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Nicolas-Edme Restif de la Bretonne, Ingénue Saxancour
1789


PRÉSENTATION DU DOSSIER

INTRODUCTION

Avertissement
Les éditions
d’Ingénue Saxancour qui figurent çà et là dans l’internet sont amputées arbitrairement de près de 150 pages, car elles reproduisent l’édition de Gilbert Lély, (Lattès, 1979), dont la préface contient d’ailleurs d’importantes erreurs biographiques.

Présentation du roman

L'édition originale d'Ingénue Saxancour se présente en trois volumes in‑12, comptant respectivement 248, 240 et 260 pages, soit près de 750 pages. Nous reviendrons sur ce contenu.
La présentation complète est la suivante:

Ingenue Saxancour, ou La Femme séparée:
Histoire propre à demontrer, combien il est dangereux, pour les Filles, de se marier par entêtement, et avec precipitation, malgré leurs Parens
:
Ecrite par Elle-même.
Première Partie. [Deuxième partie. Troisième Partie.
A Liège,
Et se trouve à Paris, Chés Maradan, Libraire, rue des Noyers, N° 38.
1789.

Le censeur Toustain-Richebourg, ami de Restif depuis 1783, avait paraphé l’ouvrage sans la moindre restriction.

D’une manière quasi générale, Restif n’aime pas que son nom figure sur la page de titre de ses ouvrages.

Les exemplaires sont extrêmement rares. Gilbert Lély émet l’hypothèse que la majeure partie du tirage a peut-être été pilonnée à la suite de la plainte déposée par Augé-Moresquin, gendre de Restif. On ignore si Augé avait pu obtenir la destruction de l’ouvrage.

Par ailleurs, il est établi que de nombreux exemplaires ont été détruits au milieu du XIXe siècle par les descendants d’Agnès Rétif (son fils aîné Jean-Nicolas Augé-Rétif et son fils cadet Frédéric-Victor Vignon), à la suite de la publication, dans le journal
Le Siècle, d’un inconvenant feuilleton d’Alexandre Dumas, Ingénue, dont Restif et sa fille étaient les héros involontaires. En janvier 1855, ils intentèrent un procès en diffamation contre le feuilletonniste.

La narratrice affirme à de nombreuses reprises que les événements qu’elle relate sont réels, et que l’histoire en est faite à des fins morales, pour l’édification des jeunes filles qui seraient tentées de se marier sans le consentement de leur père.

La moralité de l’histoire peut se dégager de son immoralité même: la peinture du vice, le sadisme d’Ingénue Saxancour relèvent de ce présupposé. Restif avait déjà utilisé cette justification dans La Paysanne pervertie et Laclos en fera le même usage dans sa préface aux Liaisons dangereuses:
“Plus les tableaux sont hideux et découverts, plus ils sont efficaces” (
Les Nuits de Paris, 182e nuit).

Comme La Femme infidèle, dirigé contre son épouse Agnès Lebègue, Ingénue Saxancour est un texte très polémique dirigé contre son gendre Augé. Dans Les Nuits de Paris, Restif présente d’ailleurs ces deux écrits comme des factums. C’est peut-être la raison de l’absence de gravures et d’illustrations dans les deux ouvrages.

Genèse du roman

Ingénue Saxancour est la reprise et le développement de toute une partie de La Femme infidèle, qui elle-même prolonge la VIIIe époque de Monsieur Nicolas. Mais entre La Femme infidèle et Ingénue Saxancour, Restif reprend les faits dans deux recueils de nouvelles: Les Françaises et Les Parisiennes. Le conflit vécu était si terrible que l’écriture en a été chaotique.

Les horreurs vécues par Agnès, que son père n’apprend qu’au cours de l’année 1785 (elle est mariée depuis le 1
er mai 1781), culminent le 21 février 1786, quand Augé fait arrêter son épouse.

