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Zola, L'Assommoir

Présentation
Notes critiques

La repasseuse
Hilaire-Germain-Edgar de Gas (Degas)
Lien sur les tableaux
les repasseuses
texte intégral du roman ici

Incipit

Gervaise avait attendu Lantier jusqu’à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d’être restée en camisole à l’air vif de la fenêtre, elle s’était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l’envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu’il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu’elle guettait son retour, elle croyait l’avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d’une nappe d’incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes, comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.
(…)

PRÉSENTATION

Date de parution: 1877 (en feuilleton dès 1876).

CONTEXTE

Principaux événements (1876/1877)

En littérature:

A. Daudet,
Jack (76); le Nabab (77); G. Flaubert, Trois Contes (77); V. Hugo, l’Art d’être grand-père (77); S. Mallarmé, l’Après-Midi d’un faune (76); L. Tolstoï, Anna Karénine (77); Y. Tourgueniev, Terres vierges (76).

En musique:

A. Borodine,
Symphonie n°2 en si mineur (76); J. Brahms, Symphonie n° 1 en ut mineur (76); Symphonie n° 2 en ré majeur (77); C. Saint-Saëns, Samson et Dalila (opéra, 77).

En peinture:

P. Cézanne,
l’Ermitage à Pontoise (76) E. Degas, la Classe de danse (76); le Café-Concert (77); C. Monet, le Pont de l’Europe (77); A. Renoir, le Moulin de la Galette (76); la Première Sortie (76).

• En politique:

début de la IIIe République (élections de février-mars 1876
; ministère Jules Simon);
coup de force de Mac-Mahon contre la Chambre (1877), suivi d’une réélection d’une majorité républicaine
;
agitation en Orient
; guerre dans les Balkans;
dissolution de la première Internationale (1876)
;
législation sur le travail des femmes et des enfants (Grande-Bretagne)
;
formation de l’Armée du Salut.

Sciences et techniques:

nombreuses inventions
: téléphone (G. Bell, 1876); moteur à explosion (N.A. Otto, 1876); phonographe (T. Edison, 1877); travaux de Pasteur et de Charcot.

Biographie de Zola

Zola entre
La Fortune des Rougon et l’Assommoir:

1871
: La Fortune des Rougon; La Curée.

1872
 : Zola a rédigé pendant deux ans une chronique dans La Cloche.

1873
 : Le Ventre de Paris. Échec du drame tiré de Thérèse Raquin.

1874
 : La Conquête de Plassans. Échec des Héritiers Rabourdin, comédie.

1875
 : La Faute de l’abbé Mouret. Zola collabore au Messager de l’Europe (revue russe de Saint-Pétersbourg).

1876
: Son Excellence Eugène Rougon; L’Assommoir paraît en deux parties et en feuilleton dans le Bien public, puis dans la République des Lettres (avril 76 à janvier 77).

1877
 : parution de L’Assommoir en roman. Zola devient le chef incontesté du mouvement naturaliste. Achat d’une propriété à Médan.


L’HISTOIRE ET LA FICTION

L’action se passe entre 1850 et 1868 (1868
 : mort de Coupeau).

Gervaise vit les années qui la mènent de 23 à 41 ans
; le roman se termine à sa mort, à l’âge de 42 ans. Son action est donc presque exclusivement contemporaine du Second Empire (1852-1870), que Zola traverse par l’histoire d’un destin d’ouvrière, issue de la branche bâtarde des Rougon-Macquart.

Ce faisant, en romancier naturaliste, il souhaite dresser le tableau de la misère des classes laborieuses.


Les conditions de vie créées par l’essor du capitalisme depuis le milieu du siècle, en rendant les classes sociales plus étanches que jamais, ne laissent d’issue que dans une lutte à mort ou dans la résignation à la misère.

C’est cette tendance qui semble caractériser les vues de Zola à l’époque de
L’Assommoir, au moins négativement, dans la mesure où il brosse ici un tableau d’un noir pessimisme.

L’autre volet du diptyque, consacré à la condition ouvrière,
Germinal, apportera la contrepartie dynamique à ce premier constat, à moins que l’on interprète l’impossibilité de la promotion sociale qui est montrée par l’échec de Gervaise comme la condamnation des voies pacifiques et l’ouverture à la violence.

Quoi qu’il en soit, les données sont là
: l’urbanisme et la réfection de Paris ont bouleversé le paysage géographique de la capitale et, par contrecoup, ont profondément modifié l’occupation sociale des quartiers, repoussant les couches ouvrières vers la périphérie.

Le boom industriel a rendu celles-ci toujours plus nombreuses
: les seuls équipements d’Haussmann utilisent 60000 travailleurs, d’origine rurale, peu qualifiés. Cette surcharge en main-d’œuvre explique aussi que, dans le bâtiment par exemple, on puisse chômer cinq mois par an.

