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Biographie synthétique de Voltaire (1694-1778)


François-Marie Arouet, dit Voltaire, écrivain, poète, dramaturge, essayiste, historien et philosophe, incarne presque à lui seul le Siècle des Lumières.

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François-Marie Arouet, célèbre sous le nom de Voltaire, naquit Paris, en 1694. Il était fils d’un notaire et vint au monde si chétif, qu’on fût obligé de différer son baptême pendant neuf mois. Il eut pour parrain l’abbé de Chateauneuf, homme impie sous l’habit de prêtre ; ce fut lui qui donna à ce jeune enfant, à peine âgé de trois ans, les premières notions d’incrédulité, en lui faisant balbutier un poème impie ; ces impressions furent ineffaçables.






L’élève Arouet
 
Le jeune Arouet fut placé à l’âge de dix ans au collège des jésuites, où il se fît remarquer par son amour pour l’élude. Les Révérends Pères se laissaient charmer par son esprit précoce. L’un d’eux, émerveillé, lui prédit, en l’embrassant, qu’il serait un grand homme ; un autre, effrayé de la hardiesse de ses idées et de ses railleries, s’écria, un jour, en le secouant par le collet : « Malheureux, tu seras, en France, l’étendard de l’incrédulité ! » L’un et l’autre ne se trompaient point.

 
Au sortir du collège, Arouet retourna au sein de sa famille. Son père, qui voulait en faire un magistrat, lui fit étudier le droit. L’abbé de Chateauneuf, son parrain, le présenta dans les salons brillants qu’il fréquentait ; il y fut accueilli, caressé, choyé par l’élite des courtisans ; là, il se lia avec le marquis de La Fare, l’abbé de Chaulieu, le prince de Conti, le duc de Vendôme, le maréchal de Villars, la duchesse du Maine, tous gens d’esprit, mais d’une grande licence de mœurs. L’abbé de Chateauneuf le présenta aussi chez la fameuse Ninon de Lenclos ; le jeune Arouet, qui avait déjà publié quelques vers, récita devant elle plusieurs pièces de sa composition ; elle fut si charmée de son esprit, qu’elle lui légua une somme de deux mille francs pour acheter des livres. Ce fut là son premier succès.
 
Mais cette vie dissipée des salons nuisait aux progrès du jeune homme dans ses études de droit. D’ailleurs, il ne paraissait avoir aucun goût pour la procédure ; on l’avait souvent surpris griffonnant des vers sur le papier timbré au lieu de transcrire des copies. Le père d’Arouet était loin de s’accommoder des goûts frivoles de son fils : parfois il parlait de l’envoyer en Amérique ; enfin, irrité du peu de cas que le jeune homme faisait de ses remontrances, il le déshérita et le chassa de la maison paternelle.
 
Ainsi abandonné à lui-même, il se livra sans frein à ses passions, et se fit bientôt remarquer dans les salons par la légèreté de ses mœurs, et surtout par la causticité de son esprit. À la mort de Louis XIV, il circula d’odieux pamphlets contre la mémoire du feu roi et contre les principaux personnages de la cour. Le jeune Arouet fut accusé d’avoir fait de ces pamphlets ; cette accusation reposait sur le simple indice donné par le dernier vers de la pièce : « J’ai vu ces maux, et je n’ai pas vingt ans. »
 
Quoique innocent, il fut mis au Châtelet, où il resta plus d’une année. C’est là qu’il composa sa tragédie d’
Œdipe et les deux premiers chants de la Henriade. Le régent, convaincu enfin de son innocence, le fit sortir et voulut le voir ; charmé de son esprit, il lui accorda même une gratification, en lui disant : « Soyez sage à l’avenir, et j’aurai soin de votre fortune. — Je remercie Votre Altesse, lui répondit le jeune poète, de ce qu’elle veut bien se charger de ma nourriture ; mais je la prie de ne plus se charger de mon logement. »

 
Le littérateur Voltaire

 
C’est après sa sortie du Châtelet que le jeune Arouet échangea son nom de famille contre celui do
Voltaire, qu’il devait rendre si célèbre : c’était le nom d’une terre appartenant à son père.
Il débuta dans la carrière littéraire par la tragédie d’
Œdipe (1718) qu’il venait d’achever au Châtelet. Depuis Corneille et Racine on n’avait rien vu sur la scène de plus émouvant et de plus admirable que cette pièce. Il est vrai que le jeune poète avait emprunté ses plus belles inspirations à la tragédie de Sophocle, qu’il eut le tort de décrier plus tard.
 
