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Voltaire et Dieu

La religion de Voltaire


On sait qu'au XVIIIe siècle, l'esprit philosophique c'est aussi l'esprit d'examen, le doute méthodique, particulièrement appliqué aux sujétions et croyances imposées par la religion dominante. On trouve dans la thèse de René Pomeau, La Religion de Voltaire, un exposé des choix et des refus du philosophe de Ferney.


Fils de notaire, Voltaire est né dans une famille catholique. Son frère aîné, Armand, fut éduqué par les Oratoriens, suspects de jansénisme. Armand fut un janséniste forcené, familier des convulsionnaires de Saint-Médard. il fut même tonsuré en 1709, mais il renonça à l’état ecclésiastique pour devenir trésorier de la Chambre des Comptes.

Les rapports des deux frères ne furent pas plus chaleureux que ceux de Diderot avec son frère chanoine, lui aussi dévot fanatique.


François-Marie Arouet fut baptisé le 22 novembre 1694 en l’église Saint-André-des-Arts.

Il fit ses études chez les Jésuites, au Collège Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques. Il écrira plus tard que «
les jésuites ne lui avaient appris que du latin et des sottises», mais il reçut une très solide formation à l’éloquence et fut initié au théâtre que les Pères pratiquaient comme une école de vertu et d’élégance mondaine. Il eut des maîtres de grande qualité et fut un élève brillant.


Le premier combat de Voltaire


Le cimetière janséniste de Saint-Médard fermé par les autorités civiles, les convulsionnaires interrogés à la Bastille, Voltaire engage un combat solitaire contre le plus grand des Jansénistes : Pascal.


En 1734, c’est la dernière des Lettres philosophiques. voir ici.
les Jansénistes crient au blasphème, l’impie doit fuir à Cirey.
Dès lors, le combat ne cessera jamais : en 1739, 1742, 1776…


Les refus

L'obsession du Dieu bourreau et du prêtre cruel est liée au rejet d'une religion qui, avec le dogme de la faute originelle, a privé l'homme de toute liberté, puis a souillé Dieu en imaginant son incarnation pour le rachat de l'humanité.


De là découle toute la critique biblique de Voltaire, qui ne voit dans l'Écriture que déraison et horreurs, comme il ne voit dans l'histoire du christianisme qu'une accumulation sanglante de crimes et de persécutions, depuis les dissensions des premiers siècles jusqu'aux croisades, et des conversions forcées jusqu'à la SaintBarthélemy.


Le Dieu de Voltaire

Mais cette condamnation des péripéties de l'Histoire et ce rejet d'un Dieu engagé dans l'Histoire, par le contrat passé avec le peuple élu, ou par le mythe du Rédempteur, sont indissociables de la conception sublime qu'a Voltaire de la divinité. L'auteur du Dictionnaire est resté fidèle au « Dieu de Locke, de Clarke et de Newton », à l'éternel Géomètre, au Dieu de tous les mondes, dont on ne peut connaître les attributs. Il proclamera, en marge du Systàme de la nature dont il combattra l'athéisme : « Dieu, la raison l'admet, l'insolence le définit ».


Le problème du Mal

Mais il affirme l'omniprésence de Dieu, garant du sens du juste et de l'injuste présent en tout homme, et qualifié parfois de père de tous les êtres humains. L'existence du mal paraît difficilement
compatible avec sa puissance et sa bonté ?

Le philosophe n'essaie pas de percer ce mystère ; il refuse, d'ailleurs, l'idée paralysante que l'homme est déchu ou perverti. Quand il reconstitue la découverte de Dieu par l'esprit humain, il le voit, certes, d'abord figuré comme un chef, dans chaque bourgade, par des hommes apeurés. Mais c'est pour ajouter que la raison a permis d'accéder, par degrés, à la notion d'un Dieu unique et formateur du monde.


L’immortalité de l’âme


Toutefois, après 1750, c'est sa fonction de « rémunérateur et vengeur » qui est mise en relief. Argument à usage externe ou conviction authentique de Voltaire ? Elle exigerait la croyance à l'immortalité de l'âme, et on connaît le scepticisme du patriarche à ce sujet.


Cela amène René Pomeau à poser la question d'une double doctrine chez un apôtre du déisme qui serait devenu, en quelque sorte, un « quatrième imposteur », à la suite des fondateurs des trois grandes religions monothéistes. Cependant, Voltaire formule, par endroits, l'hypothèse de la survie grâce à une « monade », à qui Dieu aurait accordé la pensée et qu'il ferait subsister après la destruction du corps.