Les loyers montent du fait des démolitions et de la surcharge humaine. Un loyer annuel à la Goutte d’Or, si le logis est équipé d’un poêle, vaut environ cent cinquante journées de blanchisseuse, ou cinquante journées de peintre.

Sous le Second Empire la proportion de débits de boisson est énorme (un cabaret pour 8 personnes
: 25000 « assommoirs »). Un ouvrier sur quatre épargne, un ajuste son budget, deux sont endettés. Pour les femmes, la prostitution peut apparaître comme un providentiel complément de ressources.


LE TITRE

Le titre, choisi avec un grand bonheur après bien des hésitations, propose six niveaux de lecture:

— le lieu (où l’on est assommé)
: l’enseigne d’un bistrot

— tout établissement du même genre (grâce à la valeur générique de « l' »)

— l’agent
: le poison alcoolique

— l’état
: l’ivresse de l’être inférieur assommé (comme aux abattoirs qui, significativement, bordent la rue)

— l’enchaînement irréductible des causes dégradantes
: la « mauvaise société »

— les effets
: les cauchemars dans le délire hallucinatoire de Gervaise.


Structure du roman:


• la construction rigoureuse du roman: 13 chapitres: 6 chapitres d’un côté, 6 chapitres de l’autre, et au centre le chapitre pivot: la fête de Gervaise et le début de son calvaire, marqué dramatiquement et symboliquement par la réapparition de Lantier. (La fatalité se substitue au hasard). Soit deux grands versants narratifs, avec pour chacun deux fois trois chapitres, rythmant les étapes de la destinée de Gervaise.


Née en 1828 à Plassans (le berceau de la famille, ville imaginée sur le modèle d’Aix-en-Provence), Gervaise est boiteuse. De plus, sa mère, la trouvant chétive, la met un temps « au régime de l’anisette » (La Fortune des Rougon).


Élevée dans la rue, battue par son père, elle entre en apprentissage, à dix ans, chez une blanchisseuse.


Enceinte à quatorze ans, elle met au monde un premier garçon
: Claude et, quatre plus tard, un second: Étienne. Lantier, le père, exerce la profession d’ouvrier tanneur mais, en 1849, il décide de partir, pour Paris, avec Gervaise et les enfants.


Lantier est un coureur, un paresseux. À peine installé à l’
Hôtel Montmartre, il
dilapide son héritage et, au début du roman, on retrouve Gervaise à l’
Hôtel Boncœur, un garni misérable au coin de la rue des Poissonniers. À la fenêtre, tandis que Claude et Étienne dorment, elle attend Lantier qui a découché. Lorsqu’il rentre, furieux, il lui cherche querelle puis, après qu’elle s’en est allée au lavoir, il s’enfuit avec Adèle, emportant tout l’argent du ménage.


Chap. I: Abandonnée, Gervaise, au lavoir de la rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or, donne une fessée magistrale à Virginie, la sœur d’Adèle. Puis, aidée par Coupeau, un zingueur, sobre, actif, elle reprend goût à la vie et elle trouve une place chez Mme Fauconnier, une blanchisseuse.

Chap. II: Malgré l’opposition des Lorilleux, des chaînistes (la sœur et le beau-frère de Coupeau), il la demande en mariage.

Chap. III: Noces de Gervaise et de Coupeau (été 1850).

Chap. IV: Gervaise et Coupeau vivent « quatre années de bonheur et de travail ». Ils s’installent dans un petit logement rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or. Le couple se lie d’amitié avec les Goujet, mère et fils.

Claude, très doué pour le dessin, est pris en charge par un amateur de peinture qui le place au collège à Plassans.

Le 30 avril 1851, Gervaise accouche d’une fille
: Anna (Nana). Malheureusement, au mois de mai 1854, Coupeau tombe d’un toit. Gervaise, qui rêvait de louer une boutique rue de la Goutte-d’Or, dépense ses économies afin de le soigner à domicile. Ému, Goujet lui prête cinq cents francs pour louer la future blanchisserie.

Chap. V: Coupeau, guéri, commence à paresser, à faire la noce tandis que Gervaise prend une apprentie et deux ouvrières, Clémence et Mme Putois, pour l’aider.

Chap. VI: Une idylle platonique se noue entre Gervaise et Goujet à la forge de la rue Marcadet où travaille celui-ci et où Étienne, que Coupeau s’est mis à détester, sert de grouillot. Virginie revient dans le quartier: elle a épousé Poisson, un sergent de ville.

Chap. VII: 19 juin 1858, c’est la fête de Gervaise qui offre un « gueuleton » mémorable à ses proches. Lantier revient lui aussi à la Goutte d’Or.

Chap. VIII: Lantier s’installe chez les Coupeau. Un soir où Coupeau, abominablement ivre, a souillé leur chambre, Gervaise se réfugie dans le lit de Lantier. Étienne quitte Paris pour Lille où il entre en apprentissage chez un mécanicien. Goujet propose à Gervaise de fuir avec lui mais elle refuse. Il est trop tard dans sa vie.