Après
Œdipe, Voltaire fit représenter Marianne (1721), qui n’eut aucun succès. Loin de se laisser décourager par cet échec, le poète redoubla de travail ; il se retira quelque temps à la campagne et y acheva la Hendriade. Avant de livrer cette épopée au public, il voulut avoir l’avis de ses amis : de nombreuses observations lui ayant été faites sur le sujet, le plan, les caractères et le style de ce poème, Voltaire ne put cacher son mécontentement, et de dépit, il jeta son épopée au feu. L’un de ses amis se précipita sur le foyer, brûla ses manchettes et sauva le manuscrit. Le succès de la Henriade fut immense, non seulement en France, mais en Europe ; ce poème a beaucoup contribué à populariser le nom de Henri IV.
 
C’est au milieu de la gloire que lui valut cet ouvrage, qu’une dispute qu’il eut avec un des grands de la cour força Voltaire à quitter subitement la France, et à chercher un refuge en Angleterre. Il dinait un jour chez le duc de Sully avec le chevalier de Rohan : une discussion s’éleva parmi les convives ; Voltaire soutint avec chaleur son opinion ; le chevalier, blessé de rencontrer un contradicteur, demanda quel était ce jeune homme qui parlait si haut. « C’est, répondit Voltaire, un homme qui ne traine pas un grand nom, mais qui sait honorer celui qu’il porte. » Le chevalier se leva furieux et sortit. Quelques jours après, il se vengeait par un lâche guet-apens, et faisait bâtonner Voltaire par ses gens, à la porte de Sully, où le poète venait de diner. Fou de colère, l’insulté demanda en vain justice. Il s’enferma alors pondant trois semaines, apprit l’escrime et l’anglais, puis il envoya un cartel au duc de Rohan ; le duc, croyant se déshonorer en se battant avec un poète, refusa le duel et obtint même du régent une lettre de cachet contre le jeune téméraire. Celui-ci fut enfermé pendant six mois à la Bastille, et n’en sortit que sous condition de quitter la France. Voltaire choisit l’Angleterre pour le lieu de son exil.






L’exil en Angleterre
 
On ne peut nier que le séjour de trois ans qu’il fit à Londres n’ait exercé sur les idées de Voltaire une funeste influence. Son esprit sceptique et frondeur put se donner pleine carrière dans la société des libres penseurs ; mais il faut reconnaitre aussi que l’Angleterre initia le poète aux grands principes de liberté, inconnus à cette époque en France. Plus tard, il les propagea à son tour dans son pays et prépara la révolution qui, vers la fin du siècle, devait changer l’ordre social de la France.
 
C’est aussi en Angleterre qu’il développa et enrichit son génie littéraire : il puisa à pleines mains dans les trésors de la littérature anglaise, il lut dans la langue originale le
Paradis perdu de Milton, étudia la philosophie de Bacon et de Locke, les découvertes scientifiques de Newton et s’inspira surtout des chefs-d’œuvre dramatiques de Shakespeare, qu’il eut le mérite de révéler à la France. L’enthousiasme qu’il ressentit de ces merveilles scientifiques et littéraires, son admiration pour cette terre de tolérance et de liberté, lui inspirèrent ses Lettres philosophies ; malheureusement, il dépara ce livre, où sont consignées de judicieuses critiques, par un amas de grossières invectives contre le christianisme. Ces injures firent condamner ses Lettres à être brûlées de la main du bourreau ; il eut mieux valu les réfuter ou les ignorer. C’est à Londres que Voltaire composa ses tragédies de Brutus (1730) et de la Mort de César (1733), qui ne sont qu’une imitation de Shakespeare.
 
Après trois ans d’exil, Voltaire revint en France. Son premier soin fut de s’assurer une fortune indépendante, soit par la vente de ses ouvrages, soit par d’heureux placements de fonds. Il mit à différentes loteries et gagna plusieurs lots ; il fut heureux dans quelques spéculations commerciales, et particulièrement dans le commerce des blés et dans les fournitures de l’armée. En moins de trois ans, il devint plusieurs fois millionnaire.
 
La fortune ne lui fit pas négliger les lettres. Il fit paraître 
Brutus sur la scène. Cette tragédie n’eut qu’un médiocre succès. On dit que Fontenelle, après cet échec, lui conseilla de renoncer au genre dramatique. Voltaire n’écouta pas cet avis ; il se remit à l’œuvre avec une nouvelle ardeur et publia l’année suivante Zaïre (1732), l’un de ses chefs-d’œuvre les plus émouvants et les plus applaudis. On avait reproché à Voltaire de n’avoir pas su peindre les sentiments tendres et délicats : jamais tragédie n’a fait répandre autant de larmes.