Outre le souci de l'ordre social, cette aspiration semble bien correspondre au souhait sincère d'une justice post mortem, d'un avenir compensatoire pour tant d'hommes qu'il voit malheureux malgré leur vertu.



Il remplace, d'ailleurs, dans les années 1750, les mots « déisme » et « déiste » par « théisme » et « théiste », qui supposent la croyance en un justicier éternel et la pratique de la morale.


Lutte contre le matérialisme athée


Cette croyance en une Providence générale, ainsi que la crainte du désordre, en l'absence de tout frein, l'opposent de plus en plus aux matérialistes athées, à la fin des années 1760, en même temps qu'il poursuit le combat contre l'Infâme.


Lutte contre le déisme mystique


Les réfutations du
Dictionnaire, lors de ce combat, peuvent éclairer, a contrario, la démarche intellectuelle de Voltaire. Elles témoignent, le plus souvent, d'un grand immobilisme et reproduisent les enseignements d'une religion monolithique.

Toutefois, la critique de réception a permis de confronter, sur quelques grandes questions, les points de vue du philosophe de Ferney et d'un des apologistes les plus célèbres, Nicolas-Sylvestre Bergier, qui avait publié des remarques raisonnées sur quarante-six articles du
Dictionnaire.

Alfred J. Bingham a opposé les deux textes sur les problèmes de la certitude et de la foi, de la matière et de l'esprit, de Dieu, de l'âme, du destin, du mal, des liens entre religion et morale. Il en ressort, chez Bergier, une défense du mystère, de la puissance de Dieu qu'il refuse d'imaginer soumis à des lois, de la croyance à la Providence et à la survie, cette dernière étant moralement nécessaire, partagée par les Anciens et les primitifs même, et indissociable de la croyance à la liberté humaine.

Bergier distingue absolument la pensée et la matière, et rejette le fatalisme matérialiste. Ces débats permettent de mieux voir comment, dans "Certain", "Foi", "Corps", "Enfer", "Chaîne des événements", "Bien (Tout est)", "Destin", "liberté", "Nécessaire", "Athée", "Catéchisme chinois" etc, Voltaire s'est écarté, parfois avec difficulté et hésitation, des schémas de pensée habituels.


5 Dans son article « The earliest criticism of Voltaire's Dictionnaire philosophique », Studies on Voltaire, 47, 1966, pp. 1537.


Les luttes contre les religions constituées


Mais l'illustration principale de la lutte contre la religion dominante est constituée, dans le
Dictionnaire, par la critique biblique, presque omniprésente, surtout dans les dernières éditions.

Plusieurs études ont tenté de mieux cerner, sur le plan idéologique ou d'un point de vue tactique, les positions de Voltaire. On avait souvent discerné, dans la virulence voltairienne contre la religion juive, des résonances « racistes », comme le montrait déjà le texte d'Y. Florenne.

Les accusations d'antisémitisme ont été discutées dans de nombreux articles, indiqués par
R. Desné* qui a, à son tour, analysé l'antijudaisme du Dictionnaire, en posant la question de l'antisémitisme de son auteur. Après avoir dénoncé les compilations malhonnêtes qui, au vingtième siècle, ont fait de Voltaire un « antijuif », il a précisé que les Juifs qu'il mentionnait étaient, le plus souvent, les juifs anciens.

Si le philosophe souligne leur grossièreté, c'est pour mieux mettre en lumière leurs emprunts aux autres peuples et atteindre ainsi l'Ancien Testament comme livre qualifié d'inspiré.

Pour le critique, son antijudaïsme est indéniablement une dimension de son antichristianisme ; et son offensive contre la barbarie, qui ne se limite pas aux exemples donnés par les Hébreux, trouve simplement dans la Bible une cible privilégiée.

Bien que l'antisémitisme ait pu avoir recours occasionnellement à Voltaire, cela ne prouve pas qu'il était antisémite.
R. Desné rappelle qu'il invitait, au contraire, à tolérer les Juifs modernes et ne jugeait pas leurs possibilités de progrès entravées, par une fatalité de type racial ; mais son antijudaïsme lui faisait voir, cependant, dans leur passé religieux un lourd handicap.