Chap. IX: 1860-1863: Gervaise se laisse aller de plus en plus. Maman Coupeau, qu’elle avait recueillie, meurt. Ballottée entre Coupeau et Lantier, endettée, elle accepte de céder sa boutique à Virginie.

Chap. X: Les Coupeau s’installent au sixième étage de la maison dans un logement misérable. Gervaise s’avachit. Reprise par son ancienne patronne, elle gâche son ouvrage.
Elle se met à boire. Coupeau fait son premier séjour à Sainte-Anne.

Chap. XI: Nana devient « garce ». Elle poursuit son apprentissage du vice dans un atelier de fleuriste où elle est employée. Écœurée par les deux pochards qu’elle trouve en rentrant au logis, elle fugue, revient puis part définitivement.

Chap. XII: janvier 1869. La misère est à son comble. Gervaise descend sur le boulevard pour se prostituer. Goujet la ramasse, vieillie, énorme, et lui donne à manger.

Chap. XIII: Coupeau meurt d’un accès de delirium tremens. Gervaise tombe de plus en plus bas. Elle mendie, se clochardise et finit par mourir de « misère, des ordures et des fatigues de sa vie gâtée » dans la « niche » du père Bru sous la cage d’escalier.

Pistes d’étude:

• la nudité de l’intrigue, qui reproduit la vie ordinaire, l’absence de ressorts « romanesques », comme dans Madame Bovary, le quotidien au jour le jour, le refus du héros;

• l’impersonnalité du narrateur qui raconte et décrit des faits sans s’émouvoir ou moraliser
;

• le travail exigeant de la forme, de la langue
: le roman le plus populiste est également le roman le plus « artiste » des Rougon-Macquart; Zola s’inspire de Denis Poulot, le Sublime, 1870. Il y trouve son titre: l’Assommoir. Il utilise le Dictionnaire de la langue verte d'Alfred Delvau. Sa grande audace est de ne pas limiter les tours populaires aux dialogues, mais à les transposer de façon très élaborée dans le langage du narrateur!

• la problématique de l’alcoolisme, qui est le leitmotiv de l’époque: Zola pousse à un paroxysme de démence le tableau de la déchéance alcoolique de Coupeau, avec une description clinique du delirium tremens.

• un drame à coloration plus sociale, celui de l’ouvrière désirant se hisser au rang des patrons
: elle n’en a pas l’étoffe. Gervaise est un échec social (c’est par l’intermédiaire de sa fille Nana que se fera la promotion sociale…) et presque un scandale. Gervaise, la clocharde boiteuse, et Nana, la belle gaspilleuse de son corps, représentent les deux faces de la même immoralité, le refus de la tempérance et de l’épargne, ces valeurs bourgeoises par excellence.

• c’est dans les mythologies qu’il faut chercher la puissance de l’œuvre
: celle de l’action dévoratrice du temps, celle de la régression (56 fois le mot « trou » dans le roman), celle de l’alambic et de la forge. D’où une chaîne symbolique entre l’alcool, l’or et la défécation.


Dossiers


Lectures complémentaires:

en priorité, l’ensemble des
Rougon-Macquart.

Bibliographie succincte

en priorité
:

Henri Mitterand, ZOLA, trois tomes, Fayard, 2001.

Colette Becker, L’ASSOMMOIR, ZOLA, Hatier, coll. Profil
d’une œuvre, n° 35, 1972.

M. Bernard,
ZOLA, Le Seuil, coll. Écrivains de toujours, n° 7, 1952.

J.H. Bornecque et P. Cogny,
RÉALISME ET NATURALISME, Hachette, coll. Documents « France », 1958.

P. Cogny,
ZOLA ET SON TEMPS, Larousse, coll. Textes pour aujourd’hui, 1976 (pp. 5557 et 137139).

A. Dezalay,
LECTURES DE ZOLA, A. Colin, coll. U prisme, n° 1, 1973.

J. Dubois,
L’ASSOMMOIR DE ZOLA, Larousse, coll. Thèmes et Textes, 1973.

A. de Lattre,
LE RÉALISME SELON ZOLA, P.U.F., coll. Littératures modernes, n° 6, 1975 (pp. 62, 78, 112, 139-40, 146-48, 165, 170, 182, 184-85, 196, 198-204, 245-248).


Iconographie

Nombreux tableaux représentant des repasseuses:
Manet, Degas, Bazille

Filmographie

F. Zecca, LES VICTIMES E L’ALCOOLISME (1902, Fr.).

A. Capellani,
L’ASSOMMOIR (1909, Fr.).

C. Maudry et M. de Mersan,
L’ASSOMMOIR (1921, Fr.).

G. Roudès,
L’ASSOMMOIR (1921, Fr.).

R. Clément, GERVAISE (1956, Fr.).


Théâtre

L’Assommoir drame en cinq actes et huit tableaux de William Busnach et Octave Gastineau.- Paris: Charpentier, 1881.

La préface écrite par Zola à la pièce est
ici