 
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La fronde des ecclésiastiques
 
Le bonheur de Voltaire ne fut pas sans mélange. Les prêtres, qu’il avait impitoyablement attaqués dans ses Lettres philosophies, le dénoncèrent au pouvoir à cause de ses diatribes contre la religion. Le philosophe, qui n’ambitionnait pas l’auréole du martyr, crut prudent de quitter Paris et se retira au château de Cirey, à quelques lieues de Vassy, en Champagne, chez une de ses amies, la marquise du Châtelet. Il passa quelques années dans cette retraite obscure, livré tout entier à la culture des lettres ; il y composa l’Histoire de Charles XII, vrai chef-d’œuvre historique, les tragédies d’Alzire, de Mahomet et de Mérope, qui mirent le comble à sa gloire dramatique, la comédie de l’Enfant prodigue, une histoire universelle sous le titre d’Essai sur les Mœurs, et le Siècle de Louis XIV, deux autres chefs-d’œuvre historiques.
 
Au faîte de la gloire littéraire, Voltaire aurait voulu voir s’ouvrir pour lui les portes de l’Académie ; mais ses attaques contre la religion lui avaient aliéné ceux qui auraient pu lui en faciliter rentrée. Il ne recula pas devant l’hypocrisie et le mensonge pour se gagner des sympathies. Qu’on en juge par cette lettre qu’il écrivit à un ecclésiastique influent : « Si jamais, dit-il, on a imprimé sous mon nom une ligne qui puisse scandaliser seulement un sacristain de paroisse, je suis prêt à la déchirer ; je veux vivre et mourir tranquille dans le sein de l’Église apostolique et romaine. » Il fut reçu à l’Académie, mais la lâcheté de ses procédés le rendit méprisable aux yeux de ses contemporains et de la postérité.
 
D’ailleurs, ce n’est pas le seul acte de bassesse dont on ait à charger sa mémoire. Il avait pour habitude de publier sous des noms supposés les pamphlets qui pouvaient être de nature à le compromettre. Louis XV lui-même, qui avait peu de valeur morale, n’eut pour cet homme que du mépris.



 
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Berlin et Frédéric II

 
Voltaire, blessé de la défaveur de la cour, partit pour Berlin, où Frédéric II, roi de Prusse, l’invitait depuis dix ans à venir se fixer auprès de lui. Il fut reçu à Postdam, non en poète, mais en roi ; on lui donna un appartement splendide, une table somptueuse, de brillants équipages ; il reçut le titre de chambellan et une pension de vingt mille francs. En retour, le poète donnait des leçons au roi, corrigeait sa prose et ses vers, et le soir, faisait les délices de ses soupers par la grâce et la fécondité de son esprit. Dans ces fameux soupers, […], on parlait de tout : métaphysique, philosophie, religion ; et c’était pour se moquer des plus saintes croyances.
 
Malheureusement, la bonne harmonie ne régna pas longtemps entre Frédéric II et Voltaire ; les beaux esprits de la cour, entre autres le géomètre Maupertuis et le philosophe La Beaumelle, jaloux des faveurs de Voltaire, ne tardèrent pas à troubler les rapports d’amitié qui existaient entre le poète et le roi. On rapporta un jour à celui-ci que Voltaire s’était permis de dire, en recevant les vers que Frédéric lui donnait à corriger : « Le roi m’envoie son linge sale à blanchir. » D’un autre côté, on racontait à Voltaire que le roi avait dit : « Laissez faire ; on presse l’orange et on en jette l’écorce quand on en a sucé le jus. » Voltaire ne crut pas devoir attendre qu’on lui donnât congé ; il renvoya à Frédéric la clef de chambellan et le brevet de la pension dont il l’avait gratifié.
 
Il partit en emportant par mégarde quelques vers manuscrits du roi : celui-ci envoya un officier prussien à sa poursuite, et Voltaire fut retenu prisonnier jusqu’à ce qu’il eût rendu les
Œuvres de poéshies du roi, son maître. Il lui fallut attendre l’arrivée des malles qui renfermaient ce trésor ; les malles de Voltaire arrivèrent enfin, les poéshies furent rendues, et le prisonnier put continuer sa route.
Arrivé en Alsace, il songea à retourner à Paris, mais il n’ignorait pas combien il était peu sympathique à Louis XV ; il fit sonder la cour à son égard : le roi répondit : « Qu’il reste où il est. » Voltaire renonça donc à Paris et s’en alla prendre les eaux d’Aix, en Savoie. Pour mettre fin à cette vie itinérante, il se décida à acheter, en Suisse, aux portes de Genève, une campagne qu’il appela les Délices. Les protestants de Genève virent avec déplaisir s’établir sur leur territoire ce violent ennemi de toute religion ; quelques pasteurs écrivirent des protestations que Voltaire, oubliant ses préceptes de tolérance, fit supprimer par autorité du magistrat.
 


