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Jean Giono, Le Hussard sur le toit
Le texte du roman n'est pas libre de droits d'auteur : il n'est donc pas téléchargeable sur l'internet.
Des liens :
Itinéraire du Hussard
voir ici ma bibliographie sur Jean Giono
C'est en 1946 que Jean Giono (1895-1970) entreprend Le Hussard sur le toit. Mais des pannes d'écriture le forcent à en interrompre à deux reprises la rédaction. Six autres de ses romans voient le jour avant qu'il n'en achève l'écriture. La publication, en 1951, met un terme aux vicissitudes que l'auteur rencontrait depuis la Libération et qui avaient fait décliner son renom. D'emblée, Le Hussard obtient la reconnaissance de la critique et l'audience du grand public : 50 000 exemplaires sont vendus en un an. Il demeure le roman le plus célèbre de Giono et, à ce titre, a fait l'objet, en 1995, d'une adaptation cinématographique due à Jean-Paul Rappeneau.
Un jeune carbonaro piémontais, Angelo Pardi, colonel de hussards, réfugié en France à la suite d'un duel politique, retourne dans son pays en traversant le choléra de 1838 qui désole la Haute Provence entre Aix et les Alpes. La contrée est couverte de morts et le jeune homme y confronte sans cesse ses qualités et sa passion à la passion des autres, qui est ici l'égoïsme à l'état pur.
À la fois témoin et acteur, Angelo ne se présente pas au lecteur. C'est par bribes que le récit fournit quelques indications qui permettent de retracer sommairement son histoire. Fils naturel de la duchesse Pardi, c'est un soldat de métier qui a acheté son brevet de hussard. Âgé de vingt-cinq ans, mêlé à des complots politiques, il a tué en duel un baron autrichien et dû fuir l'Italie pour la France. Il arrive en Provence au moment où, par une exceptionnelle canicule, s'abat l'épidémie de choléra. Traversant un hameau jonché de cadavres monstrueux, il rencontre un jeune médecin qui lui explique la nature du fléau avant d'y succomber.
Angelo poursuit sa route, en veillant à échapper aux patrouilles qui arrêtent les voyageurs pour les mettre en quarantaine. Parvenu à Manosque, il est accusé d'avoir empoisonné une fontaine où il s'est abreuvé. Échappant de peu à un lynchage, il se réfugie sur les toits de la ville - d'où le titre du roman. Après s'y être caché, il entre dans une maison où une jeune femme, Pauline de Théus, l'héberge, puis il aide une vieille nonne à laver les morts abandonnés.
Sortant de la ville, il campe dans les collines voisines où il retrouve Giuseppe, son frère de lait. Ils décident de rentrer en Italie, chacun de leur côté, afin d'œuvrer pour le bonheur de l'humanité. En chemin, Angelo croise Pauline qui tente de regagner le château de son mari. Ils font alors route ensemble et rivalisent de bravoure, repoussant des brigands, s'échappant de la forteresse où ils ont été enfermés. Mais Pauline est atteinte par le choléra. Angelo lutte toute une nuit pour faire refluer le mal et la sauve. L'ayant raccompagnée à Théus, il retourne chez lui : « L'Italie était là derrière. Il était au comble du bonheur. »
C'est une suite de romans d’aventure linéaires, cavaliers, brillants, sur fond d’horreur, de désagrégation sociale et d’égoïsme.
CHAPITRE PREMIER
L'aube surprit Angelo béat et muet mais réveillé. La hauteur de la colline l'avait préservé du peu de rosée qui tombe dans ce pays en été. Il bouchonna son cheval avec une poignée de bruyère et roula son porte-manteau. |
Publication : Gallimard, novembre 1951.
À travers tout le Midi, le choléra frappe et se propage. C’est le troisième cataclysme de l’œuvre de Giono, après la guerre de 14 du Grand troupeau et l’inondation de Batailles dans la montagne […] Le choléra est une figure de la guerre, catastrophe contre laquelle sont impuissants ceux qui y sont entraînés ; et plus généralement c’est une figure du mal […] Dans sa cocasserie insolite, le titre colore le livre d’une nuance d’ironie énigmatique, comme pour faire contrepoids à l’horreur accablante du choléra. Mais il dissimule ainsi, par pudeur, la vraie nature de ce brillant roman d’aventure : la dimension épique […] Sagesse narquoise, voilà un des points qui différencient le Giono du Hussard de celui d’avant la guerre.
(Pierre Citron. Giono. Éditions du Seuil, 1990, p.399, 445 et 446)
Dans l’Italie de Cavour, un roman de cape et d’épée, d’intrigues politiques d’action et de cavalcades.
Mort d’un personnage 1949
Les mêmes personnages, une chronologie his-torique remaniée : nous sommes au XXe siècle. La mort de Pauline racontée par son petit-fils, Angelo.
Le Hussard sur le toit 1951
Une épopée bondissante qui serait radieuse, jeunesse, gaieté, courage, ambition, mouvement, si elle ne se déroulait sur fond de choléra, dont la description suscite d' effroyables tableaux dignes de Goya.
