Le mot «Étranger»


Pour expliquer le mot
étranger, il faut partir de l'adverbe latin extra (également préposition et préfixe) qui signifie « en dehors ».

Dès l’époque latine, on a construit sur
extra un adjectif dérivé: extraneus, qui, par une évolution phonétique normale, a abouti à estrange, puis à étrange.

Au Moyen-Âge,
étrange a couramment le sens d' « étranger ».

« 
Chevalier suis d'étrange terre » (Je suis un chevalier d'une terre étrangère) est un vers octosyllabe qu'on trouve assez souvent dans les romans courtois.

Mais
étrange a développé le sens de « bizarre », « singulier », « extraordinaire ».

À une époque où les voyages étaient moins fréquents qu'aujourd'hui, des habitudes, des manières, des vêtements, des objets peu connus pouvaient facilement susciter l'étonnement.

Le double sens du mot
étrange devenait gênant.

Des gens
étranges pouvaient être des étrangers, mais aussi, simplement, des personnes qui sortent de l'ordinaire.

On constate que les deux sens coexistent encore au XVIe siècle
:
nations étranges - pour « nations étrangères » - ne surprend personne et La Fontaine (qui a souvent le goût d’une langue un peu archaïque) emploie encore cette expression dans ses Fables (Le Renard anglais, XII, 23).

Peu de nos chants, peu de nos Vers,
Par un encens flatteur amusent l’Univers
Et se font écouter des nations étranges.


Mais le remède à cette ambiguïté est apparu dès le XIVe siècle, avec la création du mot « 
étranger », qui a pris le sens ancien et premier du mot, alors que le mot « étrange » a porté le sens secondaire.

Le suffixe
ier (devenu er après les consonnes ch et g) a simplement ici une valeur différenciatrice.
Il a permis de distinguer les deux sens d'
étrange, en affectant un mot différent à chacun.

Jacques Prévert réunit les deux mots dans le titre d’un poème célèbre :
Etranges étrangers, Grand bal de printemps Éditions Gallimard, 1976. 


Mais, encore aujourd'hui, « 
étranger » cumule deux notions.

II peut se dire d'un
autre pays, mais aussi simplement d'une autre localité, d'un autre milieu, d'une autre famille. Quand on dit qu'un enfant est timide avec les étrangers, cela signifie simplement « avec les personnes qui ne sont pas de sa famille ou de son entourage habituel ».

Dans les villages, on appelle encore quelquefois
étrangers les habitants de la localité voisine…

Étranger peut même se dire de ce qui n'a pas de rapport avec une personne:

« 
L’idée de race m'est étrangère » (elle n'entre point dans ma façon habituelle de penser).


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