Le domaine de Ferney
 
Désirant éviter de nouvelles attaques, il acheta la terre de Ferney, à une lieue de Genève. C’est là qu’il passa les vingt dernières années de sa vie à écrire […] ses ouvrages. « Je suis las, disait-il, de leur entendre dire que douze hommes ont suffi pour établir le christianisme, et j’ai envie de leur prouver qu’il n’en faut qu’un pour le détruire. » Cet impie vieillard multipliait dans ce but les pamphlets anonymes les plus furibonds pour écraser l’infâme… C’est ainsi qu’il désignait la religion du Christ. Qui le croirait ? cet incrédule éhonté était parfois l’homme le plus pusillanime et le plus servile. Pour obtenir un fauteuil à l’Académie, nous l’avons vu se déshonorer par une lâche hypocrisie ; quand il y trouvait son intérêt, il renouvelait la même comédie : il allait à la messe, faisait ses Pâques comme un bon catholique. Étant tombé malade, il crut, un jour, qu’il allait mourir. Il fit aussitôt appeler un prêtre, signa devant notaire la rétractation de ses ouvrages irréligieux, demandant pardon à Dieu et aux hommes, et déclarant mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine.
 
Détournons nos regards des écrits et des actes de Voltaire, […], et disons quelques mots des actes de sa vie qui font un éternel honneur à sa mémoire.
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Le combat pour la liberté
 
Il fut le premier à plaider la cause de la liberté de conscience en faveur des protestants, persécutés en France depuis la révocation de l’édit de Nantes. Il fit, en particulier, réhabiliter la mémoire de Calas et de Sirven. Calas était un négociant de Toulouse, qui, en 1762, avait été accusé d’avoir assassiné son fils pour l’empêcher de se faire catholique. Quoique Calas fût innocent de ce crime, les juges prévenus le condamnèrent à mort, et il expira sur sa roue. Voltaire fut informé de cette affaire et convaincu de l’innocence de Calas, il prit à cœur de réhabiliter sa mémoire. Après trois années d’efforts incessants, de démarches, de brochures, de plaidoyers éloquents, il réussit à faire réviser le procès. Calas fut réhabilité par le Parlement de Toulouse, et sa famille dédommagée des pertes d’argent que ce procès lui avait coûtées.
 
Sirven était un protestant, dont la fille fut arrachée à sa famille et jetée dans un couvent ; la pauvre enfant parvint à s’échapper des mains de ses persécuteurs on la trouva morte dans un puits. Préféra-t-elle la mort à l’apostasie, ou sa mort fut-elle le fait d’un accident ? C’est ce qu’on ignore ; mais on accusa son père de l’avoir assassinée pour la punir d’avoir changé de religion. Sirven put heureusement s’enfuir à Genève et fut condamné à mort par contumace. Voltaire, encouragé par le succès de l’affaire de Calas, entreprit de faire réviser ce nouveau procès, et grâce à ses efforts. Sirven fut acquitté.
 
Voltaire recueillit avec générosité la nièce du grand Corneille, qui languissait dans un état voisin de la misère. « C’est !e devoir d’un soldat, dit-il, de servir la fille de son général. » Il appela la jeune fille à Ferney, lui fit donner une bonne éducation, puis la maria à un gentilhomme des environs. Il fit une dot à sa protégée en publiant une édition nouvelle des œuvres de Corneille, avec un commentaire qu’il composa dans ce but.

 
Retour à Paris
 
À l’âge de quatre-vingt-quatre ans, Voltaire voulut revoir Paris et assister lui-même à la première représentation d’Irène, qu’il venait de terminer. Cette visite fut un vrai triomphe. La cour et la ville accoururent pour lui rendre hommage. Mais les fatigues de ce long voyage et les nombreuses visites qu’il dut faire ou recevoir, épuisèrent ses forces et provoquèrent un crachement de sang. Voltaire crut qu’il allait mourir ; il fit aussitôt appeler un prêtre et se confessa. La maladie n’eut cependant pas de gravité et quelques jours après, il put se rendre au théâtre, pour assister à la représentation d’Irène. Dès qu’il apparut, l’enthousiasme de la salle fut indescriptible ; les comédiens vinrent lui poser une couronne sur la tête au milieu d’acclamations unanimes. « Vous voulez donc me faire mourir de plaisir, s’écria-t-il, vous m’étouffez sous des roses. » À la sortie, on le porta en triomphe jusqu’à son carrosse, et la foule le reconduisit chez lui, en criant : Vive Voltaire ! vive Henriade ! vive Mahomet ! Tant d’émotions l’exténuèrent, et il expira le 30 mai 1778.

 

[Daniel Bonnefon, Les Écrivains célèbres de la France, Librairie Fischbacher, 1895]