Une première version d’
Ingénue Saxancour a été rédigée du 18 mars au 5 avril 1786. Ensuite, la rédaction s’interrompt pour reprendre du 8 juin au 29 juillet. Entre-temps, Agnès a fui une dernière fois et a quitté définitivement Augé le 21 juillet. Restif abandonne longuement son texte pour le reprendre en avril 1788. Le livre est présenté au censeur le 18 novembre. Il a dû paraître dans les premiers mois de 1789.

Cependant, en septembre 1788, Restif a écrit un supplément à
Ingénue Saxancour pour en corriger la fin artificielle. Il regrette sa concession à la prudence et rétablit la vérité à la fin du XXVIIe volume des Contemporaines. Il réagit à une accusation de vol d’une montre portée par Augé contre sa fille cadette Marion, se donnant ainsi une nouvelle occasion de dépasser ses malheurs par l’écriture.


Résumé de l’ouvrage

La première partie retrace les années d’enfance et de jeunesse d’Ingénue-Agnès, et la vie de sa mère, La Femme Infidèle, en particulier sa liaison avec un marchand de tissus, ses déportements de mère dénaturée L'épouse adultère se débarrasse de sa fille en la plaçant en apprentissage chez une marchande de modes du quai de Gesvres. Là, Ingénue se lie d'amitié avec trois ouvrières. Chacune de ces jeunes filles raconte l'histoire de sa vie.

La deuxième partie rapporte les circonstances du mariage avec Augé (Moresquin dans le roman) et l’existence épouvantable à laquelle fut contrainte la jeune femme.

La troisième partie s’ouvre à la date du 25 novembre 1783, jour de la réconciliation de Restif (Saxancour dans le roman) avec sa fille. La narratrice s’applique alors à ne plus rien cacher à son père et elle raconte les détails les plus atroces de sa vie conjugale.

La continuité du récit était alors interrompue par des éléments parasites dont Restif avait truffé son ouvrage, et qui ont été supprimés des éditions ultérieures du roman
:
- une comédie-ariette: La Marchande‑de‑Modes, ou Le Loup dans la Bergerie;
- une
Ode de Piron, récitée par Moresquin dans la deuxième partie
- une
Lettre de Piron sur son aventure à Beaune en 1715, d’environ quinze pages;
- une deuxième pièce de théâtre en un acte
: La Matinée du Père de famille;
- une troisième pièce de théâtre, comédie en trois actes dédiée à Félicité Mesnager,
Épiménide.

Nous avons maintenu l’intégralité de la première partie ainsi que les deux post-scriptum d’un autre narrateur qu’Ingénue, relatant son assassinat par Moresquin et le châtiment de celui-ci, déporté aux îles. Les textes d’
Ingénue Saxancour disponibles dans l’internet amputent arbitrairement le texte d’environ 150 pages.

Nous avons également réinséré les lettres de Moresquin qui figurent dans La Femme Infidèle aux endroits du roman qui les évoquent.

En réalité, Agnès mourut le 21 juin 1812 à l’hôpital Saint-Louis. Augé finit sa carrière de fonctionnaire en Savoie de 1800 à 1810, plus précisément à Saint-Jean de Maurienne, contrairement à ce qu’affirme Gilbert Lély dans son introduction à Ingénue Saxancour.

La narration

Les amis proches de Restif lui reprochèrent vivement la publication de cet ouvrage qui déshonorait sa fille et sa famille.

Pour sa défense, Restif invoqua le fait qu’il avait concentré deux ou trois histoires d’épouses malheureuses, celle de sa fille aînée et celle de Catherine Laruelle, épouse d’un certain Moresquin, qui aurait quitté son mari parce qu’il « l’avilissait au-dessous des catins » en lui faisant « des horreurs qui ne peuvent se dire », et qu’elle s’excusait de ne pouvoir confier à Restif.

Mais ce n’est là qu’un argument de circonstance. Ingénue Saxancour, c’est Agnès et ce n’est qu’elle. Tout ce qui fait scandale dans ce livre appartient à la vie conjugale d’Agnès
; le gendre Augé, le « monstre » étant désigné sous le nom de Moresquin, suggéré par le teint « moresque » de son visage.

