chez nous ? Mais pourquoi apprendre avec la médiocrité ? Ce serait comme acheter un mauvais violon, au prétexte que l'enfant est "apprentie".

L'instruction en famille était pour nous un remède la première année ; c'est aujourd'hui un mode de vie auquel nous tenons beaucoup, et il semble que 30 000 enfants en bénéficient actuellement en France.
Mais je pense que sur le nombre, la moitié est déscolarisée pour raisons de santé.

Merci pour votre avis que j'ai apprécié.
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