Confessions : A votre gorge marchand de Paris
#1
Dans un passage célèbre des Confessions (Ire Partie, Livre Troisième, 1731-1732), Rousseau s’applique à lui-même un exemple presque caricatural de ce qu’on appelle « l’esprit de l’escalier » :
Deux choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière : un tempérament très-ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées et qui ne se présentent jamais qu’après coup. On diroit que mon cœur et mon esprit n’appartiennent pas au même individu. Le sentiment, plus prompt que l’éclair, vient remplir mon âme; mais au lieu de m’éclairer, il me brûle et m’éblouit. Je sens tout et je ne vois rien. Je suis emporté, mais stupide; il faut que je sois de sang-froid pour penser. Ce qu’il y a d’étonnant est que j’ai cependant le tact assez sûr, de la pénétration, de la finesse même, pourvu qu’on m’attende : je fais d’excellents impromptus à loisir, mais sur le temps je n’ai jamais rien fait ni dit qui vaille. Je ferois une assez jolie conversation par laposte, comme on dit que les Espagnols jouent aux échecs. Quand je lus le trait d’un duc deSavoie qui se retourna, faisant route, pour crier : À votre gorge, marchand de Paris !, je dis :
Me voilà.
A votre avis, que veut dire l'expression "a votre gorge marchand de paris" ?
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#2
Bonsoir,

Pour faire vite, clair et brutal : l'un dit "*****" et l'autre lui répond (un peu trop tard) "Mange" !
Voici une explication un peu plus circonstanciée :
"Nous empruntons l'explication de cette allusion à L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 1865, colonne 725 : «L'anecdote en question est ainsi racontée dans Les Illustres Proverbes, Paris, 1655, in-12, p. 3 : 
C'estoit (le duc de Savoye) un grand Prince, chery des siens, et estimé des estrangers, pour ses rares vertus, mais singulièrement pour sa grande valeur ; au reste, homme de mauvaise mine, laid, bossu, et contrefait. Un jour, estant dans Paris pour traiter quelque affaire d'importance avec le Roy Henry le Grand, sa curiosité le porta à entrer dans une boutique où ayant marchandé quelque chose qui lui agréait, il en offrit si peu que le marchand, qui ne le connoissoit pas, et le prenoit pour le moindre de sa suite, tout dépité d'une offre si déraisonnable, lui respondit en grommelant entre ses dents : Ouy dà, de la... (le mot de Cambronne) ! et replia sa marchandise. Le Prince, qui avait l'esprit diverty à quelque autre pensée, ne prit point garde pour l'heure à cette réponse incivile et sortit sans luy répondre. Quelque temps après, comme il retournait en Savoye, et rêvoit en chemin faisant, sur ce qu'il avait veu et ouy en tout son voyage, la répartie du marchand lui vint aussi en mémoire (on dit qu'il estoit sur la montagne de Tarare, à sept ou huit lieues de Lyon et dans cette pensée tournant soudaine–ment visage du costé de Paris, il dit à haute voix, comme s'il eût voulu répondre à son homme : "A votre gorge, marchand de Paris !". Puis il raconta à ses gens le sujet de sa boutade, et en rit avec eux. Depuis ce temps-là, quand on parle de m..., on réplique ordinairement, à l'imitation de ce Prince : A votre gorge, marchand de Paris !".
Aussi bien le dirait-on à ceux qui, comme Jean-Jacques, n'ont pas la répartie très prompte. - Les auteurs de la Bibliotheca scatologica n'ont pas manqué de signaler cette locution dans leur Mémento scatoparémio–logique. H. H. - Bref la réponse du duc "A votre gorge"  semble donc bien correspondre à celle qu'aurait pu faire à notre célèbre général un Anglais combattant à Waterloo : Mange !
(Note extraite de "XVIII° - Points de vue et références", livre du maître, page 338, manuel "Recueil de textes littéraires français" d'A. Chassang et Ch. Senninger,  Hachette, 1966)
Noli dei pueros putare pro feris anatibus ! (Michel Audiard)
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