Le Bonheur fou 1957
Le même héros Angelo Pardi dans une époque inventée où le récit télescope 75 ans d’histoire italienne et française : la passion, les intrigues, la mort et l’apaisement d’un dénouement heureux.
LE HUSSARD SUR LE TOIT DE JEAN GIONO
I. LECTURE DU ROMAN.
II. ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de l’édition Folio (Gallimard).
Les œuvres de Giono publiées après la guerre sont souvent rangées sous l’étiquette de « Giono seconde manière » : on veut ainsi opposer les romans rustiques et lyriques d’avant 1939 et les chroniques — c’est le mot employé par Giono — dans lesquelles le romancier introduit l’histoire contemporaine évoquée sur un ton sec, concis et critique.
Ce problème général qui concerne une éventuelle évolution de l’écrivain, marqué en tout état de cause par la guerre (il a été emprisonné en 1939 pour insoumission et en 1944 pour collaboration), pèse lourd dans l’interprétation qu’on peut avancer du roman. De même, la lecture du Hussard sur le toit a été vite emprisonnée, par la critique, dans un pastiche de Stendhal : l’Italie, le XIXe siècle politique et sentimental invitaient à des comparaisons ; mais la comparaison n’a jamais été explication.
Le Hussard sur le toit est une œuvre longue, dense, difficile à expliquer, dans la mesure où peuvent être proposées diverses explications. L’édition critique de M. le Professeur Citron, dans la Collection de la Pléiade, donne des indications sur la documentation dont s’est servi Giono pour l’évocation de l’épidémie qui frappa la Provence sous le règne de Louis-Philippe : plusieurs dizaines d’ouvrages, à coup sûr, lus et annotés par Giono dans son cabinet de travail.
Nous comprenons mieux aussi comment ce roman s’insère dans le « cycle du Hussard » qui n’a pu prendre corps, dans l’imagination de Giono, qu’après 1945 : remonter plus haut dans le temps serait sacrifier à la tendance qu’a Giono de repousser le plus possible dans le passé la conception d’une œuvre, la naissance d’un projet romanesque.
Dans l’état actuel des choses, on ne peut que se reporter aux romans antérieurs au Hussard sur le toit et qui sont pourtant, dans la chronologie de la biographie imaginaire d’Angelo, postérieurs au Hussard sur le toit : Mort d’un personnage (1949) et Angelo (1958) ou encore aux confidences capitales que fait Giono dans Noé (1947), livre dans lequel sont exposées les nouvelles relations qui s’instaurent entre le romancier et ses personnages.
Ce que nous proposons donc ici n’est qu’une proposition de lecture du Hussard sur le toit et donc une invitation pressante à une analyse personnelle du roman.
Le Hussard sur le toit a une suite romanesque, intitulée Le Bonheur Fou (1957) ; mais ce n’est pas se tromper de roman si l’on dit que le bonheur est au centre du Hussard sur le toit. Si le Hussard sur le toit s’achève sur le mot bonheur, ce n’est pas tant pour annoncer la suite que l’on sait que pour éclairer, de manière rétrospective, le roman qui nous occupe.
Dans ces conditions, le choléra ne doit point couvrir de ses déjections copieuses et nauséeuses l’objet même du roman et son fil conducteur : la quête du bonheur. À la question : qu’est-ce qui fait courir Angelo ? il faut répondre : le bonheur Mais pas simplement un bonheur immédiat, facile. Angelo le dit lui-même, sur un ton héroïque : « Je ne peux pas être heureux hors du devoir. » (p. 290) Le problème du bonheur, posé en ces termes, n’est pas simple.
En revanche, l’exploitation littéraire du choléra paraît simple : Angelo qui n’a jamais réussi à attraper la maladie soigne et sauve une jeune femme, victime apparemment fortuite de l’épidémie. À partir de ce résumé les difficultés se multiplient : difficultés d’explication (l’invulnérabilité d’Angelo), d’interprétation (qu’est-ce au juste pour Giono que le choléra, que signifie être cholérique ?), puisque bien évidemment le problème se situe au-delà d’explications médicales que Giono a pourtant multipliées, comme à plaisir.
Une erreur serait de considérer que le choléra sert à faire réagir le héros, à le construire, littérairement et moralement. Le choléra peut-il être, pour Angelo, un réactif, un révélateur ? L’épidémie fournit-elle des aventures et des expériences qui, mises bout à bout, selon cette linéarité chère à une certaine forme traditionnelle du roman, permettraient de voir le héros en formation ? Ce serait envisager le Hussard sur le toit comme un « roman d’apprentissage » (Bildungsroman), dans lequel Giono n’aurait pas oublié les séquences trépidantes ni les astuces qui peuplent l’univers truqué du romanesque. Romanesque, et non roman, avec les galopades, les coups de sabre, les escalades sur les toits, l’agitation perpétuelle du héros qui engendre le « suspense » attendu, la suite chaotique d’épisodes, d’aventures et de rencontres, entrecoupée de réflexions et de conversations où comme le dit Angelo, « il s’agissait de pistolets et de sabre, puis de sabre et de pistolets » (p. 441) À coup sûr, Giono a voulu donner à son roman ce côté héroïco-rocambolesque, « à la hussarde », comme on l’a remarqué.
Mais pourquoi ? […]
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