Si, au cours d’un interrogatoire de police, Restif a nié être l’auteur d’
Ingénue Saxancour, il en avoue la paternité dans Monsieur Nicolas, même si le ton de l’ouvrage est celui d’une autobiographie féminine.

Il est absolument impossible, à l’encontre de ce qu’affirme Paul Lacroix, qu’Agnès ait été l’auteur du roman. Il est, bien sûr, singulier que Restif ait reçu de sa fille des détails aussi intimes sur sa vie conjugale
; Agnès n’a pas écrit une seule ligne, mais elle en a connu et suivi l’écriture et la préparation, exactement comme elle a suivi l’écriture de La Femme infidèle, elle qui exécrait sa mère presque autant que son mari…

Les points de vue dans le roman

Ingénue Saxancour se présente comme des Mémoires, une confession « écrite par elle-même » à différents endroits du récit. Le personnage narrateur est à la fois personnage principal, et le récit est, en principe, effectué de son point de vue. Selon les catégories de Genette, il s’agit donc d’un récit homodiégétique à focalisation interne.

On constate cependant un certain nombre d’éléments qui amènent à nuancer cette position de principe.

Tout d’abord, de nombreux narrateurs secondaires interviennent, selon une habitude fréquente des récits du XVIIIe siècle. Des histoires viennent se greffer sur le récit de la vie d’Ingénue, venant l’amplifier, l’expliquer, la dévier parfois.

Dans la première partie, les trois récits de ses compagnes d’apprentissage préparent la suite des malheurs d’Ingénue, tout en dressant un tableau de la vie des jeunes filles des milieux populaires. Ils constituent autant d’« effets de réel ». Chaque récit comporte un sous-titre qui résume l’orientation du texte et impose un programme de lecture.

Le long récit (environ quarante pages) que Moresquin fait lui-même de ses turpitudes de jeunesse est inséré dans l’ensemble du roman sous la forme d’un retour en arrière (analepse).

Nous laissons de côté le cas des trois pièces de théâtre qui ont été supprimées de toutes les éditions d’
Ingénue Saxancour. Leur présence, généralement justifiée par des raisons commerciales, pourrait avoir un objectif plus profond: le désir de Restif de figurer dans son ouvrage, à la fois en tant que père de la narratrice et en tant qu’auteur et éditeur. C’est également la raison de l’intertextualité constante, des appels incessants à d’autres œuvres de Restif.

Agnès-Ingénue narratrice

Son récit est rétrospectif: elle a une vue d’ensemble de son passé, et l’on peut noter le grand nombre de prolepses dans le récit. L’héroïne anticipe sur les événements, les commente, les déplore:
«…
cette bagatelle fortifia l’antipathie que ma mère avait prise contre moi, et qui m’a été si funeste»
« 
Hélas! j’ignorais que les peines qui m’eussent attendue avec ma mère n’étaient rien en comparaison de ce que le sort me préparait»

Toutes ces anticipations, qui permettent la plupart du temps d’insérer une réflexion morale, constante chez Restif, accroissent la distance entre temps vécu et temps de la narration, mais la plupart du temps ceux-ci semblent se rejoindre, et l’on a souvent l’impression de lire un journal intime
:

— dans la première partie du roman, de nombreux épisodes sont rapportés par une narratrice sous-informée
: la fillette ne comprend pas ce qui se passe, et a dû être éclairée ultérieurement des raisons de l’absence de la mère, des nombreux changements de domicile, de la gêne financière, de la négligence du père à son égard; la thématique générale est la haine de la mère et de trop rares souvenirs d’enfance heureux liés à la présence du père;

— dans les deuxième et troisième parties du roman, la narratrice crée l’illusion d’une narration contemporaine de ses malheurs
: elle les revit, elle souligne qu’elle souffre encore des traces de son martyre; elle est incapable d’imaginer une issue à ses tourments. Elle ne peut que communiquer son sentiment d’abandon total.

Ingénue Saxancour n’échappe aux deux traits fondamentaux de l’œuvre de Restif: un univers romanesque féminin et une perspective théâtrale quasi constante.

Cette dernière est mise en œuvre d’une part par le choix d’un narrateur qui voit, observe, écoute, souvent en position de voyeurisme; d’autre part par une écriture scénique qui privilégie le tableau, la scène, les dialogues.

On constate cependant que les nombreuses scènes de violence conjugale ne sont jamais rapportées sous forme de dialogue
: on y perçoit la pudeur et la gêne de la narratrice à faire le récit de toutes les horreurs qu’elle subit, et un blocage à reproduire le vocabulaire ordurier et pornographique d’Augé.

Violences conjugales, sadisme, masochisme

Le roman étale les violences qu’Augé fait subir quotidiennement à la malheureuse Agnès: injures (putain, salope, vermine), menaces de mort (il faut que tu périsses), coups de toutes sortes, dont des coups de pied dans les flancs et les reins alors qu’elle est enceinte, maltraitances (il la traîne par les cheveux, la piétine enceinte, elle passe une nuit dans le froid sur un escalier, il lui provoque une fluxion et la frappe dessus, il lui fait manger les restes des assiettes de ses invités, notamment ceux de l'horrible Champdépines dont le visage est couvert d'abcès), humiliations (il lui fait décrotter les souliers de ses compagnons de débauche et leur commande de la tutoyer; elle doit vider en leur présence la chaise percée sur laquelle il vient de s'asseoir), sexualité perverse (Augé se révèle sadique, échangiste, exhibitionniste — il la possède devant des témoins oculaires ou auditifs —; il veut prostituer sa jeune femme, il la viole de toutes les manières possibles).
Gilbert Lély, dans son introduction à l’édition (incomplète) d’
Ingénue Saxancour analyse le sado-masochisme de Moresquin:
« 
Dès son enfance, Moresquin bat les servantes de sa mère, les mord, leur enfonce à l'improviste des épingles dans la chair. Il provoque la mort de son maître à danser en le faisant choir, au moyen d'une corde tendue, dans un escalier obscur. Plus tard, il menace une chambrière de l'accuser de vol si elle refuse de faire l'amour avec lui: épouvantée, la jeune fille est contrainte de se livrer. Le soir de son mariage, quand Moresquin demeure seul avec Ingénue, ses premières approches se traduisent par une agression: il lui déchire les manches et le tour de gorge, et, en dépit de ses larmes, achève le déshabillage avec la même brutalité. Ensuite il se jette sur elle et la sodomise immédiatement. Trois jours durant, il dédaignera la virginité de sa femme, et l'orifice anal demeurera son seul objectif érotique. L'élection de la sodomie, qui revêt l'acte d'une couleur plus violente que dans les rapports ordinaires, est, dans le cas de Moresquin, une manifestation de son sadisme. »
Mais par ailleurs, Moresquin fait simultanément preuve de tendances masochistes: Ingénue s’écrie, au comble du malheur: « Le monstre va devenir jaloux! Cet homme vil et cruel va [...] feindre la jalousie, pour me déshonorer, pour me rendre plus soumise à ses abominables vues sur moi. » Le monstre se montre jaloux de son ami Fromentel, et s’il désire prostituer son épouse à son chef de bureau, il manifeste une ambivalence de pulsions face à ces actes, même quand il la livre à plusieurs hommes dont elle-même ne peut déterminer le nombre: peut-être une homosexualité refoulée.
Ce livre, l’un des plus justes et des plus atroces qui soit sur les violences conjugales, est inoubliable, grâce au personnage d’Agnès-Ingénue, si totalement abandonnée de son entourage, et surtout à celui de Moresquin dont la monstruosité ne le cède qu'aux seuls héros de Sade.





Le dossier de cette édition critique d'
Ingénue Saxancour comprend:
Le dossier téléchargeable de 285 pages en pdf contient:
- l'introduction complète (11 pages)
;
- le texte intégral du roman avec l'orthographe et la ponctuation modernisées
;
- 280 notes de bas de page expliquant les noms propres, les lieux évoqués, les mots ayant changé de sens, les termes érotiques, les mots difficiles
, certaines allusions à la biographie et aux autres œuvres de